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Photo du rédacteurJean Yves Carfantan

A nouveau, le Brésil est au bord de l'abîme.


Les Brésiliens se sont habitués à surmonter les crises. Mais les circonstances actuelles sont très différentes de celles qui ont prévalu dans le passé. En 2020, si l’on scrute l’avenir à court et moyen terme, que peut-on entrevoir ?


Le Brésil est officiellement entré en récession au premier trimestre, alors que les pre-miers effets de l’épidémie du covid-19 se faisaient sentir. A l’époque, le Ministre de l’économie répétait tel un magicien égaré que l’économie était sur le point d’atteindre des rythmes de croissance surprenants….Depuis avril, la conjoncture économique n’a cessé de se dégrader. Près de 1,5 million de travailleurs du secteur formel ont perdu leurs emplois. Les salariés qui ont subi une réduction de leurs salaires parce qu’ils ont bénéficié du dispositif de chômage partiel ou qu’ils ont dû accepter de travailler sur des horaires réduits sont 11,6 millions. On estime à 65 millions les Brésiliens du secteur informel et leurs familles qui ne survivent depuis avril que grâce à l’allocation mensuelle d’urgence fournie par l’Etat fédéral. Selon la FGV (une des institutions de recherche en questions économiques et sociales les plus réputées) les trois mois allant d’avril à juin 2020 auront constitué en termes d’activité économique le pire trimestre observé sur les 40 dernières années. Comment peut-on se sortir d’une récession aussi grave ?


Le monde entier souffre d’une crise à deux dimensions, à la fois sanitaire et économique. Pour sa part, le Brésil semble confronté à l’hydre de Lerne de la mythologie grecque. Le monstre, au corps de chien ou de serpent, avait de multiples têtes. Chaque fois que l'on coupait l'une d'entre elles il en repoussait plusieurs. Le Brésil vient de connaître une des pires réponses à l’épidémie conçue par des autorités publiques dans le monde. La pres-sion que subissent les élus locaux pour rouvrir les commerces dans les grandes villes va provoquer de nouvelles vagues de panique, de contaminations et de décès. Le système de crédit facilité lancé par le gouvernement fédéral pour soulager la trésorerie des entreprises n’a pas fonctionné. Si le rythme et le nombre des faillites a été limité jusqu’en fin juin, c’est d’abord parce que l’administration fiscale a reporté la date de versement des impôts et taxes. Le déficit primaire du secteur public (avant paiement des intérêts de la dette) sur l’année 2020 devrait dépasser 706 milliards de BRL (9,6% du PIB) et le risque de voir le pays incapable de revenir à la discipline budgétaire en 2021 et 2022 est très élevé. La dette de l'Etat pourrait atteindre rapidement l'équivalent de 100 % du PIB. Le Président Bolsonaro se maintient au pouvoir en utilisant comme une menace per-manente le soutien supposé des forces armées dont il bénéficierait. Si la crise politique gravissime qui a accompagné la crise du Covid-19 n’a pas encore débouché sur une impasse institutionnelle, un tel scénario ne peut être exclu pour les prochains mois. L'image du Brésil à l'étranger se rapproche de celle d'un Venezuela de droite, avec un facteur aggravant en plus : le pays est d'évidence responsable d'une nouvelle accélé-ration de la déforestation en Amazonie.


Le Brésil est à nouveau au bord de l’effondrement, mais cette fois la crise n’est pas seu-lement économique. C'est un pays politiquement déchiré, en grande souffrance, où le dialogue entre les différents courants d’opinion est de plus en plus difficile. Il affronte une crise multidimensionnelle (sanitaire, sociale, économique, politique). Pourtant, au lieu de chercher à réduire une polarisation mortifère, de faire face au cataclysme, le chef de l’Etat ne se préoccupe que de sa clientèle de supporters et de ses fils qui ont maille à partir avec la Justice. Reste que la catastrophe annoncée ne peut pas être imputée au seul Président Bolsonaro, quelles que soit ses faiblesses, ses carences et l'irrespon-sabilité qu'il affiche sans complexe.


Le drame que traverse le premier pays d’Amérique du Sud depuis le début de 2020 met en évidence les lacunes, les oublis, les faiblesses de toute une génération de dirigeants et responsables. Il met en évidence les énormes défis que va devoir relever la nouvelle génération. Les pétitions défendant la démocratie qui circulent depuis quelques semai-nes dans les grandes villes du pays et les déclarations de leaders dénonçant avec véhémence les tartuferies, les incohérences et les inepties de Bolsonaro apparaissent comme très décalées par rapport à une réalité dramatique. Comme si l’on suggérait aux chômeurs et aux masses appauvries de choisir la brioche si le pain vient à manquer. Le débat lancé sur l’impeachment du Président (la destitution) est du même acabit. L’urgen-ce n’est pas de générer plus d’instabilité politique mais de lancer un programme permanent de revenu de base pour permettre aux dizaines de millions de victimes actuelles et futures de la crise sanitaire et économique de ne pas aller grandir les effectifs des miséreux ou ceux des morgues. La politique monétaire de la Banque Cen-trale (les autorités monétaires ont ramené le taux directeur à un niveau historiquement bas de 2,25% par an à la fin juin) est moins importante que la capacité du système bancaire à libérer effectivement des crédits pour les petites et moyennes entreprises. Pendant la crise sanitaire, les élus du Congrès ont enfin adopté une loi qui doit faciliter l’accès de tous les Brésiliens à l’eau courante et au tout-à-l’égout, une étape essentielle pour améliorer la capacité collective de résistance contre les grands problèmes de santé publique et notamment les épidémies. L’initiative louable est cependant chimérique. On ne voit pas comment des collectivités territoriales aux finances exsangues ou des con-cessionnaires privés appelés à la rescousse vont investir dans la distribution de l’eau et la collecte des eaux usées si le pays ne parvient pas à sortir rapidement de la récession historique dans laquelle il plonge aujourd’hui (la contraction du PIB sur 2020 pourrait approcher 10%).


Les Brésiliens sont habitués à affronter les crises et à les surmonter. La population a souvent manifesté une résilience exceptionnelle. En 1984, avec l’hyperinflation, la hausse des prix atteignait 200% sur un an. Après 20 ans de régime autoritaire, le pays faisait face à un endettement extérieur colossal et à une instabilité des prix permanente. La pauvreté progressait. La population a su alors choisir des responsables politiques et des dirigeants capables de tirer l’économie et la société d’une pareille ornière. En 1992, lorsque le Prési-dent Fernando Collor a été destitué, la plupart des forces politiques (y compris les partis d’opposition) ont soutenu le vice-président Itamar Franco. Les débuts de ce chef de l’Etat par intérim ont été difficiles mais un consensus s'est créé pour affronter le défi majeur à l'époque. C’est sous le gouvernement Franco (en 1994) que le pays a mis en œuvre le Plan Real qui a permis de rétablir la stabilité économique et de terrasser l’hyperinflation. Entre fin 2002, après la victoire de Lula au scrutin présidentiel, la transition politique entre le gouvernement Cardoso et celui d’un socialiste qui effrayait les marchés financiers a été exemplaire. Après quelques mois d’inquiétude marqués par une forte dépréciation de la monnaie nationale, la menace d’une inflation à deux chiffres et un effondrement de la bourse, Lula lui-même a su rassurer les investisseurs et le FMI (qui avait fourni un soutien et engagé avant l’élection un programme d’ajustement).


Une succession de crises a sans doute conduit les Brésiliens à relativiser des chocs qui traumatiseraient durablement d’autres sociétés. Voici un pays qui en moins de 40 ans sera parvenu vaille que vaille à surmonter les affres et les douleurs de la dictature, à vaincre une inflation débridée, à adopter une nouvelle Constitution, à s’engager sur la voir difficile de l’intégration sociale de dizaines de millions de pauvres. Depuis plusieurs décennies, tout se passe comme si le corps social et le monde politique abordaient une crise nouvelle comme s’il s’agissait d’une nouvelle secousse de plus qui sera finalement et fatalement surmontée. Un dicton populaire ne dit-il pas qu’à la fin tout ira bien et que si tout n’est pas encore parfait, c’est que la fin n’est pas encore arrivée….Le Brésil s’est habitué à marcher auprès du précipice, à côtoyer l’abîme.


Au cours des quatre derniers mois, il a cependant enregistré des dizaines de milliers de morts liées à l’épidémie du Covid-19 (les chiffres officiels sont une grossière sous-esti-mation du bilan réel). Il disposait pourtant d'un énorme avantage au début de cette pandémie. Il a eu le temps de voir le virus progresser en Europe avant qu’il ne débarque en Amérique du Sud. Il a l’expérience du combat contre les épidémies (Zika, dengue, etc…). Il pouvait anticiper le pic de la pandémie du coronavirus. En ce début de second semestre, le bilan se résume pourtant d’une expression terrible : le pays a tout fait de travers. Les hôpitaux se sont remplis. Les cimetières encore plus. Le provocateur Bolsonaro ne s'est pas contenté d'être irresponsable sur le plan sanitaire. Il a ajouté une crise institutionnelle et politique qu’il a largement alimentée, nourrie, relancé depuis le début de l’année. Entre les trois pouvoirs de l’Etat brésilien, le dialogue est désormais difficile, il est toujours armé. Au lieu de riposter unies au chef de l’Etat qui menace la démocratie, les oppositions se battent entre elles comme des crabes dans un panier étroit.


Le pronostic n’est malheureusement pas très risqué : le Brésil va sortir de 2020 plus pauvre, plus malade et en colère. De nouveau, il danse au bord de l’abîme. Les funam-bules qui sont supposés le guider n’ont cependant pas l’adresse de leurs prédécesseurs. Ils ne semblent même pas voir l'abîme.

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