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Photo du rédacteurJean Yves Carfantan

Défis et perspectives du gouvernement Lula(3).

L’enjeu de l'Amazonie.


Sur la scène internationale, le Brésil de Jair Bolsonaro était devenu un véritable paria. A peine élu, son successeur a été chaleureusement reçu par les participants de la COP 27 qui se déroulait en Egypte en novembre dernier. Lula a fait un discours vibrant, annon-çant que le Brésil était de retour, il a promis d’en finir avec la déforestation de l’Amazonie, de renforcer la surveillance de la région, de punir les groupes impliqués dans ce crime contre l’environnement. Cette promesse ne sera pas oubliée par le monde. Celui-ci n’attend pas de Lula qu’il reprenne la diplomatie prétentieuse engagée il y a vingt ans. Le contexte économique et géopolitique international, l’aggravation des tensions entre grandes puissances, la guerre en Europe ont dessiné un paysage nouveau qui ne permet plus au Brésil de caresser les ambitions qu’il affichait hier. Les crises politiques (scandales de corruption, destitution de Dilma Rousseff) et économiques (récession entre 2015 et 2016) ont détruit l’image de puissance émergente que voulait se donner le Brésil de Lula il y a à peine deux décennies.


Lula vient de prendre l’engagement

d’inverser radicalement le cours de

la politique environnementale du Brésil.


La communauté internationale attend d’abord que le Brésil reprenne des relations nor-males avec le monde. La "diplomatie" de l’Administration Bolsonaro a isolé le pays. Le Président sortant a aligné sa politique internationale sur celle du populiste D. Trump. Il a rompu avec une tradition brésilienne de non-alignement et de dialogue avec tous les pays proches d'Amérique latine. A plusieurs occasions, des proches du chef de l’Etat ont suscité des tensions inutiles avec la Chine, désormais premier partenaire commercial du Brésil. Les relations du pays avec la plupart des nations européennes se sont dégradées. Elles ont été réduites au strict minimum avec les Etats-Unis, lorsque J. Biden a succédé à D. Trump. Au lieu de renforcer une politique de préservation du patrimoine naturel et de la biodiversité, cette administration a favorisé l’action de toutes les forces criminelles qui détruisent ce patrimoine, organisent ou facilitent la déforestation, Elle a évidemment abandonné tout leadership international dans le domaine désormais crucial de la diplo-matie environnementale.


Luiz Inácio Lula da Silva à la COP27 des Nations-Unies, en Egypte (novembre 2022).


Lula vient de prendre l’engagement d’inverser radicalement le cours de la politique envi-ronnementale du Brésil. Il a précisément évoqué la situation de l’Amazonie. Désormais, sauf à se déjuger et à voir sa crédibilité internationale s’effriter rapidement, il doit placer cet enjeu au cœur d’une diplomatie volontariste et de politiques intérieures à la hauteur de l’enjeu. La préservation de l’environnement et la lutte contre le changement clima-tique ne sont plus des slogans de campagnes électorales. Ces enjeux sont désormais au centre du dialogue et de la coopération entre les Etats. Si le Brésil souhaite sortir rapi-dement de son relatif isolement, il devra montrer dès 2023 que sa diplomatie et sa politique intérieure peuvent répondre aux attentes du monde de ce début du XXIe siècle. La diplomatie devra servir un objectif central : montrer que le Brésil est désormais effecti-vement capable d'assumer le rôle-clé qui lui revient dans la lutte contre le changement climatique. Au Brésil et dans sa région, cela signifie prouver que les Etats voisins peuvent protéger la forêt amazonienne. Dans le nouveau contexte des relations internationales, qu’il s’agisse de commerce, d’investissements, de sécurité ou de capacité d’influence sur la scène mondiale, la forêt amazonienne est désormais le principal actif et le principal passif de la diplomatie brésilienne.


A cet engagement diplomatique attendu doit correspondre une politique intérieure vi-sant à transformer la région amazonienne en un territoire où prévaut la sécurité, où les ressources naturelles sont effectivement préservées, où de nouvelles perspectives de développement sont offertes aux populations locales.


Un passif de plus en plus lourd.


La forêt amazonienne est aujourd’hui et plus que jamais le principal actif stratégique du pays dans le contexte géopolitique qui est celui du début du XXIe siècle. Le Brésil repré-sente 64% de la superficie totale couverte par la plus grande forêt tropicale du monde. Celle-ci s’étend par ailleurs sur sept autres pays frontaliers. Elle fournit entre 16 et 20% de la ressource en eau douce de la planète, représente 25% de la biodiversité terrestre, abrite 10% de toutes les espèces de faune sauvage. La biodiversité du bassin amazonien est fondamentale à l’échelle du globe parce qu’elle influence directement le cycle du carbone, le climat et le régime des pluies (au moins à l’échelle de l’Amérique du Sud). Cet actif stratégique, le Brésil le défend depuis des lustres au niveau des discours. Il n’a pas cessé de dénoncer au cours des siècles les velléités d’invasion du bassin amazonien prê-tées à des puissances étrangères. Il a régulièrement proclamé qu’il avait la volonté et les moyens d’exercer sa souveraineté sur le vaste territoire, d’y imposer le règne de la loi et de l’intégrer à la nation. Désormais, il doit passer rapidement du discours aux actes. Le temps est compté.


La forêt amazonienne est aujourd'hui

et plus que jamais le principal actif

stratégique du Brésil.


La région est restée largement isolée du reste du pays jusqu’au début du XXe siècle. Pendant l’Estado Novo (1937-1945), avec sa "marche vers l’ouest", le gouvernement Vargas encourage pour la première fois le peuplement du bassin amazonien (l’émigration depuis le sud du pays est organisée) et l’essor économique. Plus tard, entre 1964 et 1985, les militaires qui ont instauré un régime autoritaire privilégient également ces objectifs de peuplement et d’intégration économique. Il faut occuper l’Amazonie pour la protéger des convoitises de pays étrangers (ocupar para não entregar). L’Etat construit alors des routes qui relient le Nord au reste du territoire national. Il facilite l’installation sur la région de populations venues du sud ou du sud-est. Ces migrants de l’intérieur ont l’obligation de détruire la forêt sur les terres où ils s’établissent. Après 1985, avec le retour de la dé-mocratie, l’Etat fédéral lance une politique de préservation de l’environnement. Un mi-nistère fédéral de l’environnement est créé. Un peu plus tard, en 1989, ce ministère est doté d’un organe chargé de faire appliquer à l’échelle du pays la législation de protection du patrimoine naturel, de la biodiversité et des ressources environnementales : l’Instituto Brasileiro do Meio Ambiente e dos Recursos Naturais Renováveis (IBAMA). En 2007, Brasilia crée l’Instituto Chico Mendes Bio (ICMBio) chargé de gérer des réserves naturelles et aires protégées. Ces deux agences ont la mission de veiller à ce que la législation environ-nementale soit appliquée et respectée sur le bassin amazonien. Elles doivent renforcer dans leurs domaines d’action la mission de contrôle et de répression exercée par la Po-lice Fédérale et les forces de sécurité locales.


Le Brésil a constamment répété avec véhémence qu’il était maître chez lui sur près des deux tiers de la forêt amazonienne. En réalité, il n’a jamais pu démontrer qu’il pouvait as-surer sur cette énorme portion de son territoire le respect de la loi. Ce constat, tous les Brésiliens informés le partagent. C’est aussi le cas de toutes les ONGs nationales ou étrangères qui interviennent sur la région amazonienne. Plus discrets, les diplomates en postes à Brasilia savent bien que le bassin amazonien brésilien est souvent une zone de non-droit, que l’intervention et les moyens des agences fédérales chargées de l’en-vironnement y sont insuffisants. A ces carences, récemment, sous Bolsonaro, s’est ajoutée une politique visant à favoriser l’essor du crime sous toutes ses formes dans la région


Après avoir fait les promesses évoquées plus haut devant la COP 27, le futur Président doit donc s’attendre à voir son action surveillée, évaluée et jugée avec rigueur par tous les acteurs concernés, qu’ils soient Brésiliens ou étrangers. L’enthousiasme de ces acteurs est d’abord un soulagement. Lula a été élu pour un troisième mandat après plu-sieurs années de dégradation accélérée de la situation en Amazonie. Depuis 2015, les agences fédérales chargées de protéger la forêt connaissent des difficultés financières. Le bilan du gouvernement sortant en matière de lutte contre la déforestation est cata-strophique. Sous l’Administration Bolsonaro, chaque année, la forêt a perdu en moyenne 11 396 km2 (contre 7145 km2/an entre 2015 et 2018). La déforestation a progressé depuis 2019 alors que les moyens financiers, matériels et humains des organismes de sur-veillance et de répression étaient considérablement réduits. Sur les quatre dernières an-nées, la législation a été flexibilisée et les peines encourues par les auteurs de crimes contre l’environnement allégées. Pour l’essentiel, le ministère fédéral de l’environnement a plus encouragé la poursuite de crimes environnementaux qu’il n’a freiné une dynami-que de destruction du patrimoine naturel. La première tâche du futur gouvernement est donc de remettre sur pied tout le dispositif fédéral de surveillance de l’immense région et de répression de tous les crimes qui y sont perpétrés, en particulier l’exploitation illé-gale de la forêt et des nombreuses ressources naturelles qu’elle abrite. Les organismes fédéraux spécialisés doivent retrouver des moyens financiers, humains, être rééquipés.


Taux annuel de déforestation en Amazonie (Km2).

Source : INPE.


L’Etat doit mettre en œuvre un nouveau plan de prévention et de contrôle de la défo-restation. Il faut d’abord relancer les actions et les mesures engagées il y a vingt ans, lors-que le gouvernement et les autorités locales étaient parvenues à réduire le taux annuel de déforestation. A l’époque, le renforcement des moyens mis à la disposition des or-ganes fédéraux de protection de l’environnement, le durcissement d’une législation ré-pressive, le développement des moyens de surveillance (satellites), l’expansion des zo-nes dites protégées (terres indiennes, unités de conservation), des restrictions sur le cré-dit à l’agriculture [1], la création d’un fonds pour l’Amazonie (soutenant des initiatives de diversification de l’économie locale), l’identification de communes prioritaires : tout cela avait permis de réduire le rythme de destruction de l'énorme actif environnemental et géopolitique qu'est la forêt amazonienne.


Influence croissante du crime organisé.


La relance de telles initiatives est désormais urgente. Elle va exiger des moyens finan-ciers qui dépasseront les ressources sur lesquelles peut compter le gouvernement Lula à ses débuts [2]. Le Brésil aura besoin de faire appel à des apports de fonds interna-tionaux. Le principal mécanisme existant est le Fonds Amazonie qui reçoit des donations de pays qui veulent contribuer à la préservation et à la surveillance de la forêt. Déjà, après l’élection de Lula, la Norvège et l’Allemagne ont annoncé une reprise des transferts au bénéfice du fonds. Pour convaincre ces donateurs de respecter leurs promesses et en motiver d’autres, le gouvernement de Brasilia ne pourra pas se contenter de reprendre demain le plan mis en œuvre avec succès il y a vingt ans. Le contexte est radicalement différent. La forêt amazonienne est devenue une vaste zone où s’est imposée la loi du crime organisé. C’est le crime organisé et de dimension internationale qui impose sa loi sur tous les pôles où un marché des titres fonciers frauduleux prospère, où les trafics illégaux (de bois, de métaux précieux) se développent, où la forêt est systématiquement détruite [3].


Depuis quarante ans, c’est

par centaine que l’on compte

les victimes assasinées par le

crime organisé en Amazonie.


Réduire cette entreprise de destruction signifie donc avant tout mener une véritable guerre contre les réseaux criminels animés par des groupes venus du Sud-Est du Brésil et travaillant souvent en partenariat avec d’autres organisations étrangères. Les bandes criminelles brésiliennes se sont d’abord implantées dans les villes du nord du pays. Elles ont ensuite essaimé sur les zones de forêts, notamment à proximité des frontières. Leur activité principale est le narcotrafic et l’acheminement des drogues depuis la Colombie, le Pérou ou la Bolivie vers les ports brésiliens et l’Europe. Ces réseaux contraignent les ethnies indiennes vivant sur des terres (en principe) protégées et dont elles ont l’usage exclusif à participer à leurs activités. Ils instrumentalisent, organisent et développent toutes les activités illégales qui conduisent à la déforestation (négociation de titres fon-ciers frauduleux, production et commerce illégaux de bois en grumes issus de la forêt amazonienne, orpaillage non autorisé, pêche clandestine) : cette "diversification" leur per-met de blanchir les ressources dégagées par la commercialisation des drogues. Tous les acteurs (leaders indiens, populations locales traditionnelles, exploitants forestiers lé-gaux, etc…) qui vivent dans la forêt sont systématiquement contraints de travailler avec ces bandes criminelles. S’ils refusent de se soumettre, ils sont chassés ou éliminés physi-quement.


Périmètres d'orpaillage clandestin ouverts dans la forêt amazonienne.


Depuis quarante ans, c’est par centaines que l’on compte les victimes de ce crime orga-nisé (journalistes, représentants d’ONG, chefs traditionnels indiens, experts scientifiques, etc…). Plusieurs assassinats ont eu une répercussion internationale. En juin 2022, Bruno Pereira, un agent de la Funai [4], grand connaisseur de plusieurs sociétés traditionnelles indiennes et Dom Phillips, un journaliste britannique spécialiste de la forêt étaient as-sassinés sur la terre indigène de la Vallée du Javari, à l’ouest de l’Etat d’Amazonas. Cha-cune des victimes était un défenseur de la forêt et des peuples qui y vivent. Cette tra-gédie médiatisée n’est qu’un exemple d’une longue liste. Il faut rappeler ici l’assassinat de la religieuse américaine Dorothy Stang en 2005, également sur la région amazonienne, ou celui de Chico Mendes, un exploitant de latex, en 1988.


Les réseaux criminels en question cherchent à soudoyer les décideurs publics locaux (gouverneurs, maires, parlementaires), voire à les intégrer à leurs activités. La corruption est donc pratiquée à large échelle. Pour cette raison, l’action des forces de répression est limitée ou épisodique quand elle n’est pas purement et simplement destinée à éviter des investigations judiciaires sérieuses et approfondies.


S'il veut respecter sa parole,

le gouvernement Lula devra

engager des opérations

militaires de grande ampleur.


Les filières que contrôlent ces bandes criminelles possèdent évidemment d’importantes ramifications internationales. La cocaïne qu’elles acheminent par la forêt provient du Pérou ou d’autres pays frontaliers à l’est du Brésil. En 2015, la surface cultivée en coca sur le département péruvien de Loreto (qui borde la frontière brésilienne) était de 15 000 hectares. Cette zone de production représente aujourd’hui quelques 25 000 hectares. Dans cette région péruvienne, personne ne plante de coca pour mâcher les feuilles. L’ob-jectif est de produire de la cocaïne destinée au Brésil. La drogue est acheminée vers les capitales du pays ou vers ses ports ou aéroports. De là, elle est expédiée vers les mar-chés européens (via l’Afrique éventuellement). D’autres trafics sont aussi transnationaux. C’est le cas du mercure utilisé sur les sites d’orpaillage clandestin pour séparer le métal précieux de la roche. Le Brésil n’est pas producteur. Le produit doit donc être importé. Les campements d’orpaillage clandestin installés dans la forêt amazonienne reçoivent d’importantes quantités de mercure depuis la Bolivie ou la Colombie [5]. Face à ces tra-fics, au Brésil comme dans les pays voisins, les moyens humains et financiers, les équi-pements dont disposent les forces de répression et les institutions judiciaires sont dé-risoires. La coordination entre les Etats concernés reste très insuffisante, quand elle existe.


Ce sont donc des opérations militaires de grande ampleur que va devoir engager le gou-vernement Lula s’il veut respecter sa parole. Ces opérations ne peuvent pas être effica-ces si elles ne sont pas conduites en étroite coopération avec les forces armées des pays voisins. La diplomatie environnementale que prétend relancer le Président élu doit com-mencer par des négociations d’un type nouveau avec les gouvernements des autres pays de l’Amazonie. Objectif prioritaire : engager des opérations policières et militaires communes et coordonnées contre la grande criminalité qui commence à administrer d’amples portions des territoires nationaux respectifs. En parallèle, les huit Etats con-cernés [6] vont devoir engager un programme de diversification des économies de la région. Il s’agit d’offrir des alternatives aux populations (généralement pauvres) qui sur-vivent grâce à des activités illégales et contribuant à la déforestation. Pour pouvoir miser sur un concours financier substantiel de nations développées et d’agences interna-tionales, les gouvernements du bassin amazonien devront créer un mécanisme d’éva-luation de la politique de répression et de préservation auquel participeront les dona-teurs. C’est là l’autre chantier auquel doit s’atteler sans tarder les diplomates brésiliens et ceux des Etats voisins. Il est tout à fait illusoire d’anticiper aujourd’hui un concours signi-ficatif de bailleurs de fonds internationaux (publics ou privés) si ces derniers ne disposent pas d’un droit d’ingérence dans la conduite de la politique amazonienne des huit pays directement concernés.


Erédication du crime : huit pays concernés.


Si cette offensive multiforme et internationale n’est pas engagée, les concours financiers internationaux seront rares. L’emprise de la grande criminalité sur le bassin amazonien continuera à progresser. La souveraineté brésilienne, péruvienne ou française sur d’im-portants secteurs de la forêt deviendra définitivement un leurre. A l’échelle du sous-con-tinent, l’Amazonie deviendra une vaste enclave aux mains de forces criminelles, à l’image de ce que sont aujourd’hui plusieurs régions du Mexique. Si l’Etat de droit n’est pas restauré et la déforestation rapidement réduite, le Brésil contribuera de plus en plus aux émissions de gaz à effet de serre, c’est-à-dire au changement climatique [7]. Ce simple fait contribuera à dégrader davantage l’image internationale d’un pays qui sera perçu comme l’un des principaux responsables d’un dérèglement climatique catastrophique, un Etat suicidaire qui aura dilapidé son principal actif environnemental et géopolitique.


Les processus de destruction de la biodiversité et de l’environnement se poursuivront. Rapidement, la forêt atteindra ce que les scientifiques appellent le point de non-retour, lorsque la forêt atteint un niveau tel de dégradation qu’elle ne parvient plus à se régé-nérer et entre dans un processus de savanisation. Selon les scientifiques, ce point de non-retour est atteint lorsque le taux de destruction de la forêt se situe entre 20% et 25%. Le premier taux sera dépassé avant la fin de la décennie si le rythme de déforestation observé sur les dernières années est maintenu. Déjà, les effets sur le climat du bassin amazonien sont clairement perceptibles. Au nord de l’Amazonie, la saison sèche est plus longue et celle des pluies plus courte. Les précipitations plus concentrées sont néan-moins stables. Cela signifie que les phénomènes d’inondations sont plus fréquents et puissants. Au Sud du bassin, on note une élévation de la température moyenne, un allon-gement de la période de sécheresse et une diminution des précipitations.


Sans arrêt de la déforestation

les filières exportatrices seront

directement affectées.


Ces évolutions ont aussi un impact sur le régime des pluies au Sud du Brésil est dans les pays proches. L’Amazonie est la région où se forment les concentrations de nuages qui se dirigent ensuite vers le Sud du continent, les fameuses "rivières volantes". Selon les ex-perts en climat, l’allongement de la saison sèche observée depuis quelques années au Sud et au Centre-Ouest du Brésil et la diminution des précipitations peuvent à terme limiter les perspectives de développement de l’agriculture, la modification du régime des pluies générant des baisses de rendement, voire l’impossibilité de maintenir les cultures affectées. Ce changement climatique ne touchera pas que le secteur agricole. Il affectera tout le système électrique national, largement basé sur l’hydroélectricité, et entraînera une hausse sensible des coûts que devront assumer tous les utilisateurs. En 2021, avec la plus grande période de sécheresse observée depuis 90 ans, plusieurs régions du sud-est et du centre-ouest ont été confrontées à une baisse historique des réserves en eaux des barrages hydroélectriques. Pour maintenir l’alimentation du réseau, les autorités ont dû mettre en fonctionnement des centrales thermoélectriques à gaz qui fournissent une énergie bien plus onéreuse. Cette conjoncture a pénalisé les ménages mais aussi de nombreux secteurs industriels et activités de service grands utilisateurs d’électricité.


Soulignons enfin une dimension essentielle. Dans un tel scénario, les filières exportatrices brésiliennes (et notamment les filières agricoles et alimentaires) verront leurs débouchés se réduire à l’extérieur du pays. Ce risque n’est désormais plus théorique ou lointain. Le marché européen pourrait désormais (dans moins de deux ans) refuser les produits exportés par le Brésil qui proviendraient de filières liées à la déforestation (voir encadré).



La politique mise en œuvre sur le marché européen servira sans doute d’exemple dans d’autres régions du monde concernées par l’importation de produits liés à la défores-tation. Dans l’avenir, la conduite de la Chine (premier client à l’exportation des filières agricoles brésiliennes) sera évidemment un élément décisif.


Ajoutons encore un dernier point ici. Ce n’est pas seulement l’expansion des exportations brésiliennes qui est concernée à une échéance désormais rapprochée. De plus en plus, les investisseurs étrangers vont prendre en compte l’efficacité de la politique envi-ronnementale conduite par le Brésil avant d’envisager de financer des projets à l’intérieur du pays. De nombreux fonds d’investissement ont déjà manifesté une grande prudence pendant le mandat de Jair Bolsonaro. Ils persisteront si le prochain gouvernement ne montre pas concrètement que l’enjeu amazonien est désormais au cœur de sa politique de sécurité intérieure, de préservation de l’environnement et de coopération avec le reste du monde. Dans un monde d'hypercommunication, aucun agent économique ne peut prendre le risque de dégrader son image.


A la COP 27 de novembre 2022, Lula a pris un engagement majeur. Désormais, le rôle et la place occupés par le Brésil dans le monde vont dépendre des efforts que le prochain gouvernement fédéral fera avec les pays voisins pour faire de la première forêt tropicale du monde un espace où prévaut l’état de droit, où la biodiversité est protégée, où de nouvelles perspectives de développement économique sont ouvertes aux populations locales. Le chantier prendra du temps, dépassera la durée d’un mandat. Le Brésil et les pays voisins doivent pourtant convaincre rapidement qu’ils ont pris la mesure de l’enjeu. Sinon, le monde qui participait à la COP27 et la majorité des Brésiliens auront le senti-ment d'avoir été trompés par un politicien populiste ravi de séduire mais incapable de se mettre à l'heure des enjeux du XXIe siècle.


A suivre : vers un grand retour de Dilma Rousseff ?


 

[1] Une législation interdisait alors l’octroi par les banques de prêts pour des projets agri-coles localisés en Amazonie et dont l’impact sur le milieu naturel pouvait être problé-matique. [2] Dans la loi budgétaire de 2023 dont l’adoption n’est pas encore finalisée, le Ministère de l’environnement disposerait d’un crédit total de 2,96 milliards de BRL (538 millions d’euros), soit 6,4% de moins qu’en 2022. Le budget mis à disposition de l’Ibama serait de 1,7 million de BRL et celui de l’ICMBio atteindrait 711 000 BRL. Ces crédits sont dérisoires. [3] L’essor et l’emprise de réseaux criminels sur le bassin amazonien ont fait l’objet de nombreuses recherches documentées. On peut citer ici les études de l’Institut Igarapé (Rio de Janeiro) et du Forum Brasileiro de Segurança Pública. Voir notamment (versions en langue anglaise) : - Instituto Igarapé, The ecosystem of environmental crime in the Amazon: an analysis of illicit rainforest economies in Brazil (2022), document disponible sur le site : https://igarape.org.br/en/the-ecosystem-of-environmental-crime-in-the-amazon-an-analysis-of-illicit-rainforest-economies-in-brazil/ - Forum Brasileiro de Segurança Pública, Mapping of the violence in the Amazon region (2021), document disponible sur le site : https://forumseguranca.org.br/wp-content/uploads/2021/11/violencia-amazonica-ingles-v3-web.pdf [4] Agence fédérale chargée de la protection des ethnies indiennes vivant sur les terres qui leur sont attribuées. [5] Le bassin amazonien possède un potentiel aurifère avéré. L’activité d’exploitation de l’or à petite échelle (qu'elle soit légale ou illégale) fait partie du paysage économique lo-cal. L’orpaillage se développe sur les cours d’eau. Très souvent illégale, en plein dévelop-pement depuis quelques années, l’extraction de l’or est souvent liée à des réseaux criminels. C’est une des causes majeures de la déforestation pratiquée pour l’installation des camps d’exploitation. Elle entraîne aussi une destruction des sols, l’intensification de l’érosion, la destruction du lit des rivières, ou encore la pollution aux matières en suspension, et également au mercure. Les techniques d’extraction utilisées, à base de mercure sont à l’origine d’un rejet important de cet élément chimique dans les cours d’eau. Lorsqu’il intègre les milieux aquatiques, des bactéries le transforment en méthyl-mercure, composé facilement assimilable par les êtres vivants et neurotoxique puissant. La contamination mercurielle, peut ainsi se concentrer le long des chaînes alimentaires aquatiques, atteignant des concentrations particulièrement importantes dans la chair des poissons carnivores. Il en découle une contamination des populations locales dont c'est la nourriture quotidienne. [6] Bolivie, Equateur, Pérou, Colombie, Guyana, Surinam, Brésil et.... France (Guyane). [7] La déforestation est à l’origine de 40% des émissions brutes de gaz à effet de serre au Brésil. C'est le premier vecteur d'émissions, devant le secteur de l’énergie et les activités agricoles. Si la déforestation se poursuit au rythme actuel, le Brésil dépassera rapide-ment les limites d’émissions qu’il s’est engagé à respecter dans le cadre de l’accord de Paris de 2015 [8]Le Parlement européen et le Conseil doivent adopter formellement le nouveau règle-ment avant qu’il puisse entrer en vigueur.

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