Le dollar avait enregistré un repli par rapport au real entre mai et juillet dernier, lorsque les marchés ont été convaincus que la réforme des régimes des retraite en discussion au Congrès depuis mars allait effectivement être adoptée. Le billet vert a pourtant recom-mencé à s’apprécier dès la mi-juillet pour passer au-dessus de la barre symbolique des 4 réais à la fin août et ne plus revenir ensuite en dessous de ce niveau, sauf pendant un court intervalle sur les derniers jours d’octobre. Ce mouvement d’appréciation obéit évidemment à un ensemble de causes : l’accumulation récente de soldes commerciaux négatifs, la baisse des taux d’intérêts réels brésiliens, la désaffection des investisseurs étrangers par rapport à la bourse, la vigueur de l’économie américaine, le conflit commercial entre les Etats-Unis et la Chine. La liste pourrait être prolongée. Un facteur doit cependant être mis en évidence. Il est particulièrement préoccupant en cette fin d’année : les investisseurs ne croient plus au gouvernement de Jair Bolsonaro.
Pendant les cent premiers jours, cette administration a bénéficié d’un état de grâce et de la sympathie des marchés. Le succès qu’a représenté le vote de la réforme des retrai-tes a entraîné un prolongement au-delà des délais normaux de cette lune de miel. Sur quelques mois, le gouvernement fédéral est parvenu à multiplier les bons résultats en matière de gestion budgétaire. L’objectif d’excédent primaire a été facilement atteint. L’inflation est restée sous contrôle et la Banque Centrale a pu assouplir sa politique monétaire, suivant en cela le mouvement de baisse des taux directeurs observé dans de nombreux pays. Tout cela constituait une entrée en matière facile pour le nouveau gou-vernement. L’Administration de Michel Temer avait déjà largement préparé le terrain entre août 2016 et fin 2018. Néanmoins, dès la fin du premier semestre de 2019, analystes et investisseurs se sont interrogés : une fois l’étape des retraites franchie, les autres pro-jets du Ministre de l’économie Paulo Guedes seront-ils rapidement mis en œuvre ? Pour tenter d'étouffer ce scepticisme, l’exécutif a lancé dès le premier semestre de 2019 un ensemble de propositions ambitieuses, séduisantes et répondant aux attentes des mar-chés (privatisations massives, concessions de services publics, réduction des privilèges de la haute fonction publique, ouverture de l'économie, etc..). Cette profusion de projets mirobolants n’a pas suffi à rassurer. Les observateurs savent qu’ils émanent d’un gouver-nement qui a refusé de constituer une majorité parlementaire stable et large, qui se récuse à négocier avec le pouvoir législatif. Les projets de l’exécutif forment un cata-logue de bonnes intentions, de vœux sincères mais politiquement irréalistes. Les in-vestisseurs anticipent que les grands chantiers envisagés par Paulo Guedes seront certainement dénaturés ou limités à des ajustements insignifiants par un Congrès qui entend défendre ses prérogatives et ne partage pas les convictions libérales radicales du ministre. Ces investisseurs connaissent aussi le calendrier électoral brésilien. Ils estiment qu’à l’approche des élections municipales d’octobre 2020, les parlementaires ne seront guère disposés à rogner les avantages des fonctionnaires, à refonder la fiscalité ou à abaisser les protections commerciales. Le programme audacieux de Paulo Guedes sera donc remis à plus tard ou tout simplement abandonné.
Evolution du taux de change du dollar par rapport au réal depuis l'élection de
Jair Bolsonaro (1 USD = BRL).
Source : CEPEA.
Les observateurs savent encore que le réajustement des régimes de retraites adopté en octobre sera insuffisant pour permettre une réduction rapide du déficit budgétaire et une stabilisation de la dette publique. Equivalente à 80 % du PIB en cette fin d’année, celle-ci devrait continuer à augmenter au moins jusqu’en 2022 selon le scénario le plus probable. Les premiers débats parlementaires sur une éventuelle refonte de la fiscalité (destinée à réduire les charges des entreprises) ont montré qu’aucun consensus n’existait sur la question au Congrès. La réforme des administrations publiques (visant à réduire les salaires et autres avantages des agents) va rester lettre morte. Les appels d’offre pour la mise en exploitation de nouveaux sites off-shore de production de pétrole ont été déce-vants (seuls des opérateurs chinois ont rejoints la firme nationale Petrobras pour acquérir des concessions). Les Etats fédérés sont presque tous au bord de la faillite. Pour assom-brir ce tableau, à peine sorti de prison, l’ancien président Lula cherche à rassembler tous les opposants au pouvoir, mobilise toutes les victimes de la crise économique récente et prône un retour à la politique qui a largement contribué à la récession historique dont le pays sort très lentement. L’équipe gouvernementale est désormais convaincue que le leader de la gauche peut plonger le Brésil dans un climat de convulsions sociales sem-blable à celui que connaissent depuis octobre les pays voisins.
La patience qu’ont manifesté les marchés pendant dix mois à l’égard de l’Admi-nistration Bolsonaro est épuisée. L’exécutif apparaît comme incohérent, désordonné, occupé à des polémiques idéologiques inutiles, mal préparé pour affronter une crise politique dont il favorise l’aggravation. Le Président proclame et répète qu’il n’entend pas grand-chose à l’économie. Le ministre en charge de ce portefeuille n’entend pas grand-chose à la politique. Longtemps perçu comme une personnalité modérée au sein d’une Administration où les militants d’extrême-droite admirateurs de la dictature militaire (1964-1984) donnaient le ton, Paulo Guedes semble lui-même avoir rejoint le camp des radicaux. Face au risque anticipé d’une explosion sociale qui serait encouragée par le parti de Lula et placerait le Brésil au diapason de ses voisins, le ministre dérape. Il n’hésite plus à évoquer une rupture de l’ordre constitutionnel. Lors d’un interview donné à l’occasion d’un voyage aux Etats-Unis, il est allé récemment jusqu’à envisager le re-cours à des mesures comparables à celles prises pendant le régime militaire (fermeture du Congrès, suspension de l’Etat de droit) pour affronter la mobilisation que susciteraient les partisans de Lula. Tenu sur un ton badin devant des investisseurs interloqués, éma-nant d’une figure du gouvernement qui devrait afficher la plus grande retenue, le propos a suscité l’inquiétude. Il a encouragé les marchés à envisager le pire scénario.
L’avenir économique immédiat est en effet plein d’incertitudes. Certes, le chômage recule. Longtemps plongé dans une profonde léthargie, l’industrie donne des signes de reprise. C’est aussi le cas de la construction et des services. On annonce une croissance de plus de 2% sur l’année 2020 (après un rythme timide de 1% en 2019). Ces prophéties suscitent cependant un grand scepticisme. Depuis plusieurs saisons, en début d’année, les prévisionnistes annoncent une progression sensible du PIB pour revoir ensuite systé-matiquement à la baisse leurs pronostics au fil des mois. Qui peut garantir que 2020 ne sera pas une répétition de ce scénario désormais récurrent ? Au lieu de chercher à susciter la confiance, le ministre de l’économie annonce dans la même interview qu’il convient de s’habituer dorénavant à un dollar élevé… Elevé jusqu’à quel niveau ? Face à une telle résignation, la réaction de tous les investisseurs est une réaction de prudence… Les opérateurs étrangers observent que la plus grande confusion s’est emparée de la politique nationale, que l’environnement régional est des plus instables, que le gouver-nement de Brasilia sera probablement paralysé sur les prochains mois, voire au-delà. Séduits dans un premier temps par cette Administration, les marchés sont saisis depuis octobre par une grande irritation. Les investisseurs "gringos" n’ont plus qu’une idée en tête : bye, bye, Brazil…
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