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Photo du rédacteurJean Yves Carfantan

Une élection qui annonce celle de 2026 (3).


Le début de la fin de l'ère Lula ?


La question est récurrente à chaque veille de scrutins municipaux : les choix que feront les électeurs pour des consultations par nature locales auront-ils une portée et une signification nationales, permettront-ils de dessiner déjà le paysage et les rapports de force politiques qui prévaudront lorsque les Brésiliens seront convoqués pour des élec-tions générales ? L’expérience historique montre que depuis le retour à la démocratie (1985), les résultats des municipales ont souvent permis d’anticiper ceux des élections législatives fédérales qui ont lieu deux ans plus tard. Dans le système politico-institu-tionnel brésilien, le chef de l’exécutif fédéral est très dépendant du Congrès où il doit constituer une majorité de parlementaires appuyant ses projets politiques. Même si l’is-sue d’un scrutin municipal n’autorise pas à faire des pronostics définitifs sur le sort que réservera la prochaine consultation présidentielle aux personnalités en lice, il constitue un sérieux baromètre politique. Pour Lula, ce baromètre est préoccupant. Il montre que la politique qu'il conduit ne mobilise guère, n'enthousiasme pas, est très éloignée des préoccupations et aspirations de la majorité des Brésiliens. Cette distance entre le pouvoir et les attentes de la population doit être absolument réduite pour que Lula puisse envisager une réélection en 2026. La gauche et son leader ont un peu plus d'un an (dès le début 2026, le Brésil entrera en campagne) pour mettre en oeuvre un véritable aggionarmento. Il est peu vraisemblable qu'ils parviennent à réaliser en un temps si court ce qu'ils n'ont pas fait depuis des années.


Lula peut-il envisager un quatrième mandat à partir de 2027 ?


Un Brésil conservateur mais moins radical.


Le verdict est tombé dès le lendemain du premier tour du 7 octobre dernier : les partis du centre et de droite sont les grands vainqueurs du scrutin municipal. Les maires élus ou réélus qui assumeront la direction des 5569 municipalités appartiennent pour plus de 86% d’entre eux à ces familles politiques. Ce résultat n’a pas vraiment surpris. Les partis vainqueurs n’ont pas de programme et d’orientation politique bien définis. Ce sont des organisations assez opportunistes, capables de faire alliance avec toutes les majorités pour décrocher des postes de pouvoir et accéder à des fonds publics. Elles accueillent et soutiennent donc facilement des notables locaux qui entendent péren-niser les mandats conquis en adoptant un profil idéologique attrape-tout. Elles forment ce que les observateurs de la vie parlementaire désignent sous le terme de centrão, un ensemble de forces qui se rallient au pouvoir exécutif dès lors que celui-ci est disposé à leur offrir postes et contrôle de lignes budgétaires.


Ces partis du centrão sont aussi ceux qui dominent le Congrès. Pour cette raison, ils ont pu mobiliser des fonds d’origine publique considérables (1) pour leurs campagnes et avaient avant le scrutin conforté les caisses des municipalités tenues par leurs adhérents grâce à la multiplication d’amendements budgétaires . La proportion de maires réélus en octobre dernier (80%) est sans précédent depuis vingt ans. Dans les 112 communes qui ont reçu le plus de crédits au titre de ces amendements, le taux de réélection atteint 93,7%. La majorité des amendements exécutés sur les quatre années de mandats de ces maires sortants ont été sollicités par des députés et sénateurs du fameux centrão qui cherchaient ainsi à entretenir leurs clientèles locales, à garantir la réélection de ces élus municipaux qui sont leurs précieux alliés et agents électoraux au niveau des communes. En multipliant les amendements, les parlementaires du centrão ont renforcé la capil-larité des réseaux régionaux et locaux qu’ils mobilisent à chaque élection nationale. Ils seront remerciés dans deux ans lorsque les centaines de maires et des milliers de vereadores qu’ils ont aidé à gagner feront campagnes pour eux, seront leurs agents électoraux les plus efficaces, assureront leurs réélection et l’arrivée de nouveaux élus du centrão au Congrès.


La victoire de la droite et du centre comporte aussi sa part de surprise. Elle marque un changement par rapport à la dynamique qui avait porté à la tête du pays l’extrêmiste J. Bolsonaro en 2018. Les partis qui ont élu le plus de maires et de vereadores ne sont pas seulement des organisations travaillées par le clientélisme, disposées à accepter toutes les alliances en échange de faveurs. Ce sont aussi des formations modérées, animées à l’échelle locale par des leaders politiques souvent soucieux de répondre aux attentes de la population, moins obsédés par les confrontations idéologiques qui déchirent le pays depuis des années. Les principales victoires (au niveau des grandes villes notamment) remportées par ces formations attestent d'un affaiblissement relatif de l’extrême-droite bolsonariste. En 2018, il y a six ans, cette droite radicale gagnait l’élection présidentielle et s’imposait comme une force majeure au Congrès. Elle avait su capter et exploiter habilement le désespoir et la peur qui travaillait de larges secteurs de la population. Elle dressait alors un bilan complet des échecs (criminalité galopante, éducation, bureau-cratie envahissante, récession historique entre 2015 et 2016), des promesses non tenues et des turpitudes (des scandales de corruption sans précédent depuis le retour de la démocratie) de la gauche au pouvoir.


Cette extrême-droite autoritaire apparaissait hier comme une alternative moralisatrice, une force désignant un ennemi et engageant une stratégie pour le combattre. Le diag-nostic de tous les problèmes de la société brésilienne (et des souffrances des couches les plus modestes) qu’elle proposait était simple. L’insécurité publique, l’inefficacité des services publics, la bureaucratie effrayante imposée aux PME et aux entrepreneurs individuels, l’impuissance des élites et des institutions démocratiques, l’éclatement des familles dans les milieux les plus pauvres : tous ces maux étaient les symptômes d’une corruption morale généralisée. Cette corruption servait "les intérêts du système et de l’élite". Elle obéissait aussi à un plan visant à soumettre le pays, les familles et les indi-vidus à des idéologies exogènes et perverses. Idéologies que la droite radicale identifiait à un communisme menaçant, au dérèglement profond du corps social conçu par des forces de gauche exclusivement préoccupées d’imposer une vision du monde que l’on appelle aujourd’hui le wokisme. Séduits par cette interprétation, une majorité de Brésiliens déjà conservateurs ont été gagnés par une sorte de peur panique. Le conservatisme dominant est devenu franchement réactionnaire. La droite autoritaire s’est imposée un temps. Elle a perdu en influence sous le mandat de Bolsonaro parce qu’elle suscitait à son tour trop d’incertitudes, ne résolvait aucun des problèmes quoti-diens de la population, se révélait tragiquement impuissante au moment de la crise du covid.

Belo Horizonte, octobre 2024 : Bolsonaro fait campagne pour le candidat de son partie au poste de maire, un candidat qui sera battu au second tour...


Les élections municipales de 2024 attestent que la radicalité incarnée par Bolsonaro n’est plus le seul courant à la droite de l’échiquier politique. Le conservatisme a commencé à se différencier du courant réactionnaire et conspirateur que représente l’ancien Prési-dent. Le scrutin municipal montre que la majorité des électeurs ne veut plus de leaders politiques qui menacent en permanence la démocratie, l’Etat de droit, le fonction-nement normal des institutions. Elle rejette aussi les politiques alternatives qui génèrent des déséquilibres économiques, sont souvent synonymes de mauvaise gestion des finances publiques et de corruption. Elle entend vivre dans un monde stable. Elle vient de plébisciter au plan local les forces politiques qui apparaissent à la fois les moins aventureuses, les moins dangereuses. La dernière consultation électorale avant les scrutins nationaux de 2026 fait apparaître une majorité de Brésiliens prudents, séduits par les forces politiques les moins radicales, les plus modérées mais aussi les plus traditionnelles.


Cette consultation est aussi une défaite préoccupante pour la gauche . En revenant à la tête de l’exécutif fédéral en janvier 2023, le Président Lula et les forces qui l’appuient n’ont guère innové. De nouveau, on a resservi aux Brésiliens les vieilles recettes de l’induction de la croissance par expansion de la dépense publique, du renforcement du secteur étatique et de l'élévation de la pression fiscale, de l'essor des mesures d’assistance aux plus modestes. Rien de tout cela n’a suscité jusqu’à présent l’enthousiasme attendu au sein des nouvelles classes moyennes qui dominent désormais la base de la pyramide sociale. Ces classes sont dominées par une population de nouveaux entrepreneurs plus ou moins prospères, qui attendent de l’Etat qu’il assure le maximum de stabilité économique, qu’il réduise son périmètre d’intervention, fournisse les services attendus en faisant reculer la bureaucratie. Faute d’avoir compris cela, la gauche vient d’essuyer sa plus grande défaite électorale depuis plusieurs décennies.


Dépouillements.


La droite (2) va prendre en janvier prochain les commandes de 2674 municipalités (48% du total où réside plus de 45 ,7% de la population du pays), soit une progression de 5% par rapport à 2020 lorsque ce courant était parvenu à faire élire 2539 maires. C’est le meilleur résultat de la droite aux municipales depuis 2000. Dans ce total sont comprises 54 des 103 communes du pays comptant plus de 200 000 électeurs et 11 des 26 capitales d’Etats fédérés. La droite, c’est d’abord le Parti Libéral dont un des leaders (désormais aussi encombrant qu’influent) est Bolsonaro. Les élus de la formation dirigent aujourd’hui 344 municipalités. Ils gèreront 517 communes à partir de janvier 2025, soit une progression de 50,3%. Ces élus seront notamment conduits à administrer 16 des 103 communes les plus importantes, contre 2 après le scrutin de 2020. Plus généralement, les partis de droite vont gouverner des villes qui, ensemble, représentaient en octobre dernier 70,5 millions d’électeurs, soit 45,1% du corps électoral.


Nombres de maires élus en octobre 2024 par affiliations politiques.



Cette progression du camp conservateur n’est pas le résultat d’un retour en force du cou-rant incarné par J.Bolsonaro. Ce dernier a perdu en capacité d’influence au sein de la droite et de son propre parti. En juin 2024, la Cour Suprême l’a déclaré inéligible pour une durée de huit ans . Eloigné désormais du pouvoir depuis près de deux ans, l’ancien chef de l’Etat n’a pas réussi à faire élire ses plus proches alliés au sein du parti ou ceux qu’il avait résolu de soutenir lors du second tour. La droite qui sort gagnante de ces élections municipales est une droite moins radicale, plus pragmatique, soucieuse de marquer ses distances par rapport à un leader clivant, extrêmiste et qui n’a pas su se faire réélire en 2022.


Ce succès de la droite ne se concrétise pas seulement par l’élection de centaines de maires. Il se traduit aussi par une augmentation significative des suffrages qui se sont portés sur les candidats de ces formations aux postes de vereadores (membres d’as-semblées municipales). Lors du scrutin à la proportionnelle du premier tour désignant ces élus, les partis de droite ont réuni 38,9% des votes valides (contre 33,7% en 2020). Un peu plus de 20 100 personnalités de ce camp politique (contre 18677 aujourd’hui) assu-meront un mandat de vereadores à partir de janvier prochain. Le seul Parti Liberal a capté 9,7% des voix, parvenant à faire élire 4957 de ses candidats. Le parti disposera notam-ment d’un réseau de 306 vereadores répartis au sein de 94 des 103 assemblées muni-cipales des grandes villes du pays (soit un taux de capillarité de 91,26%) où se con-centrent aujourd’hui 39% des électeurs. Autant de militants et d’agents électoraux pré-cieux dans la perspective des deux élections pour lesquels les candidats à des sièges au Congrès (députés fédéraux et sénateurs) sont d’autant plus efficaces dans leurs campagnes qu’ils comptent sur le soutien d’élus locaux connus de la population. A droite encore, la formation União Brasil a réuni 9,2% des suffrages à l’échelle nationale pour cette élection et sera représenté dès janvier par 5482 de ses membres dans les assemblées municipales. Ils seront 208 élus du parti à siéger dans les assemblées de 84 villes parmi les 103 comptant plus de 200 000 électeurs (taux de capillarité de 81,5%).


Le scrutin d’octobre est aussi très satisfaisant pour plusieurs formations classées au cen-tre (3). Cette mouvance a vu ses candidats aux postes de maires l’emporter dans 2142 communes, une progression là encore de près de 5% par rapport à 2020. Les forces politiques centristes ont vaincu dans 37 des 103 villes citées plus haut et vont prendre la direction des mairies de 13 capitales du pays. L’ensemble des communes qui auront des maires appartenant à cette mouvance représentent une population totale de plus de 86 millions d’habitants, soit 4,3 Brésiliens sur 10. L’ensemble des localités qui vont être diri-gées par des élus du centre représentaient en octobre dernier 67,7 millions d’électeurs, soit 43,3% du corps électoral. Dans ce camp, une formation se distingue : le Parti Social-Démocrate (PSD) dirigé par l’ancien ministre et ancien maire de São Paulo, Gilberto Kassab. A compter de janvier prochain, ses élus vont diriger 891 communes (contre 657 en 2020), dont 15 des 103 plus grandes villes et 5 capitales d’Etats fédérés (Belo Horizonte, Rio de Janeiro, Curitiba, Florianopolis, São Luis). Cette formation typique du centrão manifeste une capacité d’adaptation aux opportunités politiques exceptionnelles. L’ancien maire de São Paulo est aujourd’hui membre du gouvernement de l’Etat de São Paulo, dirigé par l’ancien ministre modéré de Bolsonaro Tarcisio de Freitas (Parti Répu-blicanos) et opposant à Lula. Le PSD du même Kassab est aussi à la tête de trois mi-nistères au sein du gouvernement du même Lula à Brasilia...


Outre ses succès dans la conquête de postes de maires, le PSD a réuni 10,3% du total des suffrages lors des élections proportionnelles des vereadores. A partir de janvier prochain 6622 membres des assemblées municipales porteront les couleurs du parti (contre 5700 en 2020), dont 220 au sein de 84 des fameuses 103 communes principales (taux de capillarité de 81,5%). Avec ces succès, le parti va certainement chercher dans l’immédiat à occuper plus de place au sein du gouvernement Lula et à peser davantage au sein de la coalition qui dirige l’Etat fédéral. Il peut d’ores et déjà compter sur un énorme réseau d’élus locaux pour soutenir ses candidats aux élections législatives et sénatoriales nationales de 2026. Il pèsera fortement sur l’issue du scrutin présidentiel prochain. Si la droite est représentée dans la compétition par un candidat radical comme Jaïr Bolsonaro, le PSD choisira de soutenir Lula, candidat probable à la réélec-tion. Si la droite modérée impose un candidat de son choix, elle peut compter sur le renfort du PSD. La girouette tourne avec le vent….


Nombre de vereadores élus le 7 octobre par affiliations politiques.


La gauche poursuit la dynamique de recul engagée en 2016. Elle a obtenu en octobre dernier son plus mauvais résultat depuis l’élection municipale de 2000. L’année 2016 avait été marquée par la crise provoquée par une succession de scandales de corruption révélés par l’opération Lava Jato au début du premier mandat de Dilma Rousseff. Cest aussi l’année ou la successeur de Lula à la Présidence est destituée. En 2024, alors que Lula est revenu depuis janvier 2023 à la tête de l’Etat fédéral, son camp ne progresse pas. Les élus de la gauche gouverneront à partir de janvier 2025 752 municipalités alors qu’ils avaient conquis 852 mandats de maires en 2020 (recul de 11,7%). Cette année, les succès de la gauche concernent principalement des villes moyennes ou des localités modestes concentrées principalement dans le Nord-Est. A partir de 2025, ce camp ne gérera plus que deux capitales d’Etats fédérés et à peine 10 des 103 villes de plus de 200 000 élec-teurs (contre 13 après 2020). L’ensemble des communes que des élus de gauche vont administrer à compter de janvier 2025 regroupent aujourd’hui 17,9 millions d’électeurs, soit 11,4% du corps électoral.


Le Parti des Travailleurs (PT) de Lula est parvenu à faire élire 252 de ses candidats aux postes de maires. Il ne détenait que 182 municipalités après le scrutin de 2020. Il y a donc pour cette organisation une inversion de la tendance engagée il y a huit ans. Le parti du Président est cependant encore très loin de son résultat au scrutin municipal de 2012, lorsqu’il avait remporté 635 mairies. Cette année, sur les 26 capitales d’Etat, il ne con-quiert que le poste de maire de Fortaleza dans le Nord-Est. Le PT va diriger à partir de 2025 l’administration de 6 des 103 grandes communes de plus de 200 000 électeurs. Dans l’ensemble du pays, le nombre d’électeurs résidant sur des localités administrées dans l’avenir par le parti progresse, passant de 4 à 7,6 millions de personnes. C’est néanmoins un net recul que connaît le parti dans l’Etat le plus peuplé du pays et le plus développé : São Paulo. C’est le cas notamment sur la région métropolitaine de la ville de São Paulo où la formation est née au début des années 1980. Au cours des seize dernières années, le PT a perdu le contrôle de 10 des 39 communes de ce territoire très industrialisé. Il ne conservera plus dès janvier prochain qu’une seule mairie dans la région.


Il avait perdu le contrôle de la municipalité de l’agglomération de São Paulo en 2016. En 2020 et cette année, le PT n’a pas présenté de candidat, préférant soutenir à chaque fois Guilherme Boulos, un militant radical de l’extrême-gauche (PSOL). Boulos avait déjà échoué en 2020. Il est à nouveau défait cette fois-ci par le maire sortant, n’ayant réuni qu’un peu plus de 40% des suffrages (le même pourcentage qu’en 2020) . C’est sans doute la défaite la plus douloureuse pour Lula et son parti. L’autre grand fiasco de la gauche concerne l’élection du maire de Porto Alegre. Le sortant présenté par le MDB centriste partait avec un lourd handicap. La capitale du Rio Grande do Sul a été en-tièrement submergée par des précipitations catastrophiques en début de 2024. L’exécutif municipal en place a été accusé d’être un des responsables de ce drame exceptionnel. Pourtant, son chef n’a eu aucun mal à s’imposer au second tour face à la candidate du parti de Lula.


Février 2024 : Porto Alegre sous les eaux. Octobre 2024 : le maire sortant fête sa réélection.


Pour la gauche, les revers subis dans le scrutin majoritaire qui permet de désigner les maires des municipalités ne sont pas compensés par une progression significative lors de l’élection à la proportionnelle des vereadores. L’ensemble des formations totalisent 22,4% des suffrages (contre 20,5% en 2020). Au total, ce camp sera représenté à l’échelle des 5569 communes par 10 307 vereadores (contre 10 864 aujourd’hui), dont 3127 élus appartenant à la formation de Lula. Dans ce dernier groupe, on compte 167 vereadores qui siègeront dans les assemblées municipales de 82 des 103 premières communes (taux de capillarité de 79,6%). Le PT est la seule formation de gauche qui aura des élus dans plus des 2/3 des instances législatives des grandes villes du pays.


Une droite et un centre-droit divisés.


L’élection la plus importante de ce scrutin était celle du maire de São Paulo, première ville du pays. Ricardo Nunes, le maire sortant, a été réélu en bénéficiant de l’appui du gouverneur de l’Etat du même nom. Signe de l’affaiblissement à droite de Bolsonaro, le soutien de ce dernier a peu compté. La victoire de Nunes est d’abord celle du gouverneur Tarcisio de Freitas, un représentant de la droite pragmatique et modérée qui se positionne désormais comme un candidat potentiel en vue de la prochaine élection présidentielle. Partout où la droite et le centre-droit ont enregistré des succès impor-tants, ce sont des personnalités ayant marqué leurs distances avec Bolsonaro qui ont gagné. C’est le cas à Goiânia (capitale de l’Etat du Goiás) où le candidat appuyé par le gouverneur Caiado (União Brasil) l’a emporté. C’est encore le cas à Curitiba (capitale du Paraná). C’est aussi le cas à Belo Horizonte (capitale du Minas Gerais) avec la victoire du candidat du PSD. La droite brésilienne a montré qu’elle ne se limitait pas à la mouvance bolsonariste. La droite modérée doit s’imposer désormais face à une extrême-droite radicale qui (avec ou sans Bolsonaro) est loin d’avoir dit son dernier mot. Elle doit aussi dépasser les rivalités qui apparaissent déjà entre toutes les personnalités qui voudraient succéder à Lula à la tête du pays et représenter la droite à la prochaine élection présidentielle. Enfin et surtout, il importe qu'elle propose un programme crédible et mobilisateur.


Gauche : une mise à jour improbable.


Si le leader de la gauche ne tient pas compte de cette défaite municipale, Lula et son camp aborderont les scrutins nationaux de 2026 en position de grande faiblesse. Les mises à jour à opérer dans le camp dit "progressiste" sont considérables. Pour le gouver-nement et le Président, il s’agit d’abord de contribuer à apaiser davantage le climat de polarisation et d’extrême tension politique qui recule mais existe encore. La majorité des Brésiliens sont fatigués de ce climat de pré-guerre civile. En 2002, lors de la campagne qui devait conduire à sa première élection au poste de Président, Lula se présentait comme un homme de concorde et de paix (Lula, Paz e Amor, annonçaient affiches et spots télévisés). Une fois au pouvoir, à partir de 2003, Lula et ses proches n’ont pas cessé de se présenter comme les représentants du camp du bien, du Brésil populaire et "pro-gressiste" opposé au Brésil des élites forcément réactionnaires. Ils n’ont pas cessé d’amplifier et d’exploiter cette opposition. Aux vieilles rengaines héritées d’une culture dirigiste, étatiste et anti-marché, ils ont ajouté l’ensemble des thèmes chers au wokisme. Autant d’options qui hérissent la majorité des Brésiliens, et notamment les couches les plus modestes. En matière de politique étrangère, le gouvernement de Lula a multiplié les errements. Il cultive le catéchisme usé d’une gauche anti-américaine qui se met au service des intérêts de l’empire chinois et de son valet russe.. Un choix anti-occidental qui ne séduit guère la majorité des Brésiliens, notamment la jeunesse des classes moyennes et aisées qui rêve d’Amérique du Nord ou d’Europe occidentale.


Seconde priorité pour les prochains mois : se mobiliser et mobiliser le Congrès pour obtenir des résultats concrets sur cinq chantiers que l’opinion considère comme es-sentiels : la conclusion de la réforme de la fiscalité, la réduction des dépenses et la contraction du déficit public, la lutte contre le crime organisé, une amélioration sensible de la qualité des services de santé et d’éducation. La majorité des Brésiliens veulent désormais des réponses concrètes à leurs difficultés quotidiennes. C’est en commençant à fournir ces réponses que le gouvernement fédéral peut redonner des chances à la candidature annoncée de longue date de Lula pour un quatrième mandat.


La gauche brésilienne peut-elle opérer en un temps limité ce virage vers une social-démocratie soucieuse de maintenir les grands équilibres économiques, d’apporter des réponses concrètes aux revendications des plus pauvres et ayant rompu avec des rigi-dités idéologiques archaïques ? Récemment des leaders de ce camp ont remis en cause les vieux catéchismes. Fernando Haddad, Ministre de l’économie de Lula, est une des rares personnalités de la gauche ayant une dimension nationale. Il a affirmé après la déroute municipale qu’il fallait abandonner des convictions qui vieillissaient mal et défendre désormais les valeurs de la gauche à partir d’un projet neuf combinant un minimum de protection sociale pour le plus grand nombre, plus de liberté économique et moins d’intervention de l’Etat. Au sein même du Parti des Travailleurs de Lula, des militants remettent en cause l’appui persistant de leur formation au régime dictatorial de Maduro au Venezuela ou la priorité qu’accorde la vieille garde au secteur productif nationalisé et au tout-Etat. Il y a même des alliés du PT qui dénoncent les pratiques de détournement de fonds publics, de pots de vin et de corruption dont la gauche s’est faite la championne dans les années 2000 et 2010. Des alliés qui savent que si la gauche avait reconnu ces crimes elle n’aurait pas facilité l’ascension de la droite radicale qui a débouché sur l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro.


Les espoirs suscités par quelques personnalités lucides ne suffiront sans doute à en-traîner en quelques mois un aggionarmento que les appareils ne sont guère disposés à faciliter. Lula et son gouvernement vont donc sans doute persister sur la voie empruntée depuis janvier 2023. La gauche cherchera certainement à favoriser un réveil de la droite la plus radicale afin de restaurer le leadership menacé de Bolsonaro. Elle est déjà encouragée à jouer cette carte par la Cour suprême (où les haut magistrats nommés par la gauche au pouvoir forment désormais une majorité) qui ne cesse depuis quelques années de détricoter toutes les procédures engagées contre les responsables des scandales de corruption révélés par l’opération Lava Jato. Le retour en grâce des cri-minels pourtant condamnés en première et deuxième instance par des magistrats disposant de preuves va certainement renforcer le camp de la droite antisystème et populiste qui surfera à nouveau sur le désespoir de larges pans de la société pour radicaliser son programme et sa future campagne. La gauche misera sur le retour en force de cette droite-épouvantail et sur l’aura personnelle de son leader pour apparaître à nouveau comme un rempart contre l’autoritarisme en 2026. Le pari est jouable mais n’est pas sans risque. Si l’épouvantail fonctionne, les forces du centrão plus puissantes que jamais viendront se mettre au service de la campagne de Lula. Assurées de dominer le prochain congrès car les élections législatives leur seront sans doute très favorables, elles auront intérêt à soutenir un candidat âgé ( 81 ans en 2026), fatigué, très minoritaire à la Chambre comme au Sénat et donc facilement "gérable". Lula sera alors élu pour un troisième mandat. Celui d’un Président entièrement à la merci des pressions et des caprices des secteurs les plus clientélistes du vieux monde de la politique brésilienne.


A gauche : le duel avec Bolsonaro que souhaite Lula en 2026. A droite, le duel qu'il veut éviter : avec Tarcisio de Freitas, actuel gouverneur de l'Etat de São Paulo et rival de Bolsonaro au sein de la droite.


Le pari est aussi très risqué. Pour compenser l’immobilisme de la gauche, son incapacité persistante à prendre en compte les attentes de la majorité des Brésiliens, il ne suffira peut-être pas d’agiter un éventail déjà utilisé en 2022. Résolue à calmer un climat de hautes tensions idéologiques et politiques, la majorité des Brésiliens peut convaincre la droite modérée et le centre de s’imposer, de choisir un leader plus attirant que Bolsonaro. Dans cette hypothèse, les forces politiques du centrão sauront s’adapter. Elles percevront très vite que le vent change. Que ce n’est pas de la gauche qu’elles doivent attendre postes, nominations, crédits et faveurs. Les puissants réseaux de soutien locaux créés en octobre dernier par le PSD, le MDB, União Brasil feront la campagne du nouveau leader de la droite. Un tel scénario n’est plus du tout improbable désormais. S’il se vérifie, la carrière politique de Lula qui avait commencé dans les années 1980 s’achèvera à la fin de 2025.



 

(1) Voir le second post de cette série consacré aux amendements parlementaires et aux modalités du financement public des partis et des campagnes électorales.

(2) Les critères utilisés pour classer les formations politiques brésiliennes sont inspirés de la méthodologie propo-sée par le site Poder 360. Voir la présentation :

Les formations classées à droite et ayant participé à l’élection municipale de 2024 sont le Partido Progressistas (PP), União Brasil, Partido Liberal, Republicanos, Partido Social-Democrata Brasileiro (PSDB), Partido da Renovação Democratica (PRD), Novo, Democracia Cristão (DC) et Partido Renovador Trabalhista Brasileiro (PRTB).

(3) Selon les critères retenus par le site Poder 360, les formations de gauche sont le Partido dos Trabalhadores (PT) de Lula, le Partido Socialista Brasileiro (PSB), le Partido Democratico Trabalhista (PDT), le Partido Verde, le Partido Comunista do Brasil (PC do B), Rede et le Partido Socialismo e Liberdade (PSOL).

(4) Il a été déclaré coupable d'«abus de pouvoir politique et usage indu des moyens de communication». L'ancien président va faire appel de la décision.

(5) Les formations classées au centre sont le Partido Social-Democratico (PSD), le Movimento Democratico Brasi-leiro (MDB), Podemos, Avante, Solidariedade, Cidadania, Mobiliza et Agir.



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1 Comment


Merci pour cet article, un véritable documentaire, très détaillé; une analyse très fouillée de la vie politique présente du Brésil.

claude schlup

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