Quelle ampleur ?
Trois facteurs vont déterminer l’ampleur de la récession que commence à vivre le Brésil. Le premier est l’effet de contagion provenant de l’extérieur et lié à la chute de l’activité au plan mondial et notamment en Chine, en Europe et aux Etats-Unis. On peut ici parler d’un choc externe, probablement comparable en intensité à celui lié à la crise financière glo-bale de 2008-2009. Ce choc externe a commencé à impacter l’économie brésilienne au moment du début de l’épidémie en Chine. La seconde puissance mondiale est devenue au fil des dernières années le grand partenaire commercial du Brésil.
Effets de la crise sanitaire intérieure.
La récession annoncée est aussi liée à d’autres dynamiques, probablement plus impor-tantes. La première, déjà évoquée dans le premier article de la série, est induite par la mise en hibernation de nombreux secteurs d’activité en raison de l’introduction de mesu-res de confinement et de quarantaine. L’impact de ces mesures est lui-même dépendant de deux variables : la rigueur et l’ampleur des dispositions prises au moment où l’épi-démie s’est développée, le nombre de phases de confinement qu’il faudra imposer pour assurer une gestion acceptable de la crise sanitaire. La seconde dynamique intervient sur les régions qui n’ont pas appliqué de confinement ou qu’ils l’ont appliqué de manière aléatoire et insuffisante. Dans ce cas, passée une première période de poursuite quasi-normale de l’activité, la propagation rapide de l’épidémie et la progression de la mortalité provoquent une baisse de l’activité. Les populations directement touchées par la maladie se confinent, cessent de produire et de dégager des revenus. La demande est affectée par les réflexes de précaution, voire de panique, de tous les agents économiques. Comp-te tenu de l’attitude variable des pouvoirs publics brésiliens face à la crise sanitaire, de la posture négationniste adoptée par le chef de l’Etat et de l’insuffisance des moyens mis en œuvre pour endiguer à la fois la pandémie et les effets économiques induits, il est probable qu’au Brésil les deux dynamiques aient joué et jouent encore.
L'avenue Paulista, ume des grandes artères de São Paulo, vide en avril à 7 heures le matin, en raison du confinement.
Si la crise financière mondiale de 2008-2009 permet d’estimer l’intensité du choc ex-terne, c’est la grève des camionneurs survenue sur le second trimestre de 2018 au Brésil qui fournit sans doute une référence pour comprendre les effets de la crise sanitaire intérieure. A l’époque, du 21 au 30 mai, la paralysie et le blocage des routes sur 24 Etats et le District fédéral avait provoqué une crise d’approvisionnement en biens de première nécessité (carburants, aliments, médicaments), une contraction de l’activité dans tous les secteurs économiques touchés, une baisse des recettes fiscales et de la croissance. Les effets de ce mouvement social s’étaient prolongés plusieurs semaines. On a alors estimé que la grève avait retiré 1,2 point de croissance sur l’année 2018. Compte tenu du rôle central du transport routier dans la vie économique et sociale au Brésil, en termes de choc d’offre, l’effet de mises en hibernation successives pour raisons sanitaires peut être comparé à celui de plusieurs grèves du transport routier échelonnées sur une période d’un an ou plus.
La croissance au Brésil dépend fondamentalement de la demande intérieure et princi-palement de la consommation des ménages. Celle-ci représente 65% du PIB. Le dyna-misme de la consommation des ménages est lui-même très lié à l’évolution du marché du travail. Ces dernières années, le rebond de la consommation des familles (+1,8% en 2019, contre 1,1% pour la croissance du PIB la même année) a été assuré par une expan-sion des activités de l’économie informelle. Il a aussi été favorisé par un désendettement. La Formation brute de capital fixe a également contribué à la croissance mais de façon plus limitée étant donné un taux d’investissement faible (15,5% du PIB). Par contre, la consommation du secteur public a joué un rôle négatif sur l’exercice écoulé. Pour 2020, toutes les prévisions anticipent une dégradation de l’emploi et des revenus des ména-ges. La consommation des familles devrait donc enregistrer une baisse significative. La consommation du secteur public devrait rester stable ou diminuer. L’investissement sous toutes ses formes (construction, acquisition de biens d’équipement, recomposition de stocks) devrait fortement diminuer.
Sur les prochains mois, le pays devrait observer une forte dégradation du marché du travail en raison de la réduction drastique des activités industrielles, commerciales et de services. Le taux de chômage officiel pourrait augmenter de 11,9% (moyenne de 2019) à 18% (moyenne pour 2020). La pandémie du coronavirus va affecter le marché de l’emploi au-delà de l’année 2020. Le sous-emploi restera très important en 2021. Tous les prévi-sionnistes anticipent une baisse significative de la masse des revenus en 2020.
Une mortalité élevée et sous-estimée par les chiffres officiels : dans plusieurs mégapoles, les fossoyeurs sont surchargés de travail depuis avril.
La réponse de l'Etat.
Le troisième élément qui doit être pris en compte pour évaluer l’ampleur de la récession est l’impact des réponses engagées par la puissance publique. Dès le mois de mars, la Banque Centrale a pris des dispositions pour endiguer les risques de crédit induits par le choc macroéconomique. La politique monétaire et les normes prudentielles ont été assouplies afin de faire face aux fortes tensions sur la liquidité, faciliter le refinancement des banques et les inciter à alléger les termes de paiement pour les entreprises et les ménages[1]. Sur le plan budgétaire, des soutiens financiers, des reports d’échéances et autres garanties à hauteur de 454,5 milliards de réais (6,8% du PIB) ont été déployés. Ils sont destinés à aider les travailleurs du secteur informel[2] et à indemniser les chômeurs (pour 209,5 milliards de réais), à renforcer la trésorerie des entreprises (101,3 milliards de réais), à alléger les pressions financières pesant sur les Etats fédérés et les communes (116,5 milliards de réais) et à accroître les dépenses de santé (27,1 milliards de réais). Au total, ces dépenses supplémentaires assumés par l’Etat fédéral représentent un effort équivalent à 6,2% du PIB. Par ailleurs, le Congrès a voté une loi créant un état de calamité publique qui autorise le gouvernement central à suspendre ses objectifs de déficit pour 2020[3].
A suivre : Contagions extérieures.
[1] On peut citer ici la baisse du taux directeur (la 8e consécutif) à 3%, l’assouplissement du ratio de réserves obligatoires sur les dépôts à terme, le relâchement des exigences de fonds propres et de provisionnement, le rachat en partenariat avec le Trésor des titres de dette souverains sur le marché secondaire, la prise en pension de titres plus risqués dans les opérations avec les banques, l’extension de garantie pour certains types de dépôts.
[2] Les travailleurs du secteur informel de l’économie doivent bénéficier d’un programme de compensation de la perte de revenu. Chaque actif peut recevoir une allocation dont la valeur mensuelle varie de 600 à 1200 réais par mois (pendant trois mois renouvelables). Connu sous le nom de "coronavoucher", l’allo-cation est inférieure au revenu moyen du travailleur du secteur informel qui était en janvier 2020 de 1427 réais. [3] Selon les premières estimations, le déficit primaire devrait passer de 267 (3,64 % du PIB) à 721,4 milliards de réais (9,84 % du PIB). Le déficit budgétaire global serait alors porté (compte tenu de charges d’intérêts sur la dette estimées à 4,2% du PIB) à 14 % du PIB. Les mesures indiquées ici ne prennent pas en compte un programme de relance de l’activité qui pourrait intervenir après la première phase de confinement.
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