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Photo du rédacteurJean Yves Carfantan

Déforestation en Amazonie : l'histoire (4).


4. Les années 90 et le début du XXIe siècle.


A partir de la fin des années 1980, les pressions nationales et internationales con-duisent le gouvernement fédéral à prendre des mesures de préservation de la forêt amazonienne. En 1988, une première tentative de contrôle de la déforestation voit le jour avec le lancement du programme Nossa Natureza (Notre Nature). Avec ce programme est instauré un dispositif de surveillance de la forêt amazonienne par satellite, le PRODES (Projet de suivi de la déforestation en Amazonie Légale par satellite). Le dispositif est placé sous la responsabilité de l’Institut de Recherches Spatiales (INPE). Il fournit un inventaire annuel des zones déboisées et calcule un taux de déforestation, indicateurs qui permettent de définir des tendances. A partir de 2002, ces données et la localisation des polygones de déforestation géoréférencés seront publiés en ligne[1].


En 1989, le gouvernement fédéral créée l’Institut Brésilien de l’Environnement et de gestion des ressources naturelles non renouvelables, l’IBAMA. Cet organe fédéral est responsable de l’application de la politique nationale de protection et de préservation définie par le Ministère de l’environnement. Il est chargé de la préservation et de la conservation du patrimoine naturel, du contrôle et de la surveillance de l’utilisation des ressources naturelles (notamment de l’eau, de la flore, de la faune et des sols). Il lui appartient également d’évaluer l’impact environnemental des projets de développement économique et de délivrer des licences environnementales aux acteurs responsables. Les missions de l’IBAMA sont menées à l’échelle fédérale. Compte tenu de l’importance croissante des enjeux écologiques concernant l’avenir de la forêt amazonienne, l’inter-vention de l’organisme dans cette région est devenue depuis 1989 de plus en plus visible et décisive[2]. Il faudra cependant atteindre 1998 pour qu’une loi sur les crimes environ-nementaux soit votée et que les pouvoirs publics disposent d’instruments juridiques permettant de condamner et de punir les déboisements illégaux. La loi en question instaure des amendes importantes[3].


En 1999, l’Administration Fernando Henrique Cardoso lance le plan Avança Brasil, destiné à être mis en œuvre sur les quatre années allant de 2000 à 2003. Visant à lutter contre la marginalisation sociale et la pauvreté, le plan entend aussi renforcer la stabi-lisation de l’économie. La politique des grands investissements n’est plus du seul ressort du gouvernement fédéral et d’opérateurs étrangers. Il s’agit d’introduire des partenariats entre l’Etat fédéral, les Etats fédérés, les communes, les organisations internationales, les ONGs et les entreprises privées. En Amazonie, le plan Avança Brasil prévoit d’encou-rager les productions de matières premières (minerais, énergie, bois) et de denrées agricoles. Pour soutenir les activités concernées et faciliter la commercialisation des minerais, des grains, des animaux et des viandes, les partenaires intervenant sur la région privilégient le développement des infrastructures logistiques. Le bassin amazonien est traversé par de très nombreux fleuves navigables, sous réserve d’aménagements. Avec Avança-Brasil, ce réseau fluvial est doté de ports et de systèmes d’écluses permettant le lancement ou le renforcement du transport par barges sur plusieurs affluents de l’Amazone. Citons ici l’axe Teles Pires/ Tapajós/Amazonas et le terminal de Santarém sur l’Amazone, l’axe fluvial du Rio Xingu, débouchant sur la ville d’Altamira dans le Para et connecté sur cette localité à la Transamazonienne, l’axe fluvial Araguaia/Tocantins lié aux terminaux portuaires sur Barcarena, sur le littoral du Pará.


Bassin hydrographique de l’Amazone.


Avança Brasil inclut également la mise en œuvre de nouveaux programmes de coloni-sation au long des routes. Des lots de terre de 50 hectares sont attribués aux paysans sans terre bénéficiaires de la réforme agraire. Au total, les droits d’occupation délivrés vont porter sur une surface équivalente à la moitié de celle de toutes les concessions octroyées au titre des PICs dans les années soixante-dix. La politique de réforme agraire conduite sur les périodes précédentes prévoyait l’installation des bénéficiaires sur des terres où les propriétaires privés avaient été expulsés. Le dispositif consacrait d’importan-tes ressources financières à l’indemnisation des anciens propriétaires. Dans le cadre de la nouvelle politique d’installation du gouvernement Cardoso, ces procédures d’expropria-tion sont moins fréquentes. L’Etat fédéral réalloue les moyens budgétaires disponibles et crée une banque dont la mission sera de fournir des crédits aux agriculteurs installés en Amazonie, pour l’essentiel sur des terres publiques jusqu’alors non affectées.


Pour accélérer le décloisonnement de la région, Brasilia va au-delà des investisse-ments nécessaires à la viabilisation du transport fluvial. Les pouvoirs publics organisent l’installation de centrales hydro-électriques et de gazoducs. Ils lancent la modernisation de plusieurs routes déjà ouvertes et l’achèvement du projet de ligne de chemin de fer Nord-Sud, reliant le sud du Maranhão au Sud-Est du pays. Ces travaux d’amélioration et d’expansion des infrastructures logistiques visent à créer de véritables corridors d’expor-tation des grains. Le soja a commencé à être cultivé dans le Roraima en 1988 puis l’année suivante dans l’Etat du Tocantins. En 1998, les premiers semis sont réalisés dans l’Etat du Pará. En 2001, les emblavements commencent dans l’Etat du Rondônia. En 2003, le négo-ciant international Cargill construit un terminal portuaire spécialisé dans le traitement de grains sur le port de Santarém.


2005-2012 : un recul marqué de la déforestation.


Depuis la fin des années 1980, la préservation des ressources naturelles et la protec-tion de la forêt amazonienne sont présentées comme des domaines de compétence majeurs de la puissance publique. Pourtant, jusqu’au début du 21e siècle, les dispositifs mis en place entre la fin des années 1980 et les dernières années du XXe siècle n’ont guère d’effets. Le taux annuel de déboisement connaît même une nette augmentation entre 1999 et 2004, passant de 17300 km2 sur la première année à 27 800 km2 sur la seconde. Sur cette période de six années consécutives, la forêt amazonienne recule sur 313 456 km2, l’équivalent de la superficie de la Pologne.


A partir de 2005 et jusqu’en 2012, la baisse est cependant constante et drastique (malgré une légère reprise en 2013). En 2012, le taux de déboisement (4600 km2) est réduit à moins de 17% de son pic de 2004. L’accélération du phénomène de déforestation observée avant 2004 est à mettre au compte de la réforme agraire des années du gou-vernement Cardoso, de la croissance de l’agriculture sur la période (développement de l’élevage bovin extensif et de la culture du soja sur l’Amazonie). Les raisons de la baisse qui intervient après 2004 sont liées à la fois à l’action des pouvoirs publics et à des initiatives nouvelles impliquant des acteurs privés du monde agricole et de la société civile.


Cet infléchissement du déboisement intervient après la mise en œuvre du Plan d’ac-tion pour la prévention et le contrôle de la déforestation en Amazonie (PPCDAm) lancé en 2004. Coordonné au départ par Marina Silva, ministre de l’environnement (de 2003 à 2008) très impliquée, le plan va permettre d’engager une politique de contrôle effective sur la région. Des interventions répétées sur l’arc de déforestation du Sud et de l’Est du biome Amazonie permettent de resserrer l’étau autour des coupables. En 2007, le Minis-tère de l’Environnement publie une « liste noire » des municipalités enregistrant le plus de déforestation et restreint l’accès aux crédits agricoles sur ces territoires, dans l'attente d’une régularisation[4]. L’année suivante, en 2008, la Banque Centrale adopte une résolution conditionnant l’accès au crédit rural à la présentation de preuves de la confor-mité des producteurs à la législation environnementale. Près de 2,9 milliards de reais auraient ainsi été retenus entre 2008 et 2011 (à 90 % pour des opérations d’élevage bovin), contribuant de manière efficace à limiter la capacité des grands et moyens pro-priétaires à déboiser.


Taux annuels de déforestation (en Km2).


Un second axe de la politique lancée dans le cadre du PPCDAm a été de tenter de mieux contrôler le foncier. L’absence de cadastre rend particulièrement difficile l’identifi-cation des responsables de la déforestation. La possibilité pour les occupants de s’ap-proprier les terres publiques non destinées (devolutas) rend la situation foncière très confuse. Pour réduire l’informalité et l’incertitude concernant la détention du foncier, l’Etat fédéral a pris plusieurs initiatives. La première a été de renforcer et d’élargir les aires protégées, qu’il s’agisse des unités de conservation de l’environnement ou des territoires réservés aux populations autochtones. Ainsi, plus de 500 000 km2 d’aires protégées fédérales nouvelles ont été créées sur la région entre 2005 et 2009. Les gouvernements des Etats Amazoniens ont suivi ce mouvement[5]. Cette politique est efficace contre le déboisement car elle casse le mécanisme de spéculation foncière. Les acquéreurs po-tentiels de terres en Amazonie sont découragés car les titres provisoires qu’ils pour-raient acheter peuvent être invalidés dans la mesure où ils concerneraient des zones protégées. La valeur du foncier concerné s’effondre donc. Il n’est alors plus rentable de déboiser.


Une autre initiative importante du gouvernement fédéral prise afin de tenter de clarifier la situation foncière a été de pousser les Etats fédérés de la région à adopter des plans d’aménagement du territoire prévoyant la destination de chaque zone, dont l’ensemble une fois réuni a permis l’établissement du "macro-zonage de l’Amazonie légale", destiné à orienter les politiques locales. Pour la première fois, le Brésil a défini ainsi le futur à long terme du bassin amazonien en définissant les zones sur lesquelles un développement agricole peut être poursuivi et les zones sur lesquelles il devrait être en principe interdit. Une troisième ligne d’action destinée à clarifier la situation foncière a consister à régu-lariser les droits d’occupation détenus par des agriculteurs. Lancé en 2009, jusqu’en 2015, le programme intitulé "Terre Légale" (Terra Legal) avait permis de délivrer des titres de propriété à 150 000 occupants sans titres installés sur des terres fédérales et repré-sentant plus 15 millions d’hectares. Parallèlement, le gouvernement central incitait les Etats fédérés à accélérer les régularisations sur les territoires qu’ils contrôlent.


La mobilisation des pouvoirs publics a eu pour effet de déclencher des mobilisations au sein de la société civile. En 2006, sous l’égide du gouvernement fédéral, des organisa-tions agricoles, des ONGs, des firmes de négoce de grains (contrôlant 94% des achats de soja au Brésil) vont négocier et signer un accord volontaire contre la commercialisation du soja associé à la déforestation de l’Amazonie : le moratoire du soja. L’accord vise à contenir la culture du soja dans les régions qui la pratiquent déjà et à interdire son expansion dans la région amazonienne en dehors des zones déjà déboisées (la conver-sion de celles-ci n’étant pas interdite). Renouvelé plusieurs fois et contrôlé par des moyens satellitaires, ce pacte a dans l’ensemble été bien respecté par les producteurs. Il constitue désormais un mécanisme pérenne. Le soja couvrait une surface de 5,2 millions d’hectares sur le biome Amazonie en 2018/19 (sur un total de 420 millions d’hectares), contre 1,5 million d’hectares 10 années auparavant. En 2018, les semis réalisés sur des terres déboisées après 2008 représentaient à peine 65 000 hectares. En 2004, près de 30% du soja semé en Amazonie légale provenait de terres récemment déforestées. En 2018, ce taux n’était plus que de 1,5%.


Avec le moratoire du soja, les agriculteurs se sont trouvés sous forte pression des col-lecteurs. Ils ont donc été contraints de modifier leurs politiques d’emblavement. C’est en s’inspirant de l’exemple du moratoire qu’en 2009 le Ministère Public Fédéral a organisé un dispositif similaire dans le secteur de l’élevage bovin. Confronté à l’impossibilité d’identifier des milliers d’éleveurs pratiquant l’élevage extensif après la déforestation, le Parquet brésilien a menacé les entreprises d’abattage et les distributeurs de pénalités financières au cas où des animaux provenant de zones déboisées seraient abattus sur leurs sites et des carcasses issues de ces abattages seraient vendues sur leurs réseaux. Par la suite, cette approche punitive a été remplacée par un programme dit de "viande légale" : les entreprises de la filière ont été invitées à signer des accords de bonne con-duite. Les accords ont été progressivement étendus à toute l’Amazonie et concernent aujourd’hui près d’une centaine d’abattoirs. Le dispositif connaît cependant de sérieuses limites dans la mesure où les animaux achetés par un abattoir à un engraisseur qui res-pecte l’engagement de non-déforestation peuvent avoir été livrés à ce dernier par un naisseur qui opère sur une propriété illégale et déboise.


Avant de clore cette évocation historique, il faut encore mentionner la création en 2012 d’un cadastre rural unifié (cadastre environnemental rural – CAR) est en cours de consti-tution à l’échelle nationale. Ce dispositif a été adopté en même qu’un nouveau code fo-restier. Il doit permettre terme de suivre le respect des normes environnementales sur toutes les propriétés et d’exiger des agriculteurs (dorénavant dûment identifiés) des ac-tions réparatrices en cas de manquement aux règles.


L’ensemble des mesures prises à partir du début des années 2000 semble avoir eu une certaine efficacité si l’on se fie à l’évolution des taux de déforestation entre 2004 et 2012. Pourtant, à partir de cette dernière année la tendance semble être à la reprise. Plusieurs facteurs interviennent ici qui seront analysés dans des articles à venir. Dans les prochaines éditions, on reviendra également sur le cadastre rural unifié (CAR) et sur les perspectives qu’il ouvre en matière de préservation des ressources forestières.


 

(1] Cet instrument a longtemps souffert d’un manque d’efficacité pour plusieurs raisons. Il ne fournit que des données sur une base annuelle et ne permet pas de détecter systé-matique les déboisements en cours. Reposant sur une logique binaire (déforesté/non déforesté), il n’enregistre que les coupes à blancs (opération consistant en une défo-restation suivie d'un défrichement total, avec dessouchage, pour rendre des terres uti-lisables en agriculture ou d'autres fins anthropiques. S'il s'agit d'un simple taillis ou d'une futaie, il y a plutôt défrichage). Pour compléter le PRODES, l’INPE a donc développé deux instruments. Le premier est le DETER, basé sur des images de résolution spatiale moins fines mais de plus grande fréquence. Il permet de détecter sur une base quotidienne les déboisements en cours. Le DEGRAD est un nouveau modèle de traitement des images utilisées dans le PRODES afin de mettre en valeur les coupes de bois sélectives et les atteintes à la forêt qui n’ont pas encore résulté en une coupe à blanc. Enfin, pendant plusieurs années, le Brésil n’a pas disposé de son propre satellite d’observation. Les sources de données étaient maintenues par la NASA. Depuis 2017, il utilise un système entièrement national pour le contrôle de l’Amazonie.

[2] Depuis 2007, avec la création de l’Institut Chico Mendes de Conservation de la Biodiversité (ICMBIO), l’IBAMA a été délesté d’une partie de ses compétences. L’IBAMA a la responsabilité d’assurer la préservation des ressources naturelles et de l’environ-nement lorsque cette mission concerne des projets, des sites et des patrimoines recouvrant au moins deux Etats fédérés. Cette mission revient à l’ICMBIO lorsque la protection concerne des unités de conservation délimitées et gérées par l’Etat fédéral. Sur la région de l’Amazonie légale, la protection de l’environnement relève donc depuis 2007 de la compétence de deux organismes fédéraux : l’IBAMA et l’Institut Chico Mendes de Conservation de la Biodiversité (ICMBIO).

[3] L’efficacité du dispositif est relative. Le contrôle de la déforestation est en effet devenu en partie en partie une prérogative des États fédérés en 2012. Ces derniers ont souvent une appréciation du phénomène assez différente de celle de l’organe fédéral.

[4] Pour sortir de cette liste, les municipalités devront présenter une réduction signi-ficative de leur déforestation (dans la limite des 40 km²/an) et fournir un cadastre à jour qui comprenne au minimum 80 % des propriétés de la commune.

[5] Ainsi, l’état du Pará a par exemple créé plus de 150 000 km² d’aires protégées dans la même période.






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