Neutraliser le Parlement et le système judiciaire.
Pendant les deux premières années de la présidence Bolsonaro, le Congrès a montré qu’il pouvait faire barrage aux projets autoritaires du chef de l’Etat. Cette fonction de garde-fou a été orchestrée par deux leaders politiques qui assumaient alors les prési-dences de la Chambre des députés et du Sénat. Personnalités centristes et de culture démocratique, Rodrigo Maia et Davi Alcolumbre ont su constituer des majorités capables de défendre les principes constitutionnels et les normes de l’Etat de droit. Depuis l’élec-tion en février 2021 de deux nouvelles présidences à la tête des deux chambres, la donne a changé.
Au cours des derniers mois de 2020, Bolsonaro a compris qu’il devait disposer au sein du Congrès d’une base parlementaire de soutien. Revenant à la pratique la plus tradition-nelle de la "vieille politique", il a décidé de s’associer aux formations opportunistes qui forment au sein de la Chambre (et, dans une moindre mesure, du Sénat) le centrão, un marais qui conçoit la politique parlementaire comme un jeu d’échanges de faveurs. Avant l’élection des Présidents des chambres, ce jeu a fonctionné à plein entre l’exécutif et les formations du centrão. Bolsonaro a ainsi pu favoriser la victoire de deux personnalités issues de ces partis aguerris à la pratique du "physiologisme"[1]….Jusqu’en 2022, la Cham-bre des députés sera présidée par Arthur Lira, un député du Parti des Progressistes (PP), une organisation de droite disposant de 40 sièges. Au Sénat, le successeur de D. Alcolumbre est Rodrigo Pacheco, un élu appartenant au parti de centre-droit Démocrate. En soutenant explicitement les deux candidats victorieux, le chef de l’Etat espérait pou-voir engager une relation "pacifique et productive" avec le Congrès, pour reprendre son expression. Traduction : il attendait des nouveaux présidents qu’ils structurent et animent une majorité parlementaire servile, disposée à répondre favorablement à tous les capri-ces et desideratas de l’exécutif dès lors que des faveurs lui seraient accordées.
En réalité, en pactisant avec le centrão, le Président a facilité le grand retour de la politi-que de combinaisons, des parrains et de leurs clients qui ne connaissent que la logique des échanges de faveurs et agissent en toute impunité. Bolsonaro a lié son sort à la réactivation de la "vieille politique". L’intrigue de la pièce trouve ses origines dans les mécanismes archaïques de confiscation du pouvoir qui ont marqué les premiers temps du Brésil indépendant et entachent encore la démocratie. Le parlementaire (député, sénateur) vote en faveur du gouvernement s’il est assuré de recevoir en contre-partie des crédits qu’il utilise pour s’assurer de l’appui des élus locaux (maires, membres d’as-semblées municipales) à l’échelle de sa circonscription. Ces élus sont en effet des agents électoraux essentiels lorsqu’il s’agit "d’orienter" le vote la population. Les leaders parle-mentaires des partis formant la base de soutien du gouvernement fédéral ont un autre privilège. Ils désignent et imposent à l’exécutif les membres de leurs partis choisis pour occuper des postes ministériels, peupler les cabinets et assumer des directions d’entre-prises publiques. La mission première des individus parrainés et de faire des places qu’ils occupent dans l’appareil de l’Etat des canaux de financement au bénéfice des partis qu’ils représentent et des candidats que ces formations soutiendront lors des scrutins à venir. Une partie de ces fonds peut être libérée par des circuits tout à fait licites. Une autre (comme le démontre le travail de la Justice depuis des décennies) provient d’opérations de détournement illicites (fraudes sur les appels d’offre, surfacturation de contrats pu-blics).
Bolsonaro est fidèle à son histoire. Il a grandi dans ce système. Président, il survit politi-quement grâce à ce système. Depuis cinq mois, le Congrès n’est pas vraiment devenu l’institution docile à laquelle rêve le Président. Néanmoins, il n’apparaît plus comme un pôle de résistance solide face à l’offensive bolsonariste. Comme au Venezuela il y a deux décennies, l’opposition à Bolsonaro continue de se livrer des luttes internes, motivées par les intérêts électoraux des dirigeants des diverses formations qui la compose. Elle semble avoir perdu contact avec la vie réelle d’une population qui affronte à la fois une pandémie meurtrière et les conséquences de la crise sanitaire sur le plan économique et social. Les forces politiques qui pourraient s’opposer au bolsonarisme à l’intérieur et à l’extérieur du Congrès semblent incapables de s’unir pour défendre la démocratie et mettre un arrêt à la politique sanitaire délirante et chaotique de l’exécutif fédéral. De son côté, Jair Bolsonaro exploite la longue expérience qu’il possède de la vie parlementaire. Pendant trois décennies, il a été un de ces députés du centrão qui n’ont pas de convic-tions mais offrent leurs votes à l’exécutif lorsque celui-ci est "généreux". Il sait mieux que personne ce qui peut séduire les parlementaires qui marchandent leur appui. Grâce aux prérogatives qui sont désormais les siennes, il peut offrir des postes au sein du gouver-nement fédéral ou libérer des crédits pour rallier les élus de partis amis et même débau-cher des parlementaires de formations éloignées du bolsonarisme. Les partis tradition-nels qui ont une véritable identité idéologique sont désormais affaiblis ou perdus dans des querelles dérisoires.
Dans ce contexte, Bolsonaro tente de gagner le soutien ou de neutraliser une bonne vingtaine de formations parlementaires dont la seule raison d’être est de profiter de toutes les faveurs que peut offrir l’exécutif. Il y a de tout dans ce marécage : des organisa-tions politiques dont les chefs et propriétaires ont été condamnés à maintes reprises pour corruption, des clans de notables régionaux prêts à soutenir le plus offrant, l’exécutif ou l’opposition. Demain, à l’horizon 2022, il pourra probablement acheter la neutralité d’une majorité des élus du Congrès s’il tente de se maintenir au pouvoir et s’il peut offrir à ces ralliés de quoi satisfaire leurs immenses appétits.
Affaiblir la Justice.
Pour créer et consolider une majorité clientéliste de soutien au Congrès, l’exécutif ne se contente pas d’offrir aux parlementaires des postes et des crédits. Le clan Bolsonaro œuvre aussi depuis l’investiture pour réduire l’indépendance de l’institution judiciaire, la neutraliser et en faire un instrument au service de son projet autoritaire.
En septembre 2019, le Président a dû désigner un nouveau Procureur-Général de la République, chef du Ministère Public au niveau fédéral [2]. En principe, le titulaire du poste (nommé pour un mandat de deux ans renouvelable) est choisi par le Chef de l’Etat à partir d’une liste de trois candidats proposée par l’association nationale des magistrats du parquet. En septembre 2019, pour la première fois depuis 2003, Jair Bolsonaro a ignoré cette liste et a préféré sélectionner un haut magistrat connu pour ses opinions conservatrices et proche du clan présidentiel : Augusto Aras. Selon la Constitution, le Parquet Fédéral doit introduire l’action publique en matière pénale et l’action civile publi-que pour la protection du patrimoine public et social, de l’environnement et des autres intérêts généraux et collectifs. Il requiert l’ouverture d’enquêtes de police et sollicite des moyens d’investigations.
Jair Bolsonaro et Augusto Aras, lors de la cérémonie de prise de fonction du second, en septembre 2019 (en arrière-plan, Sergio Moro, ancien ministre de la Justice).
Le Président voulait un chef du Parquet Fédéral docile et aligné sur l’exécutif. Il n’a pas été déçu. En moins de deux ans, Augusto Aras aura démantelé tout le dispositif qui avait permis depuis 2014 d’organiser l’opération Lava-jato [3]. Le 1er février 2021, le jour même où Bolsonaro faisait élire des leaders du centrão à la tête des deux chambres du Congrès, Aras a offert à l’exécutif fédéral et aux personnalités politiques ayant maille à partir avec la Justice le soulagement qu’ils attendaient. Il a annoncé la fin officielle de l’opération Lava-Jato à Curitiba (Paraná). Le chef du parquet fédéral s’était efforcé depuis plusieurs mois (avec le concours de magistrats des hautes-cours du pays) d’affaiblir pro-gressivement les tasks-forces de l’opération. La méthode a consisté à détériorer les con-ditions de travail des procureurs engagés sur des dossiers de corruption en leur inter-disant de se consacrer à ces seules affaires et à centraliser les informations ouvertes. Surchargés de dossiers portant sur des affaires très diverses, les juges du parquet ont ainsi été peu à peu dans l’incapacité de lutter efficacement contre les crimes de cols blancs….
En vertu de la Constitution, il revient au parquet fédéral d’exercer une fonction de contrôle de l’action de l’exécutif et des politiques publiques engagées. A partir d’avril 2020, le Ministère Public Fédéral a reçu de très nombreuses plaintes contre le gouver-nement fédéral concernant la gestion par les autorités de la pandémie et de la crise sanitaire. Le Procureur Général a effectivement ouvert des informations préliminaires sur le Président et sa politique sanitaire. Un an après le début de l’épidémie de covid-19, au-cune de ces enquêtes n’ont débouché sur une procédure concernant la conduite de Jair Bolsonaro.
Augusto Aras est devenu le responsable d’un dispositif de protection du Président, de ses alliés politiques et de sa famille. En mai 2020, Fabrício Queiroz, policier à la retraite, ex-garde du corps, ex-chauffeur et ex-adjoint de Flávio Bolsonaro durant dix ans (alors que ce dernier était membre de l’assemblée municipale de Rio de Janeiro) est arrêté. Il est soupçonné d’avoir organisé un dispositif de détournements de fonds à partir du cabinet au profit de l’élu et de l’épouse de Jair Bolsonaro, Michelle [4]. En mai 2021, dans un avis circonstancié envoyé au STF, le Procureur Général de la République annonçait qu’il s’opposait à la poursuite d’une information concernant les fonds versés à la première dame….
Une Police Fédérale "disciplinée".
Le travail d’instrumentalisation et d’affaiblissement du système judiciaire conduit par le clan Bolsonaro est mené sur plusieurs fronts. En avril 2020, le projet présidentiel de pla-cer la Police Fédérale sous sa tutelle directe a été révélé par le Ministre de la Justice alors démissionnaire, l’ancien juge Sergio Moro. Ce dernier a quitté le poste de ministre de la justice en accusant le Président d'essayer d'utiliser l’institution à des fins politiques.
La Police Fédérale (PF) est une police d’investigation et de répression qui s'occupe des crimes et des domaines ne relevant pas des domaines des polices civile et militaire (qui interviennent dans les Etats fédérés). Elle comprend 11 000 hommes (dont 40% affectés à la surveillance des frontières). Elle est chargée de la lutte contre le terrorisme, la cyber-criminalité, le crime organisé (dont le narcotrafic et le blanchiment d'argent), la criminalité financière, le trafic d'armes, les violations des droits des populations autochtones. Elle contrôle le commerce des armes et la détention d’armes.
Le COT (Groupe d'opérations tactiques), un corps d'élite de la Police Fédérale, chargé de la surveillance des frontières et d'interventions en forêt amazonienne.
En avril 2021, le choix d’un nouveau directeur général de la Police Fédérale a marqué ef-fectivement une solide avancée du projet de mise au pas de l’institution dénoncé par Moro. Jair Bolsonaro a choisi de nommer à ce poste Paulo Maiurino, un commissaire de l'institution engagé dans la vie politique et qui a déjà occupé des postes de respon-sabilité au sein de la PF, à l’échelle d’Etats. Le nouveau directeur général avait bénéficié dans ces nominations de solides appuis de responsables d’Eglises évangéliques, une mouvance religieuse très proche de Bolsonaro. Le premier projet de Maiurino est de supprimer l’autonomie dont jouissent les commissaires pour ouvrir des informations et conduire des enquêtes portant sur des affaires qui impliquent des personnalités béné-ficiant bénéficient de juridictions spéciales (ministres, juges, élus, etc..). Ce programme (qui doit être approuvé par les autorités judiciaires) consiste à transférer à l’échelon cen-tral et le plus élevé de l’institution l'ouverture de procédures qui concernent des respon-sables publics et les élus. Les enquêtes les plus sensibles ne pourront plus être lancées par chaque commissaire sur la base des informations qu’il aura collectées.
En envisageant cette centralisation et la perte d’autonomie des commissaires, le nouveau directeur général de la Police Fédérale met en œuvre un programme de mise sous tutelle totalement en phase avec les orientations esquissées dès 2020 par Jair Bolsonaro. A l’époque, confronté à l’avancée de l’enquête concernant son fils Flavio, le chef de l’Etat avait clairement annoncé et assumé son désir de contrôler l’institution. Lorsqu’il a noué quelques temps plus tard une alliance avec les partis les plus "physiologistes" du Congrès, son projet a reçu de nouveaux appuis. Nombreux sont les élus qui accueillent avec intérêt et enthousiasme le dispositif de contrôle envisagé. Ce changement dans le fonctionnement de l’institution viendrait renforcer les mesures déjà prises par le Procureur Général de la République avec l’extinction des opérations dites Lava-Jato. La mise au pas des délégués de la Police Fédérale renforcerait sérieusement le processus d’asphyxie des opérations qui pendant des années ont fait trembler une bonne partie de l’establishment politique du pays [5]. Au sein de la future Police Fédérale que veut formater Jair Bolsonaro, les enquêtes sur les puissants ne seront plus encouragées. Le mouvement est déjà engagé. Récemment, de nombreux commissaires ont signalé que les nouvelles directives étaient de concentrer les efforts d’investigation sur le narcotrafic et d’oublier les personnalités politiques. Il s’agit d’intensifier ces opéra-tions, moins par une volonté d’éradiquer ou d’affaiblir le trafic que pour pouvoir commu-niquer avec les médias.
La lutte contre le narcotrafic n’est pas la seule priorité de cette nouvelle Police Fédérale adaptée. Celle-ci est également mobilisée pour engager des opérations contre les dé-tracteurs du Président. Depuis qu’il est Ministre de la Justice, André Mendonça, le successeur de Sergio Moro, a multiplié les recours à la loi sur la sécurité nationale pour engager des informations et des actions judiciaires contre les auteurs de critiques concernant le chef de l’Etat. Pendant son mandat au ministère de la Justice, André Mendonça a plus que doublé le recours à la loi sur la sécurité nationale pour enquêter sur les auteurs de critiques, de pamphlets et même de plaisanteries sur Bolsonaro. Dans le Tocantins, en avril 2021, un entrepreneur et un sociologue ont ainsi été interrogés par la Police Fédérale après avoir fait installer un panneau de rue original. Sur cet outdoor, le Président était comparé à un pequi vermoulu. Le pequi est un fruit amer courant en zones de cerrado. Il doit être consommé avec prudence car à l’intérieur il contient des épines…Dans une autre localité, un caricaturiste qui avait dessiné le chef de l’Etat occupé à peindre une croix gammée nazie a aussi été inquiété par la Police Fédérale. Toutes ces informations ont été classées sans suite mais elles ont mobilisées des commissaires, des agents et des greffiers qui auraient pu être mobilisés sur des affaires plus importantes. Leur seule finalité est d’intimider journalistes; formateurs d’opinion et simples citoyens qui pourraient douter de Bolsonaro et de sa politique.
Onze haut-magistrats sous pression.
Le troisième front sur lequel se déroule l’offensive pour modeler un système judiciaire compatible avec le projet bolsonariste et les attentes du centrão concerne les relations entre le Président et la Cour suprême, le STF [6]…Deux démarches sont utilisées par le chef de l’exécutif et son clan afin de fragiliser la plus haute juridiction du pays.
Celle-ci est en formée de 11 magistrats qui doivent en principe respecter une règle de collégialité. En réalité, de nombreux membres de la Cour (désignés sous le terme de Ministres du STF) ont une conduite très éloignée de cette règle. En un mot, ils privilégient un jeu personnel sur le collectif. Ils ne reconnaissent pas (ou n’acceptent pas) que l’institution à laquelle ils appartiennent ait une dimension et une légitimité qui dépassent la somme des 11 personnalités qui la composent. Il est fréquent qu’un Ministre du STF se permette de commenter la situation politique, d’exprimer une opinion personnelle sur la constitutionnalité de tel ou tel acte juridique (émanant de l’un ou l’autre des trois pou-voirs), sur des jugements en cours au sein même de la haute cour. Cette dérive n’est pas née avec l’arrivée à la tête de l’Etat fédéral de Jair Bolsonaro. Celui-ci parvient cependant à l’exploiter à son avantage comme aucun de ses prédécesseurs auparavant. D’abord en profitant des circonstances.
Les Ministres du STF sont nommés par le Président de la République [7] et approuvés par le Sénat fédéral. Ils exercent leur fonction jusqu'à l'âge de la retraite obligatoire qui est de 75 ans. Au cours du mandat actuel de Jair Bolsonaro (2019-2021), un premier haut magistrat a été atteint par cette limite d’âge en octobre 2020 (le Ministre Celso de Mello). Il a été remplacé par un magistrat de carrière, Kassio Nunes Marques, âgé à l’époque de 48 ans. Proche des églises évangéliques, ce haut magistrat devrait donc abandonner ses fonctions en... 2047. Depuis qu’il est Ministre du STF, Nunes Marques a multiplié les décisions favorables à l’exécutif et au secteur conservateur de la société, suscitant des critiques de la part de ses pairs. En juillet prochain, Jair Bolsonaro nommera un autre membre de la haute cour (en remplacement du ministre Marco Aurélio atteint par la limite d’âge). Il est très vraisemblable qu’il choisisse une personnalité d’un profil sem-blable à celui de Nunes Marques. L’objectif est d’affaiblir le capital politique d’une institution constituée de personnalités trop portées à afficher leurs différences et leurs divisions [8].
Le siège du STF à Brasilia.
L'autre méthode employée par l’exécutif fédéral consiste à jouer sur un autre dys-fonctionnement du STF. Celui-ci est sans doute une des juridictions les plus sur-chargées du monde. Cela tient à la fois à la diversité de ses compétences, à la pléthore de droits et de privilèges ancrés dans la Constitution de 1988 et sur lesquels le STF est appelé à se prononcer, au fait que les décisions de la haute cour lient les juridictions inférieures. L’institution est aussi confrontée à des difficultés liées à l’ambiguité du texte cons-titutionnel. Elle est saisie pour trancher des conflits politiques insolubles par les deux chambres législatives. La constitution de 1988 a ouvert la saisine à un grand nom-bre de requérants, comme les partis politiques et les associations professionnelles [9]. Le gouvernement Bolsonaro a pris le parti depuis 2019 d’accroître délibérément la sur-charge de travail de la plus haute instance judiciaire. Régulièrement, il publie des décrets et ordonnances dont il sait parfaitement qu’ils sont contraires à la Constitution. Lorsqu’ils sont soumis à l’évaluation du STF, ces textes sont évidemment rejetés par la haute Cour. Le Président et l’exécutif peuvent ainsi répéter qu’ils ne cessent d’agir pour le bien de la nation mais que cet engagement patriotique est sans cesse neutralisé par des Juges sans légitimité élective et populaire. La Cour suprême peut alors être désignée comme une des institutions qui empêchent le chef de l’Etat de répondre aux aspirations du peuple. Les exemples de cette tactique de harcèlement abondent.
Avec la crise sanitaire, des gouverneurs et des maires ont pris des mesures de confi-nement. Ces dispositions sont parfaitement conformes à la Loi fondamentale puisque la Constitution considère la santé comme un domaine de compétence partagé entre le niveau fédéral, les Etats fédérés et les municipalités. Le STF a eu beau confirmer que les élus locaux concernés étaient dans leur plein droit. Cela n’a pas empêché le gouver-nement de Bolsonaro d’exercer un recours auprès de la haute juridiction, en sachant par avance qu'il serait débouté. Objectif : faire apparaître le STF comme l'ennemi déclaré de la "juste lutte" que mène le chef de l’Etat en faveur de la "liberté d’aller et venir".
Les harceleurs bolsonaristes se projettent aussi dans l’avenir. Depuis trois décennies, les électeurs brésiliens utilisent dans les consultations électorales des urnes électroniques. Les premières machines ont été introduites lors des municipales de 1996 et quatre ans plus tard, en 2000, le système électoral brésilien était devenu 100 % électronique. L’avantage du système est double. Dans un pays de taille continentale, les résultats des scrutins sont annoncés très rapidement. En outre, les risques de fraude sont très limités. Ce vote 100 % électronique est pourtant régulièrement la source de nombreuses criti-ques de la part de candidats vaincus qui dénoncent des fraudes, des manipulations. Dès le scrutin d’octobre 2018, Jair Bolsonaro a repris à son compte et renforcé ces critiques alléguant qu’il aurait pu être élu dès le premier tour si la vieille technique de vote avec bulletins imprimés avait été rétablie. Désormais, le combat pour l’abolition du vote électronique fait partie des slogans préférés du camp bolsonariste en vue du scrutin de 2022. Les proches du Président exigent que le vote électronique soit complété par l’im-pression sur papier du choix de chaque électeur. Le STF a confirmé qu’une telle procé-dure serait anticonstitutionnelle, en raison même des risques de manipulations et du coût financier qu’elle induirait. La haute Cour a répété qu’aucune preuve n’avait été appor-tée depuis trente ans pour fonder les accusations de fraude formulées par diverses formations politiques.
Dans ce combat, le camp bolsonariste n’a que faire des dépenses supplémentaires qu’entrainerait l’impression de bulletins de vote. L’objectif de la campagne contre les urnes électroniques est de distiller dans l’opinion le venin de la méfiance, d’affaiblir par avance la légitimité des résultats de la prochaine consultation présidentielle, de préparer le camp bolsonariste à se mobiliser en cas de défaite de son candidat contre le complot ourdi de longue date contre le Président par le STF.
(A suivre : Préparer l’insurrection).
[1] Sur la définition de ce "physiologisme", Voir les articles de la série Petite incursion dans la vieille politique , postés le 10 février 2021. https://www.istoebresil.org/post/petite-incursion-dans-la-vieille-politique-1. [2] La désignation du Procureur Général de la République le président de la République doit être approuvée par une majorité absolue de sénateurs (majorité de 41 voix), après une audition par une commission sénatoriale. [3] A l'origine, l’opération Lava Jato (lavage express) a désigné la série d’informations ouvertes pour lutter contre la corruption au sein des milieux politiques, notamment en lien avec des systèmes de surfacturation, de pôts de vin et d’appels d’offre falsifiés au sein du groupe Petrobras, l'entreprise publique pétrolière, et d’Odebrecht, une grande entreprise de BTP. Dans plusieurs Etats fédérés, des task forces composées de juges fédéraux, de procureurs, de policiers, se sont lancés dans une véritable croisade anti-corruption, en envoyant plusieurs hommes politiques (dont l'ancien président Lula) et des chefs d'entreprise derrière les barreaux. [4] Voir l’article Le clan Bolsonaro, ses disciples et la justice, posté le 6 juillet 2020 https://www.istoebresil.org/post/le-clan-bolsonaro-ses-disciples-et-la-justice. [5] Le plan de la nouvelle direction de la police fédérale a été rendu public connu alors qu’une opération concernant Ricardo Salles, Ministre de l’environnement, était en cours. Celui est l’objet d’une information judiciaire exécutée par un commissaire de la Police Fédérale et lancée à l’insu de la direction générale de l’institution. Elle a entraîné des perquisitions aux domiciles du Ministre qui est soupçonné d’avoir favorisé des opérations de contrebande sur du bois extrait illégalement de la forêt amazonienne. L'enquête ouverte au sujet de ce supposé crime du Ministre Salles correspond aux informations sur lesquelles le directeur général veut avoir plus de contrôle. [6] Les compétences du Suprêmo Tribunal Federal sont à la fois celles d'une Cour su-prême (juridiction de dernière instance) et celles d'une Cour constitutionnelle (qui statue sur les questions de constitutionnalité, indépendamment des litiges au fond). Son rôle essentiel au sein des institutions est de servir comme gardien de la Constitution fédérale de 1988, en appréciant les atteintes à ces dernières. Ses décisions ne sont susceptibles d'aucun recours devant une autre juridiction. [7] La personnalité choisie doit avoir plus de 35 ans et moins de 65 ans. Le choix du Président est assez libre. Il n’a pas l’obligation de désigner un membre de la magistrature, un avocat ou même une personnalité ayant une formation supérieure en Droit. [8] Toutes les délibérations administratives et judiciaires du Tribunal suprême sont diffusées en direct à la télévision depuis 2002. Le Tribunal est également ouvert au public qui peut assister aux jugements. [9] De nombreuses questions de politiques publiques sont soumises à l'appréciation du STF qui assume ainsi un contrôle élargi sur ces sujets. Le déplacement du cours d'un fleuve (cas du São Francisco), des questions relatives au processus de privatisation d'entreprises publiques, l'utilisation des cellules-souches pour la recherche scientifique, et l'élargissement des conditions d'autorisation de l'avortement sont des exemples où le consensus n'ayant pu être obtenu par la voie des débats parlementaires, la décision finale a abouti au judiciaire.
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