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Photo du rédacteurJean Yves Carfantan

Le Brésil dans l'orbite..... de l'empire du milieu.


La compagnie pétrolière nationale travaille de plus en plus avec des partenaires chinois. Débouché croissant à l’exportation pour le pétrole brut, la Chine participe aux investis-sements nécessaires à l’exploitation du présel (le grand gisement off-shore découvert dans les années 2000 au large du Sud-Est du Brésil). Elle fournit des navires-sondes, des plateformes de forage et diverses technologies d’extraction. Les banques chinoises ont également manifesté depuis plus de dix ans une extrême sollicitude à l’égard de Petro-bras au point d’en devenir les premiers créanciers en un temps relativement court. La firme pétrolière est aujourd’hui le premier acteur économique brésilien lié à la Chine.


Le premier client à l’exportation.


En novembre 2007, le Brésil annonce avoir découvert de grandes accumulations d’hydro-carbures dans les couches rocheuses au-dessous du sel (ou « présel ») des bassins sédi-mentaires offshore de l’Atlantique Sud. Les nouveaux gisements, qui s’étalent sur 800 ki-lomètres, se trouvent à plus de 200 kilomètres des côtes des États d’Espirito Santo, de Rio de Janeiro, de São Paulo, du Paraná et de Santa Catarina. Enfouis entre 5000 et 7000 mètres sous la mer, le pétrole et le gaz sont retenus par une couche salifère dont l’épais-seur peut atteindre 2 000 mètres. D’emblée, l’identification d’un premier champ pétrolier dénommé Tupi est considérée comme la plus grande découverte de pétrole au monde depuis 2000. Les estimations concernant la totalité des nouvelles réserves ont consi-dérablement différé depuis quinze ans d’une source à l’autre. Aujourd’hui, elles vont de 50 à 176 milliards de barils d'un pétrole léger et apprécié commercialement. Quel que soit le calcul retenu, avec cette découverte, le Brésil est entré dans le petit groupe de pays disposant de grandes réserves de pétrole. L'Association internationale de l'énergie (AIE) a prévu que le Brésil pourrait devenir le pays producteur bénéficiant de l’essor de l’offre le plus important d’ici au milieu de la prochaine décennie en dehors du Moyen-Orient. La production de brut pourrait atteindre 5,7 millions de barils par jour (mbj) d'ici 2035, le Brésil devenant alors le sixième grand producteur mondial [1].


Localisation des champs pétrolifères du présel.



Ces réserves nouvelles découvertes par le Brésil et la firme Petrobras, une production et des exportations croissantes : ces éléments font du premier pays d’Amérique du Sud un fournisseur intéressant pour les stratèges chargés de veiller à la sécurité énergétique de la Chine [2]. Entre 2006 et 2020, la production de pétrole brut du Brésil est passée de 1,72 mbj à 2,95 mbj. Le Brésil est devenu le neuvième producteur mondial en 2020. Il est le premier producteur de pétrole d'Amérique latine depuis 2016. Le profil du pays dans le monde pétrolier est donc aujourd’hui très différent de ce qu’il était au début du XXIe siècle, lorsqu’il était le 18e producteur mondial d’or noir et le troisième à l’échelle du con-tinent latino-américain, derrière le Venezuela et le Mexique.


La consommation domestique brésilienne a évolué à un rythme beaucoup plus lent que la production depuis quinze ans. En d’autres termes, le pays a disposé de plus en plus d’excédents exportables. Les volumes exportés sont passés de 0,37 mbj à 1,37 mbj entre 2006 et 2020 [3]. Au fil des années, l'excédent de production pétrolière du Brésil est allé progressivement vers le pays asiatique. Les exportations brésiliennes vers la Chine ont remarquablement augmenté, passant de 45000 barils par jour (b/j) en 2006 à 739 000 b/j en 2019.


La Chine est devenue le principal marché d'exportation de pétrole du Brésil en 2010 et depuis 2013, battant les États-Unis, qui étaient la principale destination des exportations du pays sud-américain. Les exportations du Brésil ont connu une croissance rapide après 2013. Ce phénomène a été accompagné d'un élan similaire et plus rapide des expor-tations vers le pays asiatique - expansion de plus de six fois depuis 2013 - et la part de la Chine n'a cessé d'augmenter jusqu'en 2019, où elle a atteint 63 % (contre 12% en 2006). Cette croissance remarquable des exportations brésiliennes vers la Chine ne serait pas possible sans Petrobras. La plus grande entreprise du Brésil est historiquement le prin-cipal concessionnaire du pays. En tant qu’opérateur de forages, la production de l'entre-prise a atteint 93% du total en 2019. La compagnie est aussi le principal exportateur, bien que son pourcentage des exportations nationales ait diminué au fil du temps, passant de 91% en 2006 à 46% en 2019, essentiellement en raison des investissements croissants d'autres entreprises locales et internationales dans le secteur amont du Brésil au cours des dernières années. De 2006 et 2019, les exportations totales de Petrobras sont pas-sées de 335 000 b/j à 536 000 b/j.


Cette croissance des livraisons de la compagnie nationale sur les marchés internationaux est très liée à l’essor des ventes sur la Chine. Sur la période de 15 ans évoquée ici, ces dernières ont été multipliées par près de 10, passant de 40 000 b/j à 379 000 b/j. Dans l’intervalle, la part de la nation asiatique dans les exportations de la firme est passée de 12 à 71%. La République populaire est depuis 2015 le principal marché de Petrobras pour l’exportation de brut [4]. Cette évolution est observée par la diplomatie chinoise et les organismes qui favorisent les échanges bilatéraux comme l’illustration de la complémen-tarité naturelle qui existerait entre les deux pays et serait mutuellement avantageuse. Les chercheurs brésiliens indépendants sont plus sceptiques. Ils reconnaissent les avan-tages à court et moyen terme de l’ouverture du marché chinois aux exportations bré-siliennes de pétrole. Ils s’inquiètent cependant de plus en plus de l’asymétrie qui se crée entre le secteur national de l’exploitation pétrolière et les industries utilisatrices de l’em-pire du milieu. Cette inquiétude est renforcée par la stratégie d’investissement que con-duisent les majors chinoises au Brésil.


Evolution de la production et de la demande de pétrole brut au Brésil.

(millions de barils/jour)

Source : ANP.


Le premier associé dans l’exploration et l'extraction.


Pour la filière pétrolière chinoise, le premier pays d’Amérique du Sud n’est pas seulement un fournisseur de brut. Il représente trois autres opportunités. Il dispose d’abord d’actifs stratégiques à explorer et à exploiter. Il ouvre des marchés pour les sociétés d’ingénierie spécialisées de la République populaire. Il permet enfin aux firmes chinoises d’acquérir des savoir-faire et des technologies en matière de prospection et d’exploitation en eaux très profondes. Compte tenu de sa position dominante dans l’industrie pétrolière bré-silienne, de ses compétences en matière d’exploration et d’exploitation de gisements pré-salifères, Petrobras a été d’emblée le partenaire privilégié par les opérateurs chinois.


La compagnie brésilienne possède une expertise reconnue en matière de forage en eaux profondes. A l’inverse, jusqu’au milieu de la dernière décennie, les majors chinoises accusaient de sérieuses lacunes dans ce domaine qu’elles étaient décidées à combler. En 2015, le Brésil détenait 172 brevets déposés de technologies d’exploration eaux pro-fondes, quand la Chine en avait seulement neuf. Si les majors chinoises ont cherché à coopérer avec Petrobras, c’est d’abord pour acquérir des connaissances, un know-how qu’elles pourraient ensuite utiliser en Chine ou pour des projets d’extraction et de pro-duction (E&P) engagés à l’étranger. C’est ensuite pour accroître en Amérique du Sud le nombre et le potentiel de bassins d’exploitation sur lesquels elles interviendraient di-rectement.


Lorsque les majors chinoises engagent une stratégie d’expansion internationale au milieu des années 2000, les meilleurs champs pétroliers sont déjà exploités par des opérateurs locaux et leurs partenaires étrangers. Les champs qui peuvent être encore prospectés et mis en exploitation se situent pour l’essentiel sur des pays politiquement instables et économiquement plus risqués. En outre, les opérations de forages et la mise en pro-duction représentent des défis géologiques considérables. Dans ce contexte, la dé-couverte des gisements pré-salifères brésiliennes constitue une opportunité pour les firmes chinoises. Ces gisements sont situés dans un pays qui offre une relative sécurité juridique aux investisseurs, est ouvert et souhaite se rapprocher d’autres nations émer-gentes. Après la crise financière globale de 2008, les majors chinoises qui disposent alors d’abondantes ressources financières vont voir s’ouvrir une période favorable. Elles peu-vent multiplier les investissements en acquérant les actifs de firmes occidentales qui doivent réduire leurs coûts et désinvestir.


Petrobras est elle-même une compagnie nationale qui se trouve dans l’incapacité de faire face à tous les investissements d’E&P qu’elle doit réaliser pour accroître la produc-tion après la découverte du présel. Dans ces conditions, pour engager la mise en exploi-tation des nouveaux champs pré-salifères sans accumuler d’énormes retards, la compa-gnie brésilienne choisit de privilégier les partenariats technologiques, opérationnels et financiers avec des acteurs étrangers. Après 2015, le Brésil entre dans une période de grande incertitude économique et politique. Les majors occidentales historiques (Exxon, Shell, BP, Total) ne se précipitent pas. Les entreprises de l’empire du milieu sont beau-coup moins timorées. Les premiers investissements directs importants de majors chinoi-ses dans l’E&P au Brésil démarrent en 2010. En mai, Sinochem s’associe à la compagnie norvégienne Statoil pour exploiter un champ pétrolifère off-shore au large de Rio de Janeiro. En octobre, Sinopec acquiert une participation de 40% dans le capital de Repsol-Brasil, la filiale locale du groupe espagnol qui avait déjà plusieurs projets de production en partenariat avec Petrobras. En novembre 2011, Sinopec acquiert une participation de 30% dans le capital d’un exploitant portugais déjà associé à Petrobras. Après ces premières opérations, Sinopec sera associée à Petrobras sur plusieurs projets greenfield, aussi bien sur les gisements pré-salifères que sur des champs off-shores en eaux peu profondes.


Plateforme de forage sur le champ Tupi.


China National Petroleum Corporation (CNPC) et China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) réalisent d’importants investissements directs d’E&P au Brésil à partir de 2013. En octobre, les autorités brésiliennes concluent le premier appel d’offre lancé pour la mise en exploitation des champs pré-salifères. Le champ choisi est celui de Libra, con-sidéré alors comme le plus important sur l’ensemble du présel, avec une réserve de 25 milliards de barils. Les deux majors chinoises participent (à hauteur de 20%) au con-sortium formé avec Petrobras (40%), Shell (20%) et Total (20%) qui remporte alors cet appel d’offre. C’est la première fois que des majors chinoises s’engagent directement dans un projet d’E&P greenfield au Brésil. Fin 2019, les deux compagnies sont à nouveau associées à Petrobras dans le consortium qui gagne l’appel d’offre pour l’exploitation d’un autre champ pré-salifère, celui de Buzios (au large de l’Etat de Rio de Janeiro). En raison de l'importance et de la taille énorme de ces deux champs, ces investissements ont été considérés comme des jalons dans l'histoire des investissements chinois dans le secteur pétrolier brésilien. La productivité des champs pré-salifères est plus élevée que celle des champs post-salins, et leur production est encore en phase initiale. Associées à Petro-bras sur les champs de Libra et Buzios, CNPC et CNOOC pourraient compter parmi les principaux producteurs de pétrole étrangers au Brésil dans un avenir proche. Ce par-tenariat des entreprises chinoises avec Petrobras s’est traduit par une contribution en hausse dans la production nationale de pétrole brut [5]. Considérée dans son ensemble, la contribution chinoise était la troisième plus importante aujourd’hui, après Petrobras et Shell. Cette participation devrait augmenter dans un avenir proche, car certains des récents investissements en champs pré-salifères n'ont pas encore atteint la phase de production.


Ingénieurs et chantiers navals chinois à la rescousse.


Pendant les gouvernements Lula (2003-2010) et Dilma Rousseff (2011-2016), Petrobras devient un outil central de politique industrielle. La firme doit à la fois mener à bien des investissements gigantesques en E&P sur le périmètre marin du présel. Elle doit aussi investir massivement à aval sur le raffinage, la pétrochimie, les dérivés du pétrole et du gaz. Les compagnies chinoises seront de plus en plus impliquées dans les projets d’in-frastructures comme les gazoducs, les terminaux de regazéification, la construction d’un site de production d’engrais azotés, la manutention de pipelines. Les chantiers navals chi-nois vont être également mobilisés. Ils joueront un rôle-clé dans la mise en exploitation des ressources du présel. Entre 2000 et 2019, sur les 39 unités flottantes de production, de stockage et de déchargement (FPSO, selon le sigle en anglais) nouvelles dont a dû s’équiper Petrobras pour exploiter les champs pré-salifères construites à l'étranger, 20 ont été fournies par des chantiers navals chinois. A partir de 2014, presque tous les FPSO ont été en partie ou en totalité construits ou convertis dans des chantiers chinois.


A l’origine, ces navires devaient être construits sur des chantiers brésiliens. Ce projet ab-surde a été conçu sous les gouvernements Lula. Des normes de contenu national trop strictes, l’absence au Brésil de certains équipementiers, la crise économique qui explose fin 2014, les scandales polico-financiers de la fin de l’ère Lula : tous ces éléments rendent inviables et très onéreuse une politique visant à faire naître ou à développer des filières industrielles nationales. Devant les retards, les surcoûts, les paralysies, Petrobras doit ré-évaluer ses plans d'investissement et enregistrer des pertes. En 2013, le chantier naval chinois COSCO - principal constructeur chinois fournisseur de Petrobras - prend en char-ge la construction de la coque d’une plateforme de production, après que l'entrepreneur brésilien Engevix ait été plongé dans la crise. COSCO va également être impliqué dans la fabrication d'autres unités, 19 au total. Cette situation s'est répétée dans les années suivantes et d'autres plans de FPSO ont été transférés aux docks chinois. En raison de la crise générale des chantiers navals brésiliens, certains FPSO ont été directement confiés à des entrepreneurs chinois, afin de respecter le calendrier d'expansion de la production des champs pré-salifères de Petrobras [6].


Unité flottante FPSO construite en Chine arrivant à Rio de Janeiro (2016).



Sollicitude des banques chinoises.


Entre 2007 et 2019, répondant aux plans tracés par Pékin, les banques d’Etat chinoises (CDB, CHEXIM, BOC, Hai Feng, NDB, ICBC) ont accordé un total de 15 prêts pétroliers au Brésil, dont 14 directement à la compagnie Petrobras [7]. Sur une enveloppe totale de 36,8 milliards d’USD, 31,7 milliards avaient été effectivement déboursés à la fin 2020. Plusieurs des contrats de prêts signés avec Petrobras (pour un financement total de 17 milliards de dollars) étaient assortis d’une clause obligeant le débiteur à fournir des quan-tités pré-fixées de pétrole brut. Ces contrats étaient fréquemment (pour un encours de prêts total de 13,75 milliards) accompagnés de règles prévoyant l’acquisition de tech-nologies chinoises.


Les deux banques d’Etat chinoises China Development Bank (CDB) et Export and Import Bank of China (CHEXIM) ont accordé la majorité des prêts (un total de 30,4 milliards d’USD). Petrobras a également eu recours à des banques commerciales chinoises, prin-cipalement Bank of China (BOC) et ICBC. Une comparaison entre tous les prêts chinois liés au pétrole et octroyés depuis 2009 (première année de concession d’un financement à Petrobras) à l’échelle mondiale (122,5 milliards d’USD de crédits à des projets pétroliers et gaziers dans le monde octroyés entre 2009 et 2019) et les financements fournis par CDB et CHEXIM montre que Petrobras a bénéficié de 25% du total des prêts et de 64% de ceux octroyés à des emprunteurs latino-américains [8].


Le soutien financier fourni par les banques chinoises à Petrobras présente trois caracté-ristiques essentielles. Des prêts octroyés peuvent être remboursés en partie par des ven-tes de pétrole. En second lieu, les crédits octroyés doivent pour partie ou intégralement être mobilisés pour acquérir des équipements et des services fournis par des entreprises chinoises. La troisième caractéristique est essentielle : les banques chinoises n'ont pas hésité à consentir des prêts pour soutenir l’effort d’investissement de la firme brésilienne au début de l’exploitation du présel et plus encore pour éviter qu’elle entre en défaut de paiement dans les années 2014-2016.


Les mécanismes de prêt contre pétrole sont des instruments récurrents dans la diplo-matie pétrolière de la Chine depuis plusieurs années. Il s'agit normalement d'un accord de prêt trilatéral entre une banque chinoise, une compagnie pétrolière et une entreprise de raffinage. Le remboursement ne se fait pas par transfert direct de fonds du débiteur à son créancier. Il se fait par la vente de pétrole à l’entreprise de raffinage. En vertu du con-trat, la compagnie pétrolière doit livrer une certaine quantité de barils pendant une période donnée au raffineur. Ce dernier envoie directement le paiement à la banque. Après la crise mondiale de 2008, la Chine a étendu cette modalité de crédit à plusieurs pays riches en pétrole. Des estimations ont montré qu'environ 40 % de tous les prêts accordés par la Chine à Petrobras sont garantis par des ventes de pétrole. La China Development Bank a ainsi signé en 2016 un contrat de prêt à Petrobras (pour 5 milliards d’USD), avec remboursement sur 10 ans. Des filiales de CNPC et de ChemChina sont associées au contrat pour le raffinage. Petrobras s’engage à livrer jusqu’en 2026 100 000 b/j de pétrole brut à ces filiales, livraison que ces dernières régleront directement à la CDB.


Seconde caractéristique : les contrats de prêts peuvent porter sur des financements liés. L’emprunteur doit dépenser au moins une partie du crédit reçu en acquisition d’équi-pements ou de services fournis par des opérateurs chinois, favorisant ainsi l'expansion mondiale des entreprises de l’empire du milieu et augmentant leur empreinte dans d'au-tres pays. La plupart, sinon la totalité, des opérations de la CDB et du CHEXIM compor-tent ce type de disposition [9].


Troisième caractéristique majeure : les financements chinois interviennent sur les pério-des les plus délicates de la vie de la compagnie brésilienne. Le premier épisode remar-quable a lieu en 2009. Petrobras doit financer d’énormes investissements pour lancer l’exploitation du présel [10]. La compagnie cherche à contracter des prêts pendant et après la crise financière mondiale de 2008, alors que les institutions occidentales man-quent de liquidités et manifestent de grandes réticences à s’engager. En 2009, la China Development Bank n’hésite pas à libérer un prêt de 7 milliards d’USD remboursable sur dix ans. Le second épisode est plus significatif encore. A partir de 2014, la Justice brési-lienne révèle que Petrobras est au cœur d’un énorme dispositif de surfacturation et de détournement de fonds destinés à acheter le soutien de formations et de leaders poli-tiques au gouvernement. Des cadres de la compagnie sont arrêtés, des sous-traitants et équipementiers voient leurs activités paralysées. Les plans d’investissement sur les gise-ments du présel sont retardés. Les titres de Petrobras s’effondrent en bourse.


Avec la crise économique qui commence en 2014, la monnaie brésilienne subit une forte dépréciation face au dollar. Libellée principalement en devises fortes, la dette de Petro-bras s’élève. Le coût de l'importation d'essence, d'autres produits dérivés, d'équipements et de services augmente en conséquence. Pour aggraver la situation, les prix du pétrole sont en chute libre. Après un pic de 112 USD par baril en 2011/12, les cours du Brent ont atteint 52 USD, 43 USD et 54 USD entre 2015 et 2017 respectivement. La rentabilité de la compagnie s’effrite. Entre 2010 et 2015, sa dette nette passe de 36,6 à 100,4 milliards de dollars. Le résultat net s’effondre et devient négatif à partir de 2014 (il ne redevient positif qu’en 2018). Les marchés considèrent alors que la firme nationale est au bord du défaut de paiement. A partir de février 2015, Moody's, Standard and Poor's et Fitch dégradent la note de Petrobras qui perd sa classification investment grade. Cette décision ferme prati-quement l’accès de la compagnie aux marchés financiers au moment même où sa survie est en jeu.


Les institutions financières chinoises seront les chevaliers blancs de Petrobras. La BOC avait octroyé un prêt d’un milliard de d’USD en 2013. L’année suivante, les crédits fournis par CDB et BOC portent sur 3,5 milliards d’USD. Sur 2015, les financements octroyés par CBB et ICBC atteignent 6 milliards d’USD. Tous les contrats prévoient un remboursement sur dix ans. En 2016, les concours des banques chinoises passent à 7 milliards d’USD. Les prêts fournis en 2017 atteindront encore 5 milliards d’USD. Entre 2014 et 2017, les financements effectivement déboursés par la CDB représentent une injection de 18 mil-liards d’USD dans les caisses de Petrobras. La banque d’Etat chinoise a sauvé Petrobras du défaut de paiement. Au cours des dix années allant e 2009 à 2019, Petrobras a em-prunté au total 160 milliards d’USD [11], dont 20% auprès des institutions financières de la République populaire. Ces dernières sont devenues les premiers créanciers de la com-pagnie pétrolière brésilienne.


Qui dépend de qui ?


Avec la découverte et la mise en exploitation des gisements du présel, le Brésil et Petro-bras sont devenus des fournisseurs majeurs de pétrole sur le continent américain et à l’échelle mondiale. Cette évolution aurait été impossible sans la coopération et la solli-citude intéressée de nombreux partenaires chinois. On peut ici encore parler d’inter-dépendance. C’est une interdépendance asymétrique. Petrobras dépend aujourd’hui de la Chine pour écouler une part significative de sa production, pour assurer l’exploitation des gisements et financer son développement. Faut-il le préciser ? La dépendance de Petrobras par rapport aux marchés, aux technologies, aux financements de la Chine n’a pas d’équivalent dans l’autre sens. Le Brésil est aujourd’hui le 5e pays fournisseur de pé-trole brut de la République populaire. En 2020, les livraisons brésiliennes ont représenté 7,9% de la facture d’importation chinoise, derrière l’Irak (10,9%), la Russie (15,5%) et surtout l’Arabie Saoudite (15,9%).


A suivre : une stratégie d'influence.


 

[1] Selon l’AIE, à l’horizon 2035, la production off-shore correspondra à 13% de l’offre mon-diale de pétrole et le Brésil assurera un tiers de cette production. [2] A partir de 1993, la Chine est devenue un pays importateur net de pétrole. Dès lors, la sécurité des approvisionnements énergétiques a été de plus en plus considérée comme essentielle pour assurer une croissance économique rapide. Le taux de dépendance de la Chine à l'égard des importations a explosé au cours des deux dernières décennies, en raison de deux phénomènes concomitants : une demande croissante et une production interne atone. En 2015, la Chine est devenue le premier importateur mondial de pétrole brut (6,2 mbj). En 2019, elle représentait 22% des importations mondiales de pétrole en valeur, une forte augmentation par rapport aux 3,9% de 2000. [3] En 2019, le Brésil était le 12e exportateur mondial et le premier en Amérique latine, exportant 40 % de sa production nationale. [4] Le taux de dépendance des exportations de Petrobras par rapport à la Chine a toujours été plus élevé que celui du Brésil, à l'exception de 2006, où les deux indicateurs étaient de 12 %. Les autres compagnies produisant au Brésil ont donc une combinaison de marchés à l’exportation plus diversifiée. Elles dépendant moins du pays asiatique. [5] Entre 2011 et 2019, la part des majors chinoises dans la production de pétrole brut au Brésil est passée de 5,5 millions de barils à 32,2 millions de barils, soit respectivement 0,7 % et 3,2 % du total, ce qui représente une croissance de 486 %. En comparaison, les chif-fres des autres compagnies pétrolières opérant au Brésil ont augmenté de 29% au cours de la même période. [6] En raison de leur participation croissante aux plans de construction de FPSO de Pe-trobras, les constructeurs navals chinois ont rapidement amélioré leur courbe d'ap-prentissage et ont pu envisager un développement à l'échelle mondiale. Au cours des dernières années, le Brésil a été le principal acheteur de FPSO au monde et Petrobras, le plus gros acheteur de FPSO. Avec cette énorme demande, les chantiers chinois ont acquis de l'expérience, des connaissances et une réputation. Ils s'occupaient presque exclusivement de projets brésiliens jusqu'en 2014, mais ont ensuite commencé à opérer en Amérique centrale et en Afrique de l'Ouest, par exemple. [7] Le premier prêt est le seul auquel Petrobras n'a pas participé directement, mais il visait à financer partiellement la construction de son gazoduc Gasene, pour lequel Sinopec a été engagé. Il a été conclu en 2007. Les 750 millions de dollars sont allés à la Banque de développement du Brésil, qui était chargée de financer le reste du projet. [8] Source pour ces données : China’s Global Energy Finance, base de données élaborée par le Global Development Policy Center de l'Université de Boston. [9] On recense cinq prêts avec des clauses de contenu minimum entre 2007 et 2019. [10] Le plan d'investissement quinquennal arrêté pour la période 2008-2012 prévoyait 65 milliards d'USD d'investissements E&P, soit 32 % de plus que le précédent plan (2007-2011). Le plan suivant couvrant la période 2009-2013 prévoyait des décaissements plus importants : 105 milliards d'USD. [11] En comparant uniquement avec les prêts internationaux - 107 milliards USD -, les 32 milliards USD de prêts chinois décaissés représenteraient 30%.

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