Une nouvelle décennie perdue.
Jusqu’au début de 2021, les économistes brésiliens affirmaient que les années 1980 avaient été la pire période que le pays ait connue en termes de croissance économique. Ils désignaient d’ailleurs celle-ci en parlant de "décennie perdue". Entre 2011 et 2020, le Brésil a traversé une nouvelle décennie perdue, plus difficile encore que la précédente. Cette nouvelle séquence aura même été le plus mauvaise depuis que l’on dispose de statistiques fiables sur l’activité économique et l’évolution du revenu moyen par habitant. La période avait pourtant relativement bien commencé. Entre 2011 et 2013, la croissance annuelle moyenne du PIB a été de 3%. A partir de 2014, le rythme de progression de l’activité a commencé à s’affaiblir pour s’effondrer en 2015 et 2016, deux années marquées par une profonde récession. La récupération a été très modeste entre 2017 et 2019. Avec la pandémie et la paralysie de l’économie qu’elle a entraîné, le PIB a enregistré une con-traction de 4,1% en 2020, soit un des plus mauvais résultats observés depuis le début du XXe siècle. Sur les 120 années qui se sont achevées en 2020, le pays a connu 17 années de croissance négative. Outre 2020, les pires années auront été 1981 et 1990, deux sé-quences au cours desquelles le pays a également connu une croissance négative (-4,3% par an dans les deux cas).
Croissance annuelle du PIB en % (projections de 2021 à 2026).*
Source : FMI.
Sur les dix années qui se sont terminées en 2020, le Brésil a enregistré une hausse moyenne de la production de richesse de 0,3% par an, un rythme bien plus faible que celui observé sur les 11 décennies précédentes (au cours de la première décennie perdue, la progression moyenne avait été de 1,6%/an). Sur la période qui commence en 2011 et s’est achevée avec 2020, la population a continué à augmenter (+0,7% par an) à un rythme supérieur à celui de la production de richesse. Cela signifie que le PIB par habitant (l’indicateur qui sert de référence pour évaluer le revenu moyen par tête) s’est réduit. Sur la seule année 2020, cette contraction a été de 4,8%. Ce PIB per capita avait déjà baissé de plus de 8% au cours de la récession historique des années 2015 et 2016. Sur les trois années qui ont suivi, il a pratiquement stagné. Cela signifie que le PIB moyen par habitant de 2020 est le plus bas que l’on ait observé depuis 2013. Au cours de la décennie 2011-20, selon la Fondation Getulio Vargas, la contraction moyenne aura été de 0,6%/an. Elle n’avait été que de 0,4% sur la première décennie perdue.
Les conséquences économiques de la première année d’épidémie de covid-19 expli-quent en partie cette trajectoire médiocre sur 10 ans. Elles ne peuvent pas être retenues comme les seules explications. Même si l’année 2020 n’avait pas été marquée par cette crise sanitaire, la dernière décennie aurait été une des pires de l’histoire économique du pays. Supposons en effet qu’en l’absence de pandémie la croissance ait été de 1,5% en 2020 (soit un rythme comparable à celui des trois années antérieures), la hausse moyen-ne de production de richesse aurait été alors de 0,6%/an sur la décennie et celle du PIB par tête de zéro. L’épidémie de covid-19 et la crise sanitaire sont venues aggraver une trajectoire qui était déjà médiocre. Sur les séquences antérieures, les phases de réces-sion ont été suivies de périodes de reprise qui compensaient les reculs enregistrés anté-rieurement. La forte récession de 2015 et 2016 a été suivie par trois années de croissance très modeste. Le Brésil n’avait pas retrouvé un rythme de progression comparable à celui d’avant la récession lorsque la pandémie est survenue.
Le Brésil recule.
Il est utile ici de faire quelques comparaisons internationales. Si l’on retient le taux de croissance du PIB per capita évalué en monnaies locales, il s’avère que 82% des pays (soit 156 sur un échantillon total de 191) ont connu entre 2011 et 2020 une trajectoire plus sa-tisfaisante que celle du Brésil. Le graphique ci-dessous présente les taux de croissance annuels moyens du PIB par tête sur cette période de dix ans pour un groupe de 13 éco-nomies qui représentent ensemble 60% du PIB mondial. La liste retenue comprend les pays dits du "BRICS" (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), des pays d’Amérique latine qui sont souvent comparés au Brésil et quatre pays avancés (Etats-Unis, Royaume-Uni, Japon et Allemagne). La trajectoire du Brésil est un peu moins problématique que celle de l’Afrique du Sud. A l’extrême opposé, on trouve l’Inde et la Chine qui sont parve-nus à des rythmes moyens de progression du PIB par tête plus élevés.
Taux moyen de croissance annuelle du PIB par habitant (2011-2020) en %.
Source : FMI.
A première vue, le Brésil est encore une puissance économique qui compte à l’échelle mondiale. Evaluée en dollars et en termes de parité de pouvoir d’achat, le PIB brésilien était le huitième du monde à la fin de 2020, derrière celui de la Chine, des Etats-Unis, de l’Inde, du Japon, de l’Allemagne, de la Russie et de l’Indonésie. La perception est assez différente lorsque l’on rapporte cette puissance économique à la population. Si l’on choisit comme critère de classement le PIB par habitant toujours en termes de parité de pouvoir d’achat (en prenant en compte les différences de coût de la vie d’un pays à l’autre), le Brésil apparaissait en 2020 au 85e rang mondial sur un total de 195 pays. Selon le FMI, en considérant les mêmes paramètres de classement, le premier pays d’Amérique du Sud sera au 90e rang dans cinq ans.
Les données fournies par le FMI permettent de prendre un peu de recul. Le déclin éco-nomique relatif du Brésil est une tendance marquée depuis quarante ans. En 1980, le pays assurait plus de 4% de la production de richesses dans le monde. L’an passé, cette part a été de 2,4% et devrait continuer à diminuer jusqu’au milieu de l’actuelle décennie. Cela fait aussi quarante ans que le Brésil chute dans le classement mondial des nations basée sur le revenu moyen par habitant. Au cours de cette période, il a été dépassé par une dizaine de pays.
Part du Brésil dans le PIB mondial (en %).
Source : FMI.
Sur la même période, évaluée à prix constants et en tenant compte de la parité de pou-voir d’achat, le revenu moyen par habitant a connu une évolution très heurtée. Jusqu’à la fin des années 1990, il fluctue fortement autour d’un niveau de 11000 dollars par tête (9000 dollars en termes de PPA). La progression est significative sur les dix premières années du XXe siècle. Cette évolution favorable est liée essentiellement à la fin de l’hyperinflation, à la mise en œuvre de politiques redistributives et au boom de la croissance entre 2004 et 2010 provoqué par un supercycle de hausse des prix mondiaux des matières premières. A partir de 2013, comme cela a été dit plus haut, la courbe s’inverse. Selon les projections de l’institution internationale, compte tenu de prévisions de faible croissance, dans cinq ans, le Brésilien moyen n’aura pas retrouvé le revenu annuel dont il disposait en 2013. En Amérique latine, le Chili, le Mexique et l’Argentine dégagent un revenu moyen per capita supérieur à celui du Brésil. Dans quelques années, la Colombie devrait également se trouver en meilleure position que le plus grand pays du sous-continent.
PIB par habitant sur 40 ans.
Source : FMI.
Une lecture rétrospective permet de retenir quelques explications partielles de l’affaiblis-sement du poids économique relatif du Brésil depuis quarante ans et de la progression heurtée du revenu moyen par habitant. L’histoire économique de ces quatre décennies est extrêmement tumultueuse. La période commence une sévère récession en 1983 à la suite de la crise de la dette. Viennent ensuite plusieurs plans successifs de lutte contre l’hyperinflation qui seront tous des échecs. En 1990, avec le plan Collor, les Brésiliens su-biront une confiscation de leur épargne mais devront encore pendant plusieurs années vivre avec une grande instabilité des prix. Tous ces épisodes ont entraîné des chutes bru-tales de revenus comparables à celle qui découle de l’épidémie de covid-19 ou à celles encore récentes associées à la baisse des cours mondiaux de matières premières après 2010 et à la sévère récession des années 2015-2016.
Il serait cependant erroné de limiter l’explication de performances économiques médio-cres et de la contraction récente du revenu moyen par tête à des évènements isolés. La croissance relativement élevée (+3,7% en moyenne) observée sur la première décennie du siècle aura été directement associée au supercycle des commodités (hausse des cours du soja, du minerai de fer, etc…). Elle a freiné la dynamique de déclassement du Brésil dans la hiérarchie mondiale de la production de biens et de services et du revenu moyen par habitant. Elle n’a pas arrêté cette dynamique. Le revenu moyen du Brésilien a progressé de près de 30% entre 2001 et 2010 mais huit pays dans le monde sont parve-nus au cours de la même période à des résultats plus importants.
Les raisons qui expliquent les performances médiocres de l’économie brésilienne depuis quatre décennies sont plus profondes et désormais bien connues. D’éminents écono-mistes, experts en sciences politiques et spécialistes des institutions ont proposé la fin du siècle dernier des diagnostics qui rompent avec les catéchismes idéologiques qui ont longtemps remplacé les analyses lucides du contexte national. Dans les articles à venir de cette série, on évoquera ces diagnostics qui jettent une lumière crue sur les facteurs qui rendent compte de l’affaissement relatif de l’économie brésilienne et de l’appau-vrissement d’une part de la population.
(A suivre : Quatre décennies médiocres.)
Comentarios