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Le Brésil, un géant sud-américain endormi (2).


Priorité absolue à l’éducation…de base.


 

« Il n'est de richesse que d'hommes. » Cette phrase célèbre prononcée par le grand économiste et philosophe français Jean Bodin sonne comme un rappel salutaire au Brésil, pays trop longtemps aveuglé par l’abondance de ses ressources naturelles. Trop longtemps gouverné aussi par des responsables incapables d’exploiter le vrai trésor du continent bré-silien : ses talents, ses cerveaux, sa culture et sa civilisation. Désormais, ces dirigeants n’ont plus le choix. Le progrès économique et social dépendra de plus en plus de la mobilisation des intelligences et des capacités créatrices. C’est à l’école que le Brésil décide de son avenir. Sans une école profondément réformée, la société sera demain formée d’une petite élite savante encerclée par une foule de déclassés, condamnés aux expédients et à la pauvreté.

 

 

Le Brésil est un pays étrange qui a sacrifié pendant des décennies les talents de ses jeunes générations. Il a cru que l’essor économique et le progrès social pouvaient surgir sans développer et valoriser son capital humain. Il a accumulé un énorme retard par rap-port aux nations avancées. L’éducation de masse a trop longtemps été un objectif ignoré ou négligé. Pourtant, sur le papier, le Brésil dispose d’un système éducatif bien organisé. De la crèche à la fin du cursus secondaire (un parcours désigné au Brésil sous le terme d’éducation de base), la trajectoire de l'élève est organisé en trois phases. La première n’est pas obligatoire. Elle concerne les enfants de moins de six ans qui peuvent aller à la crèche (jusqu’à 3 ans) et suivre ensuite une séquence dite préscolaire. L’école devient obligatoire à l’âge de six ans. L’enfant aborde alors une seconde étape dite d’ensei-gnement fondamental et qui dure neuf ans, jusqu’à sa quatorzième année. L’élève doit alors acquérir des connaissances de base en mathématiques, langue portugaise, scien-ces, histoire et géographie. La troisième séquence est celle de l’enseignement moyen. D’une durée de trois ans, de 15 à 17 ans, elle est censée préparer les adolescents à l'entrée dans l'enseignement supérieur et sur le marché du travail. Les connaissances de base sont approfondies et, le cas échéant, l’élève peut recevoir une initiation à des disciplines techniques. A l’issue de cette dernière séquence, l’adolescent est soumis à un examen d’évaluation (l’ENEM)[1] et peut passer un concours d’entrée dans une université : le vestibular. L'enseignement supérieur au Brésil [2] est dispensé par des universités, des facultés, des instituts fédéraux et des centres universitaires, qui peuvent être publics ou privés.

Le système scolaire brésilien.

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Dans les crèches, écoles et collèges publics, la scolarisation est gratuite. République fédérale, le Brésil gère son système éducatif de façon décentralisée[2]. Au niveau cen-tral, le Ministère fédéral de l’éducation est responsable du système national d'ensei-gnement et de la législation en matière d'éducation (programmes, normes de fonction-nement). Il assure des responsabilités de coordination, de financement complémentaire et d'évaluation de l'éducation dans tout le pays. Ce sont les gouvernements des 27 Etats fédérés et les municipalités qui assurent la gestion opérationnelle des établissements publics, de la crèche à la fin de l’enseignement moyen[4] (financement, recrutement des enseignants et employés, construction et entretien des locaux, adaptation des program-mes). Les administrations locales en charge de l’éducation de base disposent de plusieurs types de ressources. Les Etats fédérés doivent consacrer 25% de leurs recettes fiscales à l’éducation (obligation constitutionnelle). Dans ce cadre, chacun de ces Etats gère un Fonds destiné à assurer le fonctionnement de l’éducation publique de base. Ce fonds reçoit 20% des ressources collectées au titre de plusieurs impôts et taxes locaux (y compris à l’échelle municipale). Les ressources réunies sont réparties en fonction du nombre d’élèves scolarisés et pour chaque type et modalité d’enseignement[5]. La législation fédérale fixe un montant de crédit minimum par élève afin de garantir un niveau de financement de base dans tout le pays. Dans les Etats fédérés et les com-munes où la part de 20% des recettes d’impôts locaux collectés ne suffit pas pour at-teindre le montant minimum par élève, le Ministère fédéral de l’éducation verse un complément afin de garantir le seuil minimum. L’Etat central contribue également au développement de l’éducation de base en fournissant aux Etats et communes d’autres apports financiers (investissements).  


Financement de l'éducation de base et supérieure en 2023.

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 Source : Annuaire brésilien de l’éducation de base (voir note 18 ci-dessous).


Sur le papier encore, l’effort financier de l’Etat semble appréciable. Le Brésil consacre l’équivalent de 5% de son PIB et de 10 à 12 % du total des dépenses publiques à l’éducation. Cet effort est d’abord conduit par les administrations locales qui assument les 2/3 du financement de l’éducation de base. L’Etat central prend en charge pour sa part plus de 60% de coût de l’enseignement supérieur public. A première vue, en termes relatifs (part du PIB), l’engagement financier des pouvoirs publics est comparable à celui observé dans les pays avancés. Il faut immédiatement nuancer ce constat en rappelant que le PIB brésilien est plus faible que celui des économies occidentales. Il faut aussi ajouter que l’Etat favorise davantage les individus qui ont la chance d’accéder à l’ensei-gnement supérieur public que les enfants accueillis dans les écoles…On y reviendra.

 

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Progrès et carences.

 

Avant d’évoquer les faiblesses et carences du système public d’éducation, soulignons que depuis 30 ans le Brésil a commencé à redresser une situation qui était catastrophi-que. Le gouvernement fédéral a tardé à universaliser l'enseignement de base. Le pays n'a réussi à scolariser tous les enfants qu'à la fin du siècle dernier, bien après les pays voisins. Dans les années 1930, l'Argentine comptait déjà 62 % d'enfants scolarisés dans le primaire, et le Chili 73 %. Au Brésil, ce chiffre n'était que de 21,5 %. Il faut attendre les années 1960 pour que ce taux passe à 40%. En 2001, il dépasse les 87% et atteignait 97,9% en 2024. La scolarisation est importante pour élever le niveau d’éducation d’une génération donnée. Elle l’est aussi pour que les générations suivantes aillent encore plus loin dans leur parcours de formation. Le niveau d’éducation des parents a un impact sur les chances de réussite scolaire des enfants… Dans le Brésil du début du XXe siècle, les jeunes avaient très peu étudié. Cette réalité a représenté une contrainte pour les générations suivantes et jusqu’à aujourd’hui.

 

Ce handicap historique et les progrès réalisés depuis trente ans peuvent être évoqués à partir d’autres indicateurs. En 1960, en moyenne, un Brésilien âgé de 25 ans ou plus avait passé 5,5 années à l’école. Quinze ans plus tard, cette durée moyenne de scolarité dépassait 7 ans. Elle était de 10,1 ans en 2025. En 1992, 67 % de la population active n'avait pas d'instruction ou n'avait suivi que l'enseignement primaire incomplet. Trente-deux ans plus tard, ce pourcentage était encore de 19,2%.  A l'autre extrémité, le nombre d'actifs ayant terminé leurs études supérieures est passé de 5,8 % à 21,9 % au cours de la période analysée par l'enquête. En 1960, 4,6 Brésiliens sur 10 âgés de plus de quinze ans ne savaient ni lire, ni écrire. Le taux d’analphabétisme avait été réduit à 22% en 1990, puis à 9,6% en 2010. Il était de 5,3% en 2024[6].

 

Ces progrès sont évidemment très insuffisants. Le pays scolarise davantage mais les en-fants et adolescents apprennent peu ou mal. Evoquons d’abord les conditions maté-rielles dans lesquelles doivent étudier les élèves. L’éducation de base gérée par les pouvoirs publics souffre d’un manque de moyens financiers, donc de locaux et d’un d’enseignants suffisamment qualifiés. En 2023, les 136 231 établissements gérés par les pouvoirs publics et chargés de l’éducation de base recevaient alors 37,561 millions d’élèves, de la crèche aux cours pour adultes, en passant par les cursus dits fonda-mentaux et moyens. La dépense publique évaluée par personne scolarisé était ici bien plus faible que dans les pays avancés (et même inférieure à celle de nations voisines). En 2022, elle était de 3872 USD contre 7781 USD au Pérou et 12 438 USD en moyenne dans l’OCDE[7]. Le Brésil ne consacre pas à l’éducation de base des plus jeunes les moyens qui seraient nécessaires. Il préfère privilégier l’enseignement supérieur public élitiste qui reçoit pourtant une infime minorité de la population en formation[8].

 

Ces limitations budgétaires ont plusieurs conséquences. L’insuffisance et l’inaptation des locaux contraint l’écrasante majorité des élèves à une scolarité à temps partiel. A chaque étape du cursus scolaire, les enfants et adolescents qui passent au moins 7 heures par jour à l’école forment une minorité. Le Brésil est parvenu à universaliser l’éducation de base, il n’a pas encore répondu à la demande d'augmentation de l'enseignement à temps plein. Sans accroître le temps que les élèves passent en classe, il est difficile d'ap-profondir les contenus. Les enseignants ne peuvent se consacrer exclusivement à une seule école. Pour compléter leur semaine de travail, ils interviennent souvent sur plusieurs établissements. En 2024, sur l’ensemble du cycle de formation d’éducation de base, 77,1% des élèves inscrits fréquentaient effectivement l’école sur une demi-journée par jour, soit le matin, soit l'après-midi, voire le soir. Au niveau de l’enseignement fondamental, ce taux était de 80,9%. Il était de 75,8% pour l’enseignement moyen. A la capacité d’accueil insuffisante, s’ajoute souvent de graves lacunes dans l’équipement des écoles. Ainsi, en 2024, au niveau du cycle d’enseignement moyen, 30,9 % des établis-sements ne disposaient pas de laboratoire d’informatique et 48,6% d’entre eux n’avaient pas de salles réservées aux travaux pratiques scientifiques. Ces pourcentages étaient de 52,7% et de 73,1% pour les classes de la fin du cycle d’enseignement fondamental. Ajoutons encore que les contraintes budgétaires freinent ou interdisent des politiques de rémunération des personnels prenant en compte la qualité de l’enseignement, les résul-tats obtenus et les mérites des équipes gérant les écoles. Ces contraintes restreignent encore les efforts de formation des enseignants, d’adaptation des cursus, d’innovation pédagogique.


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 Salles de classes d'établissements publics dans les Etats du Nord et du Nord-Est.


On va le voir : les résultats obtenus par le système public d’éducation de base sont mé-diocres. Pourtant, les contraintes financières ne sont pas seules en cause. De multiples réformes des programmes scolaires ont conduit à l’abandon de contenus importants au profit de thèmes secondaires. Aux trois niveaux de pouvoirs publics, la politique édu-cative a été bureaucratisée à l’extrême. Elle n’encourage guère le développement de nouvelles pratiques et méthodes pédagogiques. Au sein des gouvernements locaux (Etats fédérés et municipalités), les postes-clés des secrétaires à l’éducation sont souvent assumés par des personnalités qui privilégient davantage leur carrière politique que le secteur qu’elles sont censées prendre en charge. Des enseignants aux directeurs d’éta-blissements en passant par les échelons hiérarchiques supérieurs, la culture du mérite est très peu développée. De très nombreux personnels privilégient le militantisme poli-tique au détriment de l’engagement professionnel. Insuffisamment formés, les ensei-gnants versent souvent dans l’idéologie au détriment de la transmission de savoirs[9]. Le mépris de la pratique, l'indifférence à la didactique et une hostilité parfois revendiquée à l'excellence académique forment un bouillon de médiocrité qui contamine toute la chaîne éducative, de la crèche à l’enseignement moyen. Il y a évidemment des excep-tions au tableau qui montrent le chemin à suivre. Elles naissent et se consolident là où tous les responsables concernés (des gouvernements aux enseignants) privilégient avant tout la formation des élèves.

 

Bilans calamiteux..

 

Tous les ans, de nombreux observateurs auscultent le système éducatif brésilien. Régu-lièrement, ils en soulignent les faiblesses et les revers. Les échecs commencent dès l’enfance. La dernière édition en date de l’annuaire cité plus haut a montré qu’en 2024 à peine 59,2% des enfants de l’enseignement public étaient alphabétisés à l’âge de 7-8 ans, soit la fin de la seconde année du cycle dit fondamental. Un pays qui ne parvient pas à alphabétiser tous ses enfants avant l'âge de 7 ans compromet irrémédiablement non seulement l'avenir de jeunes concernés, mais toute ambition de progrès économique et social significatif. Cette anomalie n’est pas un phénomène récent, lié par exemple aux difficultés nées pendant et après la crise du covid. Il s'agit d'une catastrophe systémique, récurrente, gérée politiquement avec le détachement de ceux qui ont appris à vivre avec l'échec scolaire dans les écoles brésiliennes comme s'il s'agissait d'une règle – ou qui souhaitent peut-être même qu'il perdure.

 

Les handicaps accumulés sur les premières années de scolarité s’aggravent ensuite. Et le problème va au-delà de l'alphabétisation des enfants. Trop d’adolescents ne savent pas faire de calculs, interpréter des textes ou comprendre un graphique. L’annuaire de l’édu-cation montre encore qu’en 2023, à la fin de la cinquième année de l’enseignement dit fondamental, seuls 55,1% des élèves du public âgés de 10 ans atteignaient un niveau de maîtrise suffisante de langue portugaise. Pour les mathématiques, ce taux était de 43,5%. Lorsque les élèves approchent de l’âge de 15 ans et terminent la période dite d’ensei-gnement fondamental, la situation s’aggrave. En 2023, les adolescents ayant une maîtrise acceptable du Portugais représentaient à peine 35,9% de la population concernée. Pour les mathématiques, ce ratio n’était que de 16,5%. Lorsque les jeunes achèvent leur parcours d’éducation de base, autour de l’âge de 17 ans, une majorité appartient à ce que les experts appellent des analphabètes fonctionnels. A la veille de rentrer dans la vie active ou de présenter un concours d’entrée à l’université, moins du tiers des adolescents issus de l’enseignement public ont une bonne maîtrise de la langue na-tionale. En mathématiques, un peu plus de 5 élèves sur 100 a acquis les connaissances de base exigées à cette étape de la formation. A ces indicateurs, il faut encore ajouter des retards dans la scolarité et un taux d’abandon scolaire encore très élevé. En 2024, parmi les jeunes âgés de 14 à 29 ans, on comptait encore 8,7 millions de personnes qui avaient cessé de fréquenter l’école au cours du cycle d’enseignement moyen ou avant d’aborder cet étape. En 2023, ce contingent était de 9,3 millions de personnes. En 2019, 11,4 millions de jeunes étaient dans ce cas[10].

 

Le bilan du système scolaire brésilien, ce sont encore les trop nombreux analphabètes fonctionnels que l’on rencontre au sein de la population en âge de travailler. Une enquête réalisée par une association privée spécialisée et actualisée chaque année montre qu’en 2024, près de 3 Brésiliens sur 10 âgés de 15 à 64 ans étaient des analphabètes fonction-nels, c’est-à-dire des personnes qui avaient passé des années à l’école et en étaient sorties sans être capable de comprendre un texte simple ou de réaliser des calculs élémentaires. Le Brésil vit encore aujourd’hui sur un mythe. L’idée selon laquelle être inscrit à l'école équivaut à être éduqué est réconfortante, mais elle ne tient pas la route. Il faut le souligner : parmi les analphabètes fonctionnels recensés en 2024, au moins 12 % avaient suivi des études universitaires.

 

Impossible de conclure cette esquisse de bilan sans considérer l’impact des carences du système éducatif sur l’ensemble de la société. Près de 24% des Brésiliens âgés de 18 à 24 ans n’exercent aucune activité professionnelle déclarée et ne suivent pas de formation (ce taux est de 14% en moyenne dans l’OCDE). Ils forment le contingent de ceux que les Brésiliens appellent les « ni-ni ». Leur situation constitue un énorme gaspillage de capital humain. Ces jeunes sont des proies faciles pour toutes les activités illicites, le crime organisé, les petits trafics. Ils peuvent au mieux espérer renforcer les effectifs d’une force de travail sous-qualifiée dont l’avenir est déjà problématique avec l’élévation constante des niveaux de compétence exigés, la révolution de l’intelligence artificielle[11].  

 

La révolution indispensable.

 

Dans un monde de concurrence internationale exacerbée où le capital humain et le niveau de formation des actifs vont avoir une importance centrale, si le Brésil n’envisage pas sur les prochaines années une véritable révolution éducative, sa jeunesse souffrira d’un handicap croissant, le pays s’éloignera de plus en plus des nations riches qui inves-tissent dans la qualité de l’éducation, l’amélioration de l’environnement scolaire et la formation des enseignants[12].

 

La révolution à engager ne verra le jour que si elle est une priorité absolue aux trois niveaux de compétences concernés : Etat fédéral, gouvernements des Etats fédérés, exécutifs municipaux. Les ministres de l’éducation, les secrétaires chargés de l’ensei-gnement (dans les 27 Etats et les 5569 communes) doivent avoir deux ambitions ma-jeures : reformer radicalement un système éducatif inopérant et garantir la poursuite de l’entreprise au-delà de leurs mandats respectifs. L’éducation a besoin d’être pilotée par des militants compétents qui voient bien plus loin que la prochaine échéance élec-torale. Les changements nécessaires ne porteront en effet leurs fruits qu’à moyen ou long terme. Ce n’est pas en quatre ans (durée maximale d’un mandat de ministre ou de secrétaire à l’éducation) que l’on réalise les transformations indispensables. La continuité de l’action publique est ici impérative. Elle est d’autant plus nécessaire que le Brésil doit s’engager dans une course qui n'aura pas de fin de sitôt. Il doit en effet rattraper un retard criant en matière de formation pendant que les pays en tête continuent de progresser.

 

Les grands axes de la révolution à mettre rapidement en œuvre sont désormais bien identifiés par les organismes brésiliens spécialisés qui ne cessent d’ausculter la politique d’éducation publique. Le premier axe est le rééquilibrage de l’allocation des crédits publics. Le Brésil doit accroître les ressources budgétaires destinées à l’éducation de base (celle-ci comprenant un enseignement technique trop souvent stigmatisé), aujour-d’hui sous-financée. Il s’agit de sortir d’un mode d’allocation des crédits publics particuliè-rement pervers. Dans l'éducation de base – principal levier de mobilité sociale –, le pays n'investit par élève qu'un tiers de la moyenne internationale. Dans le même temps, il maintient des universités publiques coûteuses – comparables en termes de dépenses par étudiant à la moyenne de l'OCDE –, mais qui forment relativement peu de diplômés. Il s'agit d'un transfert de revenus à l'envers : la masse des pauvres, prisonniers d'écoles précaires, finance la gratuité académique pour quelques jeunes issus principalement des classes privilégiées[13].


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Ecole dans l'Etat du Ceará en 2023. Les autorités locales mise sur l'éducation de base depuis plusieurs décennies.


La priorité budgétaire accordée à l’éducation de base doit permettre de dynamiser tout le système d’enseignement. Il s’agit de motiver et de mobiliser tous les acteurs concer-nés, des administrations compétentes aux enseignants. Il convient aussi d’accorder aux directions d’établissements une très grande autonomie de gestion. Les directeurs doivent être choisis parce qu’ils sont compétents pour animer et choisir des équipes pédagogiques motivées et engagées au service des élèves. Administrations et directions d’écoles doivent généraliser la rémunération des personnels au mérite. Les responsables d’établissements doivent être rémunérés en fonction des résultats at-teints par leurs équipes d’enseignants. Les professeurs qui innovent, s’investissent dans le suivi de leurs élèves, adaptent leur enseignement, multiplient les tests d’acquisition de connaissances ne peuvent pas recevoir les mêmes rémunérations (à durée de carrière égale) que leurs collègues qui refusent de sortir de la routine. La dynamisation du système d’éducation par les voies évoquées ici a déjà été engagée dans un Etat comme le Paraná et la nouvelle politique commence à porter ses fruits. La même entreprise démarre depuis 2023 dans l’Etat de São Paulo.

 

L’accroissement des moyens budgétaires consacrés à l’éducation de base doit permettre encore de généraliser rapidement la solarisation à temps intégral. Un Etat montre la voix depuis quelques années : le Ceará, dans le Nord-Est. Il a fait de cette généralisation une priorité de sa politique éducative. Le temps intégral, c’est la possibilité d’approfondir les enseignements et le suivi des élèves, de diversifier les activités pédagogiques. Ce temps supplémentaire, c’est le moyen d’éradiquer définitivement l’analphabétisme sous toutes ses formes. Un pays où 40 % des enfants ne savent ni lire, ni écrire, ni comprendre un texte élémentaire à l'âge de 7 ans n'est pas en crise éducative, il est au bord de l'effondrement. Et cet effondrement ne sera pas résolu par des discours, des idéologies, des plans génériques ou des objectifs timides. Il exige un engagement réel en faveur d'un apprentissage de qualité et d'excellence, du courage, de la volonté politique et de la responsabilité. Sans cela, des générations de Brésiliens qui grandissent sans savoir lire, interpréter un texte ou faire des calculs continueront à exister.

 

Quatrième orientation majeure : l’essor et la reconnaissance de l’enseignement techni-que. Dès la fin de la séquence dite d’enseignement fondamental, autour de la quinzième année, l’adolescent qui le souhaite doit pouvoir choisir une filière de formation profes-sionnalisante, reconnue et valorisée. L’essor de ces filières permettra de réduire l’abandon scolaire et les énormes contingents de jeunes qui ne sont plus à l’école et n’ont aucun métier. C’est le moyen de rapprocher l’enseignement et le monde du travail, de fournir la main d’œuvre qualifiée dont l’industrie et bien d’autres secteurs ont besoin. Aujourd’hui, seuls 13% des élèves âgés de 15 à 17 ans (phase d’enseignement moyen) choisissent des filières professionnalisantes, contre 40% en moyenne dans l’OCDE..

 

Au Brésil comme ailleurs dans le monde, des forces politiques dites progressistes pré-tendent incarner le changement social. Au Brésil aussi, elles se contentent pourtant depuis des lustres de répéter des refrains surannés pour cacher leur impuissance. Elles se montrent incapables d’impulser quelque réforme qui réponde aux attentes des catégories les plus défavorisées de la population. Dans la liste de ces attentes, l’accès à une éducation de qualité est certainement le sujet le plus plébiscité par les millions de Brésiliens qui forment la base de la pyramide sociale.  Aucune force politique ne peut désormais prétendre à la crédibilité si elle ne place pas la révolution éducative en tête de ses priorités. Compte tenu de la dynamique démographique et des handicaps accu-mulés, le pays n’a plus le choix. S’il laisse passer encore 20 à 25 ans sans trouver la bonne vitesse et les moyens permettant de produire une révolution de l’éducation, le Brésil restera au mieux une nation de seconde division. Avant le milieu de ce siècle, la population sera alors dominée par deux groupes formés chacun de quelques dizaines de millions de personnes : un contingent d’adultes rejetés par un système productif mobilisant les trop rares actifs très qualifiés et un autre constitué d’individus âgés souvent paupérisés.


A suivre : troisième post de la série.

[1] L'accès à l'enseignement supérieur nécessite de passer avec succès l'Exame Nacional do Ensino Médio, (ENEM), critère d'évaluation national des élèves à la fin de l’enseignement moyen. Il faut ensuite réussir un concours d’entrée dans l’université choisie : le vestibular.

[2] Cette étape comprend les études de premier cycle (licences, diplômes d'enseignement ou di-plômes technologiques qui préparent les élèves à diverses professions) et les études de deuxième cycle, qui comprennent des programmes de spécialisation, de master et de doctorat, axés sur la formation avancée et la recherche.

[3] Au niveau de l'enseignement supérieur, le Ministère de l’Education supervise les universités fé-dérales, tandis que les universités d'État et les institutions privées sont supervisées par les gouvernements des États et les organismes d'accréditation respectifs.

[4] Les municipalités interviennent principalement au niveau de l’éducation infantile et de l’ensei-gnement fondamental. Les Etats fédérés se concentrent sur l’enseignement fondamental et l’ensei-gnement moyen.

[5] Les États et les municipalités peuvent utiliser librement les ressources entre les étapes et les modalités. Cependant, au moins 60 % de l'argent du Fonds doit être utilisé pour payer les salaires des enseignants du réseau public en activité, directeurs, conseillers pédagogiques, employés, la formation continue des enseignants, le transport scolaire, l'achat d'équipements et de matériel didactique, la construction et l'entretien des écoles.

[6] Les données utilisées dans cet article sont extraites de plusieurs éditions de l’annuaire brésilien de l’éducation de base. Voir le site : https://anuario.todospelaeducacao.org.br/2025/index.html

[7] Source : OCDE, Regards sur l’éducation.

[8] En 2023, sur un effectif total de près de 12 millions d’inscrits dans l’enseignement supérieur, 8,39 millions d’étudiants (70% de l’effectif total) suivaient des formations au sein de 2144 centres et d’universités privés (payantes). Les 316 institutions publiques (universités fédérales, universités des Etats fédérés et centres universitaires municipaux) n’accueillaient que 2,545 millions d’étudiants.

[9] Trop souvent, les universités forment des enseignants qui n'ont jamais mis les pieds dans une salle de classe, mais qui sortent de leur cursus bien endoctrinés, gavés de théories sociologiques et prêts pour  l'activisme politique.

[10] Ces moyennes nationales dissimulent de très importantes différences entre régions. L’en-seignement public est bien plus performant dans les Etats riches comme São Paulo que dans les Etats plus pauvres. L’annuaire de l’éducation montre encore qu’à toutes les étapes de la formation de base des enfants et adolescents, les résultats obtenus dans l’enseignement privé sont souvent plus satisfaisants, essentiellement grâce au niveau d’excellence atteint par quelques établissements confessionnels ou non installés dans les grandes capitales.

[11] Au Brésil, le diplôme est à la fois rare et surévalué, ce qui reflète le faible niveau de qualification général de la main-d'œuvre. L'inégalité de revenus entre diplômés et non-diplômés est dispro-portionnée : les premiers gagnent 148 % de plus que les seconds ; dans l'OCDE, en moyenne, la différence n'est que de 54 %.

[12] L'amélioration de l'éducation rend les pays plus productifs, avec une population mieux préparée au marché du travail, et donc plus riches. Une étude de la FGV, soutenue par la Fondation Lemann et publiée en 2023, souligne que l'amélioration des compétences des étudiants, parallèlement à l'accès à l'éducation, peut augmenter le produit intérieur brut (PIB) jusqu'à 28 % pour les pays à revenu moyen-élevé, comme c'est le cas du Brésil.

[13] Le Brésil doit également réformer en profondeur l’enseignement supérieur public. Il faut diver-sifier le modèle académique et le système de financement. Les universités axées sur la recherche d'excellence doivent coexister avec des établissements axés sur la formation régionale, technique et professionnelle. Le financement doit reposer à la fois sur les droits de scolarité versés par les étudiants des classes favorisées, par des transferts de ressources publiques (liés à des résultats vérifiables : taux de réussite, employabilité des diplômés, pertinence de la recherche), par des con-cours privés (partenariats dans la recherche, donations, filières liant la formation à l’apprentissage).

 

 

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Qui sommes nous?

Jean-Yves Carfantan, économiste, consultant en économie agricole. Analyse et suit l’évolution de l’économie et de la politique au Brésil depuis 30 ans. Vit entre São Paulo et Paris.  Il anime ce site avec une équipe brésilienne formée de journalistes, d’économistes et de spécialistes de la vie politique nationale.

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