Les huit années des deux premiers mandats de Lula (2003-2010) ont été marquées par la forte croissance de l’économie globale (tirée par le miracle chinois notamment) et un boom prolongé des prix des commodités que le Brésil exporte. Le leader de la gauche avait aussi profité des réformes structurelles engagées sous les deux mandats de son prédécesseur, Fernando-Henrique Cardoso (1995-2002). Grâce à l’assainissement des finances publiques engagé avant 2002, à une croissance intérieure relativement forte à partir de 2003 (+4%/an en moyenne) et à l’augmentation des recettes d’exportation, Lula a pu alors conduire une politique sociale conforme aux objectifs annoncés [1] : lutte contre la pauvreté, amélioration des revenus du travail, accès plus large des familles défa-vorisées à la consommation. Sur la durée de ces deux mandats, on a assisté à une forte migration des catégories de la population les plus modestes vers une nouvelle classe moyenne qui se renforçait. La pauvreté a continué à reculer. Les facteurs qui ont con-tribué à cette dynamique d’ascension sociale et d’amélioration des conditions matérielles d’existence sont divers. Tous ne sont pas liés à la politique du gouvernement d’alors. Certes, on a assisté à l’essor de l’emploi peu ou pas qualifié dans l’économie formelle, à l’augmentation des bas salaires et à l’essor des transferts sociaux. Mais le début des années 2000 est aussi marqué par des phénomènes qui étaient apparus sur la décennie précédente et ont eu un impact positif sur les conditions de vie des pauvres et des moins pauvres au fil du temps : la forte réduction de la natalité et l’entrée massive des femmes sur le marché du travail. On a alors présenté Lula au Brésil et à l'étranger comme le nouveau "père des pauvres"....
Campagne de la présidentielle de 1989 : l'image d'un homme proche des pauvres déjà cultivée....
Le monde dans lequel gouverne Lula depuis 2023 est très différent de celui qu’il a connu hier. L’environnement économique et la conjoncture qui prévalent aujourd’hui au Brésil ne sont plus ceux du début des années 2000. Les marges de manœuvre budgétaires n’existent plus. Depuis le milieu des années 2010, le Brésil connaît un régime de crois-sance faible, des investissements productifs insuffisants. Après les efforts menés sur les années 2017-2019, ses dirigeants sont à nouveau incapables de maîtriser la progression de ses dépenses publiques. Les déficits induits sont financés essentiellement par capta-tion de l'épargne intérieure..
Le retour de l’Etat dépensier.
La récession des années 2015-2016 puis la mise en œuvre d’un dispositif de plafonne-ment des dépenses sous la Présidence Temer (2016-2018) avaient conduit à une baisse rapide des taux d’intérêt. Ce dispositif de discipline limitant la progression des dépenses aura été très contraignant. Il a au moins permis de contenir une augmentation explosive de la dette publique. Après l'augmentation des dépenses liées à l'épidémie, il y a eu un effort de discipline précipitée qui a entraîné une désorganisation des dispositifs d’allo-cation d’urgence mis en place au début de la crise sanitaire et donc une aggravation de la pauvreté. Ensuite, le Brésil a été confronté à une dynamique d’inflation forte inattendue alors que les taux d’intérêts avaient atteint des niveaux très bas. En termes réels, le taux d’intérêt moyen sur les titres de la dette publique a été négatif entre mars 2021 et juin 2022. C’est un des éléments majeurs qui ont permis une diminution rapide de la dette publique par rapport au pic qu’elle avait atteint à la fin 2020 (86,9%) en pleine crise du Covid.
Le troisième mandat de Lula a commencé avec une forte hausse des dépenses publi-ques fédérales. Celles-ci ont augmenté de 12,45 % en termes réels en 2023, dépassant la barre des 2 000 milliards de BRL, ce qui ne s'était produit qu'en 2020, année marquée par la forte expansion de dépenses extraordinaires liées à la pandémie de Covid-19. Au total, les dépenses publiques fédérales ont atteint 2 162 milliards de BRL en 2023, contre 1 923 milliards de BRL l'année précédente (chiffres corrigés de l'inflation). C’est le second niveau le plus élevé depuis 1997 [2]. Cela signifie que l’Etat central a dépensé l’équivalent de 19,6% du PIB, un record depuis la crise sanitaire et l’exercice budgétaire de 2020.
Cette forte élévation des dépenses fédérales est liée principalement à l’augmentation autorisée par le Congrès après approbation d’un amendement constitutionnel (dit de transition) en fin 2022. Cet amendement a permis à l’exécutif de relever les dépenses pour un montant de 168,2 milliards de BRL. Une partie de ces crédits supplémentaires a été utilisée pour pérenniser un relèvement de l’allocation dite Bolsa Familia décidée par le gouvernement antérieur. Cette marge de manœuvre a également permis d’augmenter les dotations budgétaires destinées à la santé, à l’éducation, entre autres. Selon l’exécutif, la dynamique d’accroissement des crédits budgétaires a traduit la volonté exprimée par le candidat Lula pendant sa campagne de "faire plus de place aux pauvres dans le budget", en augmentant les investissements sociaux et les transferts en faveur des familles défavorisées…La forte progression des dépenses est aussi liée au paiement de créances détenues par des particuliers et des acteurs du secteur privé sur l’admi-nistration fédérale [3]. Enfin, elle résulte de la décision prise par le gouvernement Lula de compenser les pertes de recettes d’impôts indirects subies par les Etats fédérés en raison de la diminution du taux de ces impôts décidée sous l’Administration Bolsonaro.
Ce retour de l’Etat fédéral prodigue est la concrétisation d’une politique qui confère un rôle central à la dépense et au déficit public. Pour Lula et une partie de son gouver-nement, des déficits élevés dus aux dépenses publiques ne constituent pas un pro-blème, bien au contraire. En dépensant toujours plus, l’Etat va stimuler l’investissement privé. Il crée un effet d’entraînement. Il amène les entreprises à anticiper une hausse de la demande intérieure. En réalité, depuis des années, l’expérience du Brésil montre que la croissance des dépenses publiques et le financement du déficit par l’endettement génère un effet d’éviction : en détournant du secteur privé la majeure partie de l’épargne privée pour financer des dépenses, l’Etat le prive de fonds pour financer des investis-sements, et augmente par ailleurs les coûts de financement pour les entreprises. Le taux d’épargne brésilien est faible. Dans ces conditions, le besoin d’emprunt chroniquement élevé du Trésor national, dû à la hausse des dépenses publiques favorise le maintien des taux d’intérêts à des niveaux élevés, voire leur ascension.
Les épargnants brésiliens et les investisseurs institutionnels qui gèrent leurs patrimoines financiers peuvent obtenir un bon rapport risques/rendement en investissant dans les titres de la dette publique. Un exemple ? Aujourd’hui (mai 2024), le rendement réel (au-dessus de l’inflation) d’un placement financier prudent est de 6% par an. Cette réalité a encouragé historiquement les titulaires de ressources financières à adopter des compor-tements de rentiers, la majorité des fonds investis étant dirigés vers des titres de la dette publique. Le niveau élevé des taux d’intérêt a par ailleurs incité les entreprises à placer leurs excédents financiers sur le marché de la dette souveraine au lieu de les réinvestir dans leur activité. Lula et la gauche brésilienne n’ont pas compris qu’au Brésil, le besoin de financement historiquement élevé de l’État a davantage entraîné un effet d’éviction qu’un effet d’entraînement. Ils restent accrochés à des dogmes dirigistes. Ils maintien-nent l’économie brésilienne enfermée dans le cercle vicieux qu’elle connaît depuis des années (dette publique élevée/taux d’intérêt élevés). Ils ignorent le cercle vertueux qui pourrait s’ouvrir avec une baisse du ratio dette/PIB qui s’accompagnerait de la réduction durable des taux d’intérêts réels, favorisant ainsi une croissance soutenue. La politique d’accroissement des dépenses publiques (dont l’efficacité n’est jamais évaluée) favorise in fine les rentiers. Elle finit par se retourner rapidement contre ceux qu’elle devait avantager : les couches les plus modestes.
Déficits non maîtrisés, dette publique en hausse.
Ces réalités sont connues au sein même du gouvernement fédéral actuel. Le Ministre de l’économie lui-même sait parfaitement que les effets d’éviction des politiques de déficits publics l’emportent sur les effets d’entraînement. Le débat fait rage depuis janvier 2023 au sein de l’Administration fédérale entre ceux qui, comme Lula, croient à la magie de l’expansion des dépenses publiques et d’autres, plus pragmatiques, qui tiennent compte des faits et de l’expérience.
Lula et son ministre de l'économie et des finances Fernando Haddad : l'idéologue et le pragmatique.
L'augmentation des dépenses en 2023 a contribué à la détérioration des comptes du gouvernement central, qui a enregistré un déficit primaire de 230,5 milliards de BRL l'année dernière [4], soit l’équivalent de 2,44% du PIB. Pour l’ensemble du secteur public, ce déficit est estimé à 2,3% du PIB en 2023. Ce déficit primaire ne prend pas en compte les charges d’intérêt sur la dette publique. Elles ont atteint 720 milliards de BRL en 2023, soit l’équivalent de 6,62% du PIB, une somme qui correspond pour l’essentiel (6,22%) à la rémunération des investisseurs institutionnels brésiliens, une somme bien plus impor-tante que la dotation budgétaire de 170 milliards de BRL affectée au programme social Bolsa Familia qui compte 21 millions de foyers bénéficiaires [5]. Le déficit total (dit no-minal) accumulé sur la période février 2023-février 2024 aura donc atteint 1,015 trillions de BRL, soit l’équivalent de 9,24% du PIB.
Soldes nominaux des finances publiques en % du PIB.
Source : Instituição Fiscal Independente (IFI), Senado Federal.
Jusqu’en avril 2024, les partisans d’une bonne tenue des comptes publics au sein du gou-vernement sont parvenus à rassurer les marchés et les investisseurs en faisant adopter à la mi-2023 un nouveau mécanisme de discipline des dépenses. Ce cadre budgétaire autorise un accroissement en termes réels de 2,5% des dépenses, cette hausse étant par ailleurs limitée à 70% de celle des recettes. Le dispositif antérieur (appliqué de 2017 à 2022), dit de plafond des dépenses n’autorisait qu’une progression équivalente au rythme de l’inflation. Le nouveau dispositif associe donc la progression autorisée des dépenses à celle des recettes, lesquelles dépendent in fine du rythme de la croissance et de la pression fiscale (déjà très forte au Brésil). En début de cette année, les marchés ont commencé à douter de l’efficacité du nouveau cadre budgétaire quand ils ont perçu que les recettes fiscales annoncées n’avaient pas été obtenues. Les investisseurs ont ensuite compris que plusieurs postes de dépenses avaient progressé plus vite que ce qui avait été arrêté : les dépenses de retraites et pensions (indexées sur le salaire minimum qui a été relevé de 16,5% depuis le début de la Présidence Lula), celles de santé et d’édu-cation. La progression de ces postes limite les marges de manœuvre en matière d’investissements publics. Enfin, en début de cette année, l’exécutif a présenté un projet de budget pour 2025 qui paraît totalement irréaliste tant en ce qui concerne les dé-penses qu’en ce qui a trait aux recettes. Les marchés savent désormais (le fait est recon-nu par le Ministre de l’économie lui-même) que les promesses de réduction du déficit public et de respect de nouvelles règles de discipline budgétaires ne seront pas tenues en 2024 et probablement l’année suivante.
Les forces politiques qui sont favorables à l’expansion des dépenses et au creusement des déficits ont fini par imposer leur orientation au sein du gouvernement. Les marchés craignaient en 2023 que le nouveau cadre budgétaire adopté alors ne soit qu’un trompe-l’œil. Ils savent désormais que leurs soupçons étaient bien fondés. Ils imaginent d’ailleurs que le gouvernement n’hésitera pas dorénavant à maquiller les comptes publics afin de cacher l’ampleur des déficits. Ils sont aussi résignés : aucune initiative majeure ne sera prise par Lula d’ici à 2026 pour freiner l’emballement des dépenses pu-bliques, notamment les dépenses obligatoires : réforme administrative [6], nouvel ajus-tement des systèmes de retraite notamment dans la fonction publique, fin de l’abono salarial (une prime aux travailleurs gagnant moins de 2 salaires minimum), changement des règles concernant la fixation des prestations sociales [7], entre autres. Les investis-seurs savent aussi que l’exécutif peut compter sur le soutien d’une majorité de parle-mentaires pour "flexibiliser" encore davantage le cadre budgétaire adopté en 2023 (en sortant du montant total des dépenses soumises à discipline des crédits que les uns et les autres jugent essentiels).
Dans ces conditions, à moins que le PIB connaisse une croissance exceptionnelle dans les mois et années à venir, ou que le Trésor parvienne à collecter des recettes en forte progression (ce qui est très improbable), la dette publique continuera à augmenter. Elle représentait l’équivalent de 74,4% du PIB à la fin de l’an passé. Les analystes et institutions financières prévoient un nouveau déficit primaire du secteur public en 2024 (-0,7% du PIB) et en 2025 (-0,6% du PIB). La dette pourrait donc dépasser 80% du PIB en fin 2025.
Dette publique brute en % du PIB.
Source : Banque Centrale.
Cette dynamique ne signifie pas nécessairement qu’une fois atteint un niveau d’endet-tement (difficile à définir) le pays connaîtra inéluctablement une crise financière. Néan-moins, si cette dérive des comptes publics n’est pas contenue et inversée, trois consé-quences sont envisageables à l’horizon des deux ou trois prochaines années. La pre-mière concerne la gestion des finances publiques désormais placées en situation de grande vulnérabilité. Une partie des titres de la dette publique porte des intérêts indexés sur le taux directeur de la Banque Centrale. Tout resserrement de la politique monétaire (introduit par exemple pour inverser des anticipations d’inflation) limite donc les marges de manœuvre budgétaire et renchérit le coût du financement/refinancement de la dette. La contrainte peut être levée en renonçant à une politique monétaire visant à la stabilité des prix, en pariant sur l’innocuité d’un surcroît d’inflation. C’est sans doute ce qu’envisage Lula à partir de 2025, lorsqu'il pourra dicter au nouveau gouverneur de la Banque Centrale (qu'il va nommer en fin d'année) la feuille de route à suivre....
La seconde conséquence est bien connue au Brésil. Depuis le début du troisième man-dat du Président Lula, les taux d’intérêt à long terme ont augmenté au Brésil. Entre dé-cembre 2023 et avril 2024, le taux à 10 ans a ainsi augmenté d’un point, passant de 10,36% à 11,35% (contre 4,37% sur les bons à 10 ans aux Etats-Unis). Depuis que le gouvernement fédéral a clairement abandonné les objectifs de solde primaire correspondant au nouveau cadre fiscal, ces taux à long terme ne cessent d’augmenter. Pour les prochaines années, et au moins jusqu’à la fin 2026, les analystes prévoient des taux d’intérêt réels qui resteront élevés, même en considérant la diminution du taux directeur de la Banque Centrale observée depuis août 2023, orientation qui devrait être poursuivie dans les prochains mois. En d’autres termes, le crédit sur des horizons éloignés restera très oné-reux. L’investissement productif du secteur privé sera sérieusement freiné. L’essor de la consommation également. L’économie brésilienne continuera à vivre selon un régime de croissance très modeste. Les prévisionnistes anticipent une expansion légèrement supérieure ou égale à 2% en 2024 et 2025.
Le taux d'investissement au Brésil : un des plus bas des pays émergents (en % du PIB).
Source : FMI.
La troisième conséquence prévisible est plus problématique pour un gouvernement qui annonçait accorder la priorité aux pauvres et à la réduction des inégalités. Le paiement d'intérêts par l’Etat fédéral constitue un énorme transfert de ressources de l'ensemble de la population (les contribuables) vers les investisseurs institutionnels et les couches sociales les plus riches, qui détiennent la majeure partie des investissements en titres de la dette publique. Le niveau des taux d’intérêt pratiqués sur le marché financier brésilien et la progression de l’encours de la dette publique jouent donc un rôle majeur dans le maintien d’une répartition inéquitable des revenus et des richesses.
Les rentiers bien servis.
La combinaison de marges de manœuvre budgétaires quasiment nulles, de taux d’intérêts élevés et d’une croissance faible va générer sur les prochaines années une dynamique de progression et de répartition des revenus radicalement différente de celle qui avait prévalu lors des deux premiers mandats de Lula. De nombreuses études publiées récemment soulignent cet étonnant paradoxe : le troisième mandat du leader de la gauche sera très favorable pour les Brésiliens les plus riches en termes de progression des revenus. C’est déjà ce qui a été constaté en 2023.
Certes, au début de ce troisième mandat, les conditions de vie des familles des caté-gories défavorisées se sont améliorées avec la pérennisation de l’allocation Bolsa Familia à 600 BRL/mois, la forte revalorisation du salaire minimum et l’amélioration du marché de l’emploi. Néanmoins sur l’année, les revenus des couches les plus aisées progressent plus que ceux des couches les plus modestes. C’est ce que montre une étude réalisée par le bureau d’études Tendências, un des plus réputés de São Paulo. Les experts de Tendências identifient au sein de la population brésilienne quatre grandes catégories de revenus au sein de la population (voir graphique ci-dessous).
Le haut de la pyramide est formé par l’ensemble des Brésiliens qui appartenaient fin 2023 à des ménages disposant d’un revenu supérieur à 24 400 BRL/mois (environ 4800 €). Ce groupe est désigné par Tendências comme formant la classe A. Il représentait en 2023 4% du total des ménages brésiliens et captaient 37,2% du total des revenus disponibles. Point essentiel : les revenus dégagés par cette minorité dépendant forte-ment (pour 74,8% en 2023) des placements et investissements réalisés sur les marchés financiers, de bénéfices commerciaux, de loyers, de fonds de pensions. Les revenus du travail ne représentent que 24,6% du total de la masse des revenus perçus et les transferts sociaux assurés par l’Etat fédéral comptent peu dans l’ensemble des res-sources dont dispose cette catégorie très privilégiée qui dispose d’une importante épargne. Ce sont in fine ces ménages de gros rentiers qui tirent avantage de taux d’intérêt élevés. L’endettement permanent d’un Etat qui capte essentiellement une épargne intérieure n’est possible qu’en garantissant aux investisseurs locaux un niveau de rentabilité attractif. Selon Tendências, le revenu moyen de cette catégorie de ménages devrait progresser de 3,9%/an entre 2024 et 2028. Cela signifie que cette classe A con-naîtra une progression de ses revenus de 16,5% pendant le troisième mandat de Lula et qu’en 2028, un foyer moyen aura un revenu supérieur de 25,8% à ce qu’il était en 2022.
Le bureau d’étude définit une classe B formée par tous les 15,7% de ménages qui dispo-sent d’un revenu mensuel variant de 7800 à 24400 BRL en 2023. Cette classe moyenne haute captait alors 21,8% du total des revenus distribués. Pour l’essentiel (83,7%) ces revenus sont liés au travail. Près de 11% des revenus du groupe proviennent cependant d’investissements, de bénéfices commerciaux et de loyers. Les transferts sociaux contribuent à hauteur de 5,4%. La progression des revenus de ces ménages sera en moyenne de 3,5%/an entre 2024 et 2028. En d’autres termes, le ménage moyen devrait disposer à la fin du mandat actuel de Lula d’un revenu mensuel supérieur de 14,75% à ce qu’il était fin 2022. La catégorie dite C réunissait en 2023 30,9% des ménages brésiliens qui disposaient ensemble de 18,9% du total des revenus distribués et gagnaient entre 3200 et 7800 BRL/mois en 2023. L’essentiel des revenus (89,7%) dépend ici du travail. La part des transferts sociaux est de 9,5%, celle des revenus d’investissements et de placement de 0,9%. Cette classe moyenne basse connaîtra une progression moyenne de ses revenus de 2,5%/an entre 2024 et 2028. A la fin du gouvernement Lula 3, le revenu d’un ménage de cette catégorie aura progressé de 10,38%.
Répartitition du revenu national et des ménages en 2023 (%).
Source : Tendências consultoria.
Quel sera le sort des Brésiliens les plus modestes ? Les catégories D et E dans la classi-fication de Tendências désignent l’ensemble des ménages (49,4%, près de la moitié du total) qui disposent de 22,1% du total des revenus distribués. Le revenu mensuel était inférieur ou égal à 3200 BRL en 2023. Au sein de cet ensemble de familles, le travail est encore la principale source du revenu disponible (44,8%) mais les transferts sociaux (Bolsa Familia, minimum vieillesse, pensions) représentent en moyenne 53,3% des res-sources. Le gouvernement cherchera sans doute à maintenir le nombre des béné-ficiaires de programmes sociaux comme la Bolsa Familia [8]. Néanmoins, dans un con-texte de crise budgétaire, il est probable que le montant des prestations versées n’aug-mente qu’à un rythme très modéré. Cela signifie que la part des revenus du travail dans le revenu total des ménages les plus modestes va s’élever. Pour un grand nombre de ces ménages, l’évolution du revenu du travail dépend de celle du salaire minimum légal, dont le montant est fixé chaque année par les autorités fédérales. Sauf à abandonner toute discipline budgétaire, le gouvernement pourra difficilement pratiquer dans l’avenir des réajustements d’ampleurs comparables à celle qu’il a pratiquée en début de 2023. Par ailleurs, la dynamique de croissance faible anticipée pour l’économie ne permet pas d’envisager une progression importante des bas salaires. Dans ce contexte, Tendências prévoit une hausse moyenne du revenu de 1,5%/an pour ces classes D et E entre 2024 et 2028.
Compte tenu du niveau des rémunérations obtenues, cela signifie que la possibilité pour les familles les plus pauvres d’accéder à la classe moyenne sera très limitée. En d’autres termes, si le scénario dessiné par Tendências se vérifie, la mobilité sociale au cours des prochaines années sera très limitée et n’aura pas du tout l’ampleur qu’elle a eu lors des premiers mandats de Lula. Les individus et les ménages de la classe C ne seront sans doute pas exposés à un risque de régression sociale massif mais ils ne connaîtront pas la dynamique d’ascension sociale qu’ont vécue les jeunes générations au début des années 2000. Les personnes et familles qui appartiennent aux classes D et E seront sans doute condamnées à végéter avec des revenus insuffisants. Pour les jeunes de ces catégories qui pouvaient imaginer prendre l’ascenseur social avec le retour de la gauche au pouvoir, la réalité sera une stagnation. Les revenus dont disposent ces populations dépendent désormais fortement de l’Etat et ce dernier ne dispose plus des moyens de contribuer à la hausse des transferts fournis.
Préoccupations électorales.
Rien n’indique que cette prospective soit démentie d’ici à la fin du mandat de Lula. C’est sans doute ce qui explique la perte récente de popularité du Président au sein des couches sociales les plus défavorisées de la population. C’est sans doute ce qui justifie les craintes des candidats de gauche dans la perspective des prochaines élections mu-nicipales (octobre 2024). Ceux-ci misaient encore à la fin 2023 sur une croissance si-gnificative et une amélioration du sort des familles situées au bas de la pyramide sociale. Dès lors, en se revendiquant d’un gouvernement central capable de telles prouesses, ils voyaient leurs chances électorales progresser. C’est au scénario opposé que l’on com-mence aujourd’hui (mai 2024) à assister. Si les projections d’instituts comme Tendências ne sont pas infirmées et que les Brésiliens très riches continuent à s’enrichir, le handicap de la gauche sera considérable à l’approche de l’élection présidentielle de 2026. L’op-position à Lula aura alors beau jeu de souligner que le leader de la gauche, en principe défenseur des plus modestes, a mené une politique économique qui a ignoré les pauvres et profité aux riches.
Taux d'approbation de l'action de Lula (en %).
Source : Genial/Quaest, Mai 2024.
A Brasilia, Lula et ses conseillers anticipent déjà un tel cauchemar. Tout ce monde rivalise d’imagination depuis des mois pour tenter d’inverser la dynamique d’effritement de la popularité du Président et de son gouvernement. Les observateurs évoquent même une sorte de panique. C’est précisément cette panique qui représente un sérieux danger pour l’économie du pays et les couches les plus défavorisées. La tentation du populisme budgétaire et de l’assouplissement monétaire peut grandir si la côte du chef de l’Etat dans l’opinion continue à baisser et si les élections municipales d'octobre 2024 se tra-duisent par la défaite de candidats soutenus par le pouvoir central. L’exécutif pourra alors compter sur le soutien d’une majorité de parlementaires pour laisser filer les dépenses. Il pourra compter à partir de la fin de l’année 2024 sur une autorité monétaire plus conciliante. Avec la nomination du prochain gouverneur, le Conseil de Politique Monétaire (Copom) pourrait en effet être contraint de suivre des objectifs d’inflation moins rigoureux. Le Brésil sait par expérience que les politiques hétérodoxes finissent toujours par se retourner contre ceux qui sont supposés en être les bénéficiaires : les familles les plus pauvres.
[1] Pendant ces huit années, grâce à la progression des recettes fiscales, l’Etat fédéral disposait alors de marges de manœuvre pour accroître les prestations versées dans le cadre du programme Bolsa Familia et relever le niveau du salaire minimum. Tous ces éléments ont favorisé les classes les plus modestes, celles que l’IBGE et les organismes d’étude de la situation sociale du pays désignent sous les termes de classes D et E.
[2] Date à laquelle commence la série historique fournie par le Trésor National.
[3] Même en excluant les paiements de ces créances du calcul, les dépenses auraient tout de même dépassé les 2 000 milliards de BRL l'année dernière, pour un total de 2 070 milliards de BRL. La croissance par rapport à l'année précédente aurait été de 7,6 % en termes réels. Le taux de crois-sance réel moyen des dépenses publiques totales sur les 26 années de la série historique du Trésor national a été de 5,21 %. La croissance en 2023 des dépenses totales en incluant les créances sur l’Etat fédéral (+12,45 %) et en les excluant (+7,6 %) est donc supérieure à la moyenne historique.
[4] Le déficit primaire se produit lorsque les dépenses du gouvernement dépassent les recettes fiscales - les paiements d'intérêts sur la dette publique ne sont pas pris en compte dans ce cas. À l'inverse, lorsque les recettes sont supérieures aux dépenses, il y a excédent.
[5] En réalité, le Trésor n’a pas eu à débourser la totalité de la somme de 720 milliards de BRL cor-respondante aux charges d’intérêt. Pour partie, il s’est refinancé en émettant de nouveaux titres de la dette. De nouvelles émissions ont également été réalisées pour financer le déficit primaire accu-mulé sur ces douze mois pour une valeur de 268 milliards de BRL
[6] Cette réforme doit permettre de réduire les privilèges dont bénéficient plusieurs catégories de fonctionnaires de l’Etat fédéral : salaires très élevés, primes et promotions d’ancienneté automatique, congés de plusieurs mois/an rémunérés, garantie de l’emploi à vie, régime de retraite avantageux.
[7] Les prestations de retraite du régime général et d'autres prestations sociales sont indexées à la variation du salaire minimum.
[8] Entre décembre 2019 (avant le début de la pandémie) et décembre 2023, le total des familles recevant l’allocation du Bolsa Familia est passé de 13,2 à 21,1 millions (+60%). Le total des prestations versées est passé dans le même temps de 2,1 à 14,2 milliards de BRL. Aujourd’hui, la totalité des familles des classes D et E reçoivent cette allocation. C’est aussi le cas d’une partie des familles de la classe C. Au total, le programme touche 56 millions de Brésiliens, soit près de 27% de la popu-lation.
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