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Une grande récession (4).

Un nouveau désastre social.


Au Brésil comme ailleurs dans le monde, la crise sanitaire entraîne une réduction ou une paralysie de l’activité, une contraction de l’emploi et des revenus. Cette dynamique dé-pressive doit être abordée en tenant compte de deux éléments essentiels : la spécificité du marché du travail dans un pays comme le Brésil, les réponses apportées par les pouvoirs publics aux deux chocs et leurs limites.


Réduction/paralysie de l’activité.

Comment vont évoluer la production et l'emploi dans les différentes branches d’activité en 2020 ? Toutes sont affectées à des degrés divers par un choc d’offre et un choc de de-mande. On a déjà mentionné dans un précédent article les travaux de chercheurs de l’UFRJ (Université Fédérale de Rio de Janeiro, voir l’article 2 de la série "Une grande ré-cession"). Ces auteurs distinguent pour l’année 2020 un scénario de récession limitée (scénario 1, chute du PIB de 6,4%) et un scénario de récession aggravée (scénario 2, con-traction du PIB de 11%). Ils ont réalisé des simulations de baisse d’activité pour les 12 grandes branches qui structurent l’économie brésilienne. Pour effectuer ces simulations, ils utilisent un modèle qui prend en compte les relations interbranches et donc les effets en cascade du ralentissement de l’activité lié aux mesures de confinement, aux diffi-cultés d’approvisionnement et à l'affaissement de la demande finale. A partir d’une esti-mation de la baisse anticipée de la demande finale, ils ont évalué l’importance de la chute d’activité subie par chaque branche. Les catégories d’activités les plus touchées apparaissent en haut du tableau ci-dessous.

Impact de la baisse de la demande finale sur la valeur ajoutée fournie

par les branches.

Source : Instituto de economia, UFRJ, Impactos macroeconômicos e setoriais da Covid-19 no Brasil, mai 2020.


La contraction de la production touche particulièrement des branches qui connaissaient déjà de sérieuses difficultés avant l’épidémie. C’est le cas du secteur de la construction et du BTP qui ont été très impactés par la récession des années 2015-2016 et par la ré-duction des investissements publics qui a suivi. C’est aussi le cas de l’industrie de trans-formation qui subit une conjoncture de récession pratiquement depuis le milieu de la décennie écoulée et voit son importance décliner année après année que ce soit en termes de contribution au PIB ou en termes de d’emploi. Les industries extractives (ex-ploitation du pétrole, extraction de minerais, production de bois) sont aussi sévèrement touchées en raison des pertes de débouché à l’exportation et sur les marchés domes-tiques.

L’emploi avant le covid-19 et après.


Entre le début de 2017 et les premiers mois de cette année, le taux de chômage officiel a connu un tassement limité, en raison de la récupération très lente de l’économie après la récession des années 2015 et 2016. La situation de l’emploi a commencé de nouveau à se dégrader en mars dernier. Les mesures les plus sévères de lock-down et de confi-nement ont commencé à être mises en place à partir du 20 mars dans les principales villes du pays. C’est probablement sur la période mars-juin que l’on devrait observer de façon plus claire l’impact des mesures de restriction de l’activité et de circulation des personnes sur l’économie et l’emploi. Sur le plan social, les premières observations mon-trent que les catégories socio-professionnelles les plus touchées au sein de la popu-lation active effectivement occupée devraient être les salariés du secteur privé qui ne bénéficient pas de contrat de travail (employés informels)[1], les travailleurs domes-tiques (déclarés ou non) et les travailleurs indépendants. La diminution des personnes occupées appartenant à ces catégories est effectivement plus forte sur les premiers mois de 2020 que ce que l’on observe en général sur cette période de l’année.



Le commerce de détail est un secteur où les activités informelles sont légion.



L’amélioration relative du marché de l’emploi constatée entre 2017 et le début de cette année ne doit pas faire illusion. Elle est due avant tout à l’essor du travail et d’activités in-formels. Du le début de la récession de 2015-2016 jusqu’à la fin 2019, le taux d’informalité (nombre d’actifs informels par rapport au total de la population active occupée) n’a cessé de progresser. Il était estimé au premier trimestre de 2020 à 39,9%. Sur 92,223 millions de personnes occupées, 36,806 millions travaillaient comme salariés, indépendants ou chefs d’entreprises en dehors de tout cadre officiel (contrat de travail, déclaration auprès du fisc et des organismes sociaux, registre de commerce). Cette notion de travail infor-mel recouvre des situations très diverses, du jeune chauffeur fournissant un service de travailleur indépendant à la plateforme Uber à l’employée domestique qui n’est sollicitée que quelques jours par semaines par plusieurs familles pour faire des ménages (la diarista[2]). Dans les grandes métropoles du pays, des millions de personnes survivent grâce à la vente ambulante, la surveillance des véhicules stationnés, la tenue d’un stand sur les marchés de rues. Il y a aussi les employés de salons de coiffure payés à la coupe, les maçons embauchés "au noir" pour un chantier, les déménageurs improvisés, les hô-tesses d’accueil intermittentes, les ramasseurs de papiers recyclables, les artisans sous-traitants d’industries.


La liste des métiers et des activités est longue. Tous ces "informels" ont en commun de ne bénéficier d’aucune protection sociale, de travailler en dehors de tout cadre régle-mentaire, d’être exposés à une précarité parfois extrême. L’exercice d’activités informel-les peut donner aux personnes concernées la sensation d’une flexibilité, d’une marge d’initiative. Dans la grande majorité des cas, les informels ne sont pas des entrepreneurs en herbe qui veulent exercer leurs talents. Ce sont des victimes de la dégradation du marché de l’emploi formel ou des indépendants qui seraient asphyxiés par une légis-lation sociale et fiscale trop rigide et contraignante s’ils sortaient de l’informalité. L’économie informelle est évidemment un immense secteur qui échappe largement au fisc.



Avec la crise sanitaire et la récession annoncée, le secteur informel sera le premier touché.



La crise du covid-19 et la récession qu’elle entraîne vont amplifier la dégradation que connaissait déjà le marché de l’emploi depuis la récession antérieure de 2015-2016. L’im-pact de la récession en cours sur l’emploi et les revenus va dépendre de trois facteurs :


a) La durée de l’épidémie et de la phase la plus critique qui entraîne la mise en place de mesures de lock-down et de confinement. Il faut ici également considérer l’hypothèse de plusieurs vagues épidémiques et la répétition des périodes de mise en hibernation de l’économie.


b) Le rythme et la trajectoire de récupération de l’économie après la phase la plus criti-que de la crise sanitaire.


c) La nature et l’efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour protéger l’em-ploi et les revenus des actifs.


Le monde du travail au Brésil au premier trimestre 2020.

Source : IBGE.


L’impact de chacun de ces trois facteurs sur l’emploi et les revenus sera très différent d’une catégorie socio-professionnelle à l’autre. Pour l’évaluer, il convient de considérer le monde du travail tel qu’il apparaît dans la dernière enquête trimestrielle réalisée par l’IBGE avant la crise sanitaire, sur le premier trimestre de 2020. Le Brésil recensait alors 172,353 millions de personnes âgées de 14 ans et plus (âge minimum légal pour exercer une activité professionnelle). Sur cet effectif, la population effectivement sur le marché du travail représentait 105,073 millions de personnes. Le nombre d’actifs déclarés com-me chômeurs était de 12,85 millions. L’effectif de la population effectivement occupée (exerçant un travail) sur la période était donc de 92,223 millions d’individus (tableau ci-dessus).


On peut distinguer au sein de cet ensemble d’actifs exerçant effectivement un travail quatre grandes catégories socio-professionnelles :


a) La première réunit les fonctionnaires statutaires civils et militaires, qu’ils relèvent de l’Etat fédéral, des Etats fédérés ou des communes. Il représentait alors 7,7% de la popu-lation d’actifs exerçant un travail. Cette catégorie socio-professionnelle n’est pas affectée par la crise dans la mesure où elle bénéficie de la stabilité de l’emploi et des salaires.


b) La seconde catégorie est formée par les salariés du secteur privé et public (agents hors statut) qui disposent d’un contrat de travail, qui sont déclarés et bénéficiaires d’avantages et de garanties sociales liés au contrat. Ce groupe réunit 34,2% de la force de travail occupée. En termes de degré de protection sociale, de préservation de l’emploi et des revenus, il arrive en seconde position après les fonctionnaires. En cas de licen-ciement, ces salariés ont droit à des indemnités et à une assurance-chômage[3], ce qui tend à protéger partiellement les revenus sur le court terme, c’est-à-dire aujourd’hui sur la phase la plus critique de la crise sanitaire. Par ailleurs, le coût du licenciement est relativement élevé. Dans ces conditions, l’employeur peut chercher à éviter le licen-ciement durant la crise en facilitant l’anticipation des congés annuels ou en recourant aux mécanismes prévus dans le Programme d’Urgence pour le Maintien de l’emploi et du Revenu (Programa Emergencial de Manutenção do Emprego e da Renda) créé par le gouvernement fédéral. Ce dispositif autorise la réduction de la journée de travail et du salaire ainsi que la suspension temporaire du contrat de travail. Pendant la période de suspension du contrat de travail et/ou de réduction des salaires et du temps de travail, l’Etat fédéral a introduit des mesures pour garantir un revenu minimum aux salariés. Ces derniers ont accès à une indemnité compensatrice (allocation exceptionnelle de préser-vation de l’emploi et des revenus). Le montant de cette indemnité varie selon les situations mais ne peut pas dépasser 1813 réais par mois. En outre les salariés concernés peuvent débloquer une partie de leur épargne salariale (FGTS).


Si les entreprises anticipent un redressement rapide de l’activité économique, elles cher-cheront à utiliser ce dispositif. Il leur permet d’éviter le coût de licenciements. Il évite aussi les coûts associés au recrutement et à la formation de nouveaux employés lors de la reprise. Le maintien en activité ou en régime de chômage partiel d’une majorité de salariés contribue aussi à un redressement rapide de l’activité après la crise sanitaire. Les salariés concernés sont immédiatement opérationnels (et plus productifs que des em-ployés récemment recrutés) dès que la phase de confinement et lock-down se termine. Si les entreprises anticipent au contraire un redressement lent, incertain et chaotique, le dispositif n’a guère d’intérêt. Les employeurs vont en effet considérer qu’ils devront gérer une main d’œuvre excessive une fois passée la phase de confinement et donc assumer des coûts insupportables.


c) La troisième catégorie socio-professionnelle est de loin la plus importante en termes d’effectifs. Elle est formée par les salariés de l’économie informelle, les travailleurs indé-pendants et les chefs d’entreprises. Elle représentait en début d’année 44% de la population active effectivement occupée, soit 46,239 millions de personnes. Ce groupe est évidemment le plus vulnérable durant cette crise sanitaire, que ce soit pendant les périodes de confinement ou ensuite sur les phases de récupération de l’activité écono-mique. Les salariés sans contrat de travail sont les plus exposés au risque de licen-ciement car leur mise à pied ne génère aucun coût pour les employeurs. Ils ne sont pas bénéficiaires de l’allocation exceptionnelle de préservation de l’emploi et des revenus. Ils ne peuvent pas utiliser une épargne salariale qui n’existe pas puisque leurs employeurs ne contribuent pas à ce dispositif.


Le revenu des chefs d’entreprises et des travailleurs indépendants dépendent exclu-sivement de leur activité. Avec la mise en œuvre de dispositifs de lock-down et de confinement, un grand nombre d’entre eux ont suspendu toute activité, subi une contraction ou la disparition de tout revenu. Une majorité de travailleurs indépendants (77,2% d’entre eux) et 18,2% des chefs d’entreprises ne sont pas inscrits au registre na-tional des personnes juridiques (CNPJ). Ce sont des formes d’activités informelles. Cela signifie que la majorité de ces entreprises et indépendants obtiendront difficilement des crédits pour compenser des pertes de trésorerie pendant la crise sanitaire. Le revenu moyen mensuel de ces travailleurs indépendants informels ou responsables de micro-entreprises non déclarées (le plus souvent des structures familiales) est égal à la moitié ou moins du revenu des chefs d’entreprises et des travailleurs indépendants régularisés. Cela signifie que les marges de manœuvre de ces petites entreprises et activités indé-pendantes en termes de réserves financières sont très limitées.


Pendant la crise sanitaire, les salariés de l’économie informelle, les micro-entrepreneurs individuels et les travailleurs indépendants non régularisés peuvent bénéficier d’une allocation d’urgence variant de 600 réais à 1200 réais (pour les adultes assumant seuls la responsabilité d’une famille). Ce dispositif (mis en œuvre sur trois mois depuis avril) per-met en théorie aux bénéficiaires de financer des achats essentiels pendant la phase de confinement. L’allocation mensuelle ne compense même pas une perte équi-valente à 50% du revenu moyen des salariés de l’économie informelle ou des travailleurs indépen-dants non régularisés, si l’on se réfère aux données du premier trimestre de 2020. En outre, une fois la période de trois mois révolue, le revenu dégagé par ces deux groupes va dépendre du rythme et de l’intensité de la reprise économique. L’accroissement de l’offre de travail pour des salariés informels va aussi être lié à des deux éléments. Quant aux chefs d’entreprises et aux travailleurs indépendants, qu’ils soient ou non déclarés, la reconstitution d’un revenu va dépendre à la fois de l’activité qu’ils pourront retrouver et du pouvoir d’achat dont disposeront les ménages après le pic de la crise sanitaire.


La quatrième et dernière catégorie professionnelle qui fait partie de la force de travail est celle des personnes privées d’emploi et déclarées comme chômeurs. Pour ces 12,85 millions de personnes, la crise sanitaire et ses suites signifient des perspectives plus ré-duites d’obtention d’un nouvel emploi, une période plus longue d’inactivité. Pour la société dans son ensemble comme pour les personnes concernées, cette situation se traduit par une dépréciation du capital humain. Les personnes sans emplois qui ne béné-ficiaient pas de l’assurance-chômage (chômeurs de longue durée, chômeurs dont les employeurs informels n’ont pas cotisé au système) ont-elles aussi accès à l’allocation d’urgence mensuelle de 600 réais (1200 réais pour les femmes seules en charge de fa-milles), ce qui leur garantit un revenu minimal pour trois mois. Passée cette période, les perspectives d’une amélioration de revenu pour ces actifs sont limitées. Elles vont en effet dépendre du rythme de la reprise économique et de l’effectif additionnel de salariés qui auront perdu leurs emplois pendant la crise sanitaire. Les chômeurs de courte durée seront privilégiés par rapport aux personnes privées d’emplois sur une longue période.




Files d'attente de travailleurs informels pour toucher l'allocation d'urgence (avril 2020)

auprès de la Caixa Economica, banque d'Etat chargée du versement.


Les revenus des personnes qui ne se trouvent pas sur le marché du travail (67,281 mil-lions de personnes) vont connaître des évolutions différenciées selon les statuts. Les retraités et pensionnés (qui sont souvent aussi des actifs de l’économie informelle) vont pouvoir toucher leur 13e mois de prestation de façon anticipée, entre avril et début juin, en deux versements. Ils bénéficient aussi d’un allongement des périodes de rembour-sement pour les emprunts contractés (ainsi que d’une baisse des intérêts). Cet apport de revenu complémentaire doit permettre de garantir l’acquisition par les familles de biens essentiels. Souvent le revenu stable d’un retraité dans une famille modeste est mobilisé pour aider les membres qui perdent leur emploi ou subissent une baisse de salaire en période de crise.


Le marché du travail à la fin de l’année 2020.


Revenons ici aux travaux des chercheurs de l’UFRJ et aux deux scénarios évoqués plus haut. Dans le scénario 1, l’impact de la crise sanitaire sur l’économie est atténué par les mesures de soutien à l’activité et aux revenus mises en oeuvre par les autorités. Une récupération graduelle conduit à retrouver un niveau d’activité comparable à celui du début d’année en décembre 2020. Dans ce premier scénario, les pertes d’emplois et d’activités sont limitées à 8,3 millions de postes, soit l’équivalent de 7,9 % de la popu-lation se trouvant sur le marché du travail au cours du premier trimestre 2020. En sup-posant que cette population reste stable et que les chômeurs enregistrés en début d’année soient encore sans activité, le taux de chômage atteindrait alors 20,1% en fin 2020. Avec le scénario 2, les pertes de postes de travail sont de 14,7 millions de postes. En utilisant les mêmes hypothèses, le taux de chômage en fin d’année atteindrait 26,2%. Cette réduction de la demande de force de travail concerne dans les deux cas à la fois des suppressions d’emplois (licenciements dans le secteur formel par exemple) et des réductions imposées du temps de travail pour des travailleurs qui restent en activité.


Dans l’un et l’autre des scénarios, une telle dégradation de l’emploi signifie une réduction très sensible du revenu des ménages au cours de l’année. Les salariés de l’économie for-melle qui auront perdu leurs emplois pendant la crise sanitaire vont utiliser peu à peu leur épargne et des indemnités de chômage qui sont limitées. La situation des travail-leurs de l’économie informelle qui auront perdu leur emploi sera encore plus problé-matique sauf s’ils parviennent à redresser leur situation à la faveur d’une reprise. L’al-location d’urgence à laquelle ils ont droit est prévue pour trois mois. Les travailleurs indépendants et les entrepreneurs pourront sans doute reprendre progressivement leurs activités mais ils subiront les conséquences d’une reprise graduelle ainsi qu’une perte de revenu par rapport à la période précédant la crise sanitaire.


L’équipe de chercheurs de l’UFRJ a aussi cherché à évaluer l’importance des pertes d’emplois dans chacune des douze branches retenues plus haut. Les branches les plus durement affectées seront le commerce et la distribution, les services domestiques, la restauration hors domicile. Soulignons ici que ces secteurs d’activité sont aussi ceux où l’on rencontre une majorité d’emplois informels. Le propriétaire d’un bar-restaurant de quartier fait souvent appel à une main-d’œuvre non déclarée. C’est aussi le cas de nom-breux commerçants ou de familles de classe moyennes qui, au lieu d’embaucher une femme de ménage déclarée vont recourir à une diarista. Au premier trimestre de 2020, l’ensemble de ces activités représentaient 33,7 millions de postes de travail.


Selon les simulations de l’UFRJ, la destruction d’emploi dans les trois secteurs pourrait porter sur 4,448 millions de postes (-13,19%) selon le scénario 1 et sur 8,22 millions de postes selon le scénario n°2 (-24,4%).


L’ensemble des industries (activités extractives et de transformation) représentaient en début d’année 11,84 millions de postes de travail. Les pertes pourraient varier selon les simu-lations entre 1,241 (-10,48%) et 2,137 millions de postes (-18%). L’hémorragie est moins importante en termes relatifs que pour le commerce et les services. Elle est ce-pendant significative et concerne d’abord l’industrie de transformation (les industries ex-tractives sont des activités à forte intensité en capital), un ensemble d’activités qui connaissaient déjà une forte baisse de l’emploi depuis le début de la dernière décennie. La nouvelle hémorragie simulée ici pourrait être le reflet d’une accélération d’un phéno-mène très préoccupant pour l’avenir de l’économie et de la société brésilienne : la désin-dustrialisation. Il en effet probable qu’au sein de l’industrie de transformation très tou-chée par la crise sanitaire (chute de la valeur ajoutée allant de 11,3% à 18,8% selon les scénarios 1 et 2), plusieurs entreprises de tailles diverses ne parviennent pas à survivre ou à récupérer un niveau de production comparable à celui atteint avant cette crise.


L’industrie de transformation était un secteur mobilisant peu d’emplois informels avant la récession de 2015-2016. Ce n’est plus le cas sur les années récentes. La part des postes (emplois salariés, indépendants, entrepreneurs) informels était estimée à 29,1% à la fin de 2019, un record historique. Les emplois salariés sans contrat de travail sont créés par des petites entreprises familiales (qui peuvent être sous-traitants d’opérateurs plus impor-tants). Ils sont en général peu qualifiés. On trouve aussi de plus en plus de petits entre-preneurs non déclarés et de travailleurs indépendants intervenant dans des activités industrielles.


Impact de la baisse de la demande finale sur l’emploi fourni.

par les branches (nombre de postes de travail).

Source : Instituto de economia, UFRJ, Impactos macroeconômicos e setoriais da Covid-19 no Brasil, mai 2020.



Le secteur de la construction et du BTP est également une branche très affectée selon les simulations. Sur le premier trimestre de 2020, il représentait 6,38 millions de postes. Dans le scénario 1, par rapport à cet effectif, la perte serait donc de 18,9%. Elle serait de 28,5% selon le scénario 2. Dans ce secteur, on compte un grand nombre de petites entre-prises familiales qui recourent fortement à une main d’œuvre temporaire (pour assurer un chantier sur un lieu déterminé) sans contrat de travail formalisé. L’agriculture et l’éle-vage occupaient 8,266 millions d’actifs au premier trimestre de cette année. La des-truction d’emplois représenterait une diminution de 10,7% des postes selon le scénario 1 et de 19,7% selon le scénario 2. Ici encore, le recours au travail informel est assez im-portant (travail saisonnier).


Quel sera l’effet de cette diminution de l’emploi sur les revenus ? Pour évaluer l’ensem-ble des revenus liés au travail, l’IBGE utilise le concept de "masse de revenu réel" reçu pour tous les activités. Les enquêtes mensuelles conduites aux domiciles par l’Institut permettent de déterminer un revenu moyen par personne occupée toutes activités con-fondues. Ce revenu moyen effectif est multiplié par l’effectif total de la population occu-pée par un travail rémunérateur au moment de l’enquête. Pour définir un revenu moyen réel, l’IBGE utilise un indicateur d’évolution des prix à la consommation. Sur le premier trimestre de 2020, ce revenu réel moyen mensuel était estimé à 2398 réais. La masse de revenus réels en mars 2020 atteignait alors 216,29 milliards de réais pour une population occupée et effectivement rémunérée de 90,195 millions de personnes.


En supposant que la population dans la force de travail reste stable au cours de l’année par rapport à l’effectif moyen du premier trimestre (105,5 millions de personnes), un taux de chômage de 20,1% porterait l’effectif de la population occupée à 84,29 millions d’ac-tifs. Compte tenu de la dégradation anticipée du marché de l’emploi et de l’importance du travail informel depuis quelques années, la contraction du revenu moyen mensuel devrait être supérieure à ce qui a été observé sur la précédente récession. L’Institut Brésilien d’Economie de la Fondation Getulio Vargas[4] anticipait dans ses prévisions d’avril 2020 une baisse de 8,58%. En retenant cette variation (probablement optimiste), la masse de revenus réels en début 2021 serait de 184,76 milliards de réais, soit un affais-sement de 14,57% par rapport au début de cette année.


La contraction anticipée des revenus du travail est évidemment un facteur qui peut conduire les ménages à réduire leur consommation dans les mois à venir. D’autres élé-ments vont aussi renforcer cette dynamique : menace de perte de l’emploi, aggravation possible de l’épidémie dans le pays, situation financière. Le niveau d’endettement des ménages et la perspective de perte de revenus conduit d’ailleurs de nombreux obser-vateurs à anticiper une augmentation des défauts de paiement sur les prochains mois.


A suivre : Les finances publiques pourront-elles suivre ?

 

[1] Un travailleur ou une entreprise sont considérés comme informels par l’IBGE (orga-nisme national en charge des statistiques) quand il travaille sans détenir une carte de travail signée par l’employeur ou (pour l’entreprise et le travailleur) sans statut déclaré et enregistré auprès de l’administration fiscale et des organismes sociaux. Le taux d’infor-malité indiqué pour le début de 2020 (39,9%) signifie que pour 10 actifs, près de 4 travail-lent en dehors de tout cadre et de toute protection juridique et sociale. Dans les pays avancés, le taux d’informalité est considéré comme proche de 18% (en moyenne).

[2] Employée à la journée. Au lieu d’employer à temps complet (parfois avec logement sur place) une domestique chargée de toutes les tâches ménagères, la famille recourt aux services de la diarista qui est payée selon l’offre et la demande pour exécuter quel-ques tâches (ménage, cuisine) sur une journée.

[3] L’indemnité de chômage est payée sous forme de parcelles dont le nombre varie en fonction du temps de travail accumulé (de 3 parcelles pour 6 mois de travail à 5 parcelles à partir de 24 mois). La valeur de la parcelle dépend du salaire reçu mais est limitée par un plafond (1813 réais en 2020). Cette indemnisation n’est pas accessible aux salariés licenciés pour faute ou qui ont démissionné de leur emploi.

[4] La Fondation est une importante institution d’enseignement supérieur et de recher-che dont le siège est à Rio de Janeiro.


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