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Bolsonaro affronte un congrès plus puissant.

En ce début de 2020, la relation entre le pouvoir exécutif et le Congrès fédéral est encore plus chancelante qu’aux premiers temps du mandat présidentiel, lorsque le nouveau chef de l’Etat reprenait ses slogans de campagne, fustigeant la classe politique, la dé-mocratie représentative, les institutions en général. Selon des enquêtes réalisées par les grands médias nationaux auprès des présidents de groupes parlementaires, le Président serait désormais assuré du soutien fidèle de 30 députés (sur un total de 513, soit un taux de 5,8%). Jair Bolsonaro n’a pas voulu construire une majorité parlementaire et respecter le modus operandi du système politico-institutionnel brésilien désigné sous le terme de présidentialisme de coalition. Affirmant qu’il s’agissait de rompre avec ce système et avec la politique traditionnelle, le gouvernement n’a pas cherché construire une coalition de partis, à négocier un programme commun, à élargir en contrepartie le gouvernement en proposant des postes de responsabilité à des alliés. Pour faire adopter ses projets de lois et d’amendements à la constitution, il se retrouve tributaire de majorités de circonstance.


Un an après le début du mandat, le cercle des parlementaires loyaux est devenu si étroit que l’exécutif ne parviendrait sans doute pas à faire adopter par le Congrès la plus con-sensuelle des propositions de lois. La fragilité de la base de soutien dont disposait l’exé-cutif était déjà évidente en février 2019 (rentrée parlementaire), lorsque Jair Bolsonaro pouvait encore compter sur les voix des députés et sénateurs du PSL, le parti qu’il l’avait porté à la tête de l’Etat en octobre 2018 et qui était parvenu à faire élire 52 députés et 4 sénateurs. Représentant le chef de l'Etat fraîchement installé, les leaders parlementaires du PSL disposaient alors d’une capacité d’influence qui leur permettait d’ajouter aux voix des parlementaires de la formation, celles de députés et sénateurs de la droite tradition-nelle et du centre. A la fin de 2019, le Président et son clan familial ont pris l’initiative d’entrer en conflit avec la direction nationale du PSL, puis de quitter ce parti. Le noyau d’élus sur lequel peut encore compter le gouvernement au Congrès est devenu insigni-fiant. La famille Bolsonaro, les leaders parlementaires bolsonaristes et les militants les plus fidèles ont alors annoncé la constitution d’une nouvelle formation, l’Alliance pour le Brésil. Celle-ci ne sera pas mise sur pied avant plusieurs mois. Dans l’intervalle, le Prési-dent va affronter une situation très délicate : il ne disposera plus de partenaires de poids au sein d’un Congrès qui se sent moins que jamais engagé à faciliter la tâche de l’exé-cutif.



Séance pleinière du Congrès réunissant les députés et les sénateurs.


Le refus de respecter le Présidentialisme de coalition n’a pas constitué un obstacle insur-montable pendant les premiers mois du mandat lorsqu’il s’est agi de faire adopter par les chambres des mesures économiques urgentes. La proposition de réforme des régimes de retraite (un projet relativement impopulaire et délicat sur le plan électoral) a été votée à une très large majorité par les deux assemblées. D’autres textes présentés par le gou-vernement ont aussi été adoptés sans difficulté : c’est le cas de la nouvelle législation sur les procédures d’appels d’offre et celle dite de liberté économique (qui facilite la création d’entreprise, réduit les procédures administratives et flexibilise le droit du travail). Dans tous ces cas, les leaders de nombreux groupes parlementaires partageaient le dia-gnostic de l’exécutif sur les enjeux économiques et budgétaires. Cette convergence ino-pinée ne s’est guère manifestée sur d’autres questions. Quasiment toutes les autres pro-positions soumises par l’exécutif ont été rejetées par le Congrès et le taux de rejet a at-teint des niveaux rarement observés depuis le retour à la démocratie il y a 35 ans. Les rares projets de lois approuvés par les députés et les sénateurs ne l’ont été qu’après avoir été sérieusement amendés. Plusieurs textes présentés par l’exécutif comme me-sures provisoires[1] sont devenus caducs car le Congrès ne les a pas adoptés avant la fin du délai prévu. Une de ces mesures a même été renvoyée à l’exécutif parce que les par-lementaires l’ont jugée contraire à la constitution. Considérés aussi comme anti-constitutionnels par les membres du Congrès plusieurs décrets[2] présidentiels ont été refusés. Ainsi, en mai 2019, le Sénat a rejeté le décret qui assouplissait les règles de dé-tention d'armes, l'une des promesses phares du candidat pendant la campagne[3]. Les vetos apposés par le chef de l’Etat à plusieurs amendements parlementaires ont été ensuite annulés par le Congrès. Ces situations de tension ou de conflit ouvert entre les deux pouvoirs contribue évidemment à renforcer l’incertitude et l’insécurité juridique.


Un Président affaibli.


On assiste donc depuis un an à un affaiblissement marqué de la capacité du Chef de l’Etat à impulser les processus législatifs et à peser sur les travaux parlementaires. Sur les premiers mois du gouvernement Bolsonaro, il a fallu que le Congrès assume un rôle nouveau de force motrice pour que le bilan des réformes ne soit pas insignifiant. Désormais, ce rôle devrait être renforcé.


Pour mesurer le changement de rapport de forces, il faut s’arrêter ici à un épisode de la vie publique pratiquement passé inaperçu dans la presse occidentale. En avril dernier, les parlementaires ont voté un amendement à la constitution qui érode les prérogatives de l’exécutif en ce qui concerne les modalités d’exécution de plusieurs lignes de dé-penses inscrites au budget fédéral. La législation brésilienne considère que les lignes du budget qui ne correspondent pas à des dépenses obligatoires[4] comme des auto-risations de dépenses et non pas comme des obligations : le gouvernement peut choisir de ne pas exécuter une partie, voire la totalité de ces dépenses qualifiées également de discrétionnaires. Lorsque les parlementaires analysent un projet de loi budgétaire, ils rédigent des amendements. Présentés par des élus isolés ou par des groupes de parle-mentaires représentant une même région, ces amendements visent à définir les moda-lités d’utilisation (la destination) de telle ou telle volet des dépenses discrétionnaires. En général, le ou les auteurs de l’amendement entendent orienter la dépense afin qu’elle permette la réalisation de projets (amélioration d’un service de santé et d’éducation, voirie, aménagements urbains, autres infrastructures, etc..) concernant directement leurs électeurs ou des circonscriptions dans lesquelles le groupe est influent et bien repré-senté.



En 2019, le Président Bolsonaro accusait les parlementaires de vouloir réduire ses préro-gatives au point de devenir une reine d'Angleterre...Il a tout fait pour voir sa capacité d'initiative s'éroder...



Jusqu’en 2014, le gouvernement a utilisé les amendements d’élus isolés ou de groupes parlementaires pour construire ou renforcer sa majorité au Congrès : il négociait avec les élus ou groupes d'élus l’exécution des crédits concernés en contrepartie de votes favorables aux projets qu’ils présentait. Depuis 2014 et le vote d’un amendement à la loi fondamentale, le gouvernement doit exécuter obligatoirement les crédits corres-pondants à des amendements de parlementaires isolés. Un autre amendement constitu-tionnel voté en avril 2019 oblige le gouvernement à exécuter tous les amendements, y compris ceux présentés par les groupes géographiques d’élus. Cette disposition a été appliquée pour la première fois pour la loi budgétaire de 2020. Elle signifie que le gouvernement ne peut plus utiliser comme arme de négociation avec les députés et sénateurs la libération des amendements pour élargir ou consolider des majorités parle-mentaires lors de votes au Congrès. Elle signifie aussi qu’à terme, avec la multiplication d’amendements, l’exécutif peut perdre la main sur une grande part des dépenses discrétionnaires[5]. Facheuse posture pour un pouvoir qui prétend conduire et gérer son budget avec rigueur....


Un régime parlementaire de facto ?


Le vote de cet amendement en avril dernier a été perçu et interprété comme une sérieuse défaite pour l'exécutif. Dans un régime politique désormais hybride, le pays se trouve à la merci de majorité fragiles, constituées dans les couloirs du Congrès, en fonc-tion d’objectifs particuliers et indéterminés, sous la conduite de leaders parlementaires qui ont été élus par quelques milliers d’électeurs et donc disposant d’une représen-tativité limitée De toutes les façons, il s’agit d’un dispositif de gouvernance très précaire. Alors que le pays est confronté à d’énormes défis qui exigent des solutions urgentes, ce constat est très préoccupant. Désormais, il semble inutile d’espérer que le Président Bolsonaro (qui passe son temps à se plaindre des obstacles qui seraient créés pour para-lyser son gouvernement) change radicalement et accepte enfin de construire une majo-rité parlementaire qui lui garantisse un minimum de stabilité et de force politique. Un autre pari (moins hasardeux ?) est celui qui consiste à imaginer que les leaders parle-mentaires parviendront à faire passer leurs intérêts particuliers au second plan et continueront à promouvoir les réformes sans lesquelles le Brésil ne parviendra pas à sortir de la crise. . .

 

[1] En cas d’urgence, le chef d’Etat est habilité à adopter des mesures provisoires (medidas provisórias) ayant force de loi qui sont alors soumises à approbation du Congrès. Ces mesures restent en vigueur 60 à 120 jours, à moins d'être abrogées plus tôt par le Congrès. Si le Congrès les adopte avant la fin du délai, elles deviennent des lois défini-tives.

[2] Il est habilité, en circonstances normales, à obtenir du Congrès une délégation légis-lative (art. 68) lui permettant d’édicter des mesures comparables aux ordonnances fran-çaises sous la Ve République. Le Président au Brésil constitue donc un véritable organe législatif partiel.

[3] Ce décret revenait sur une loi de 2003 qui limitait drastiquement le permis de port d'armes pour les citoyens.

[4] Les dépenses obligatoires sont les dépenses de fonctionnement (personnel, dépen-ses courantes), les transferts sociaux, les transferts aux Etats fédérés et communes, les charges financières.

[5] En 2020, sur un total de 135,9 milliards de BRL de dépenses discrétionnaires (3,77 % du total des dépenses programmées), les crédits faisant l’objet d’amendements n’atteignent que 15,4 milliards (11,3%). Les deux chambres n’ont pas caché qu’elles entendaient pré-senter dans l’avenir des amendements qui couvriraient une part croissante des dépenses discrétionnaires. Cela signifie que pour respecter les dispositions constitutionnelles au-quel il est astreint (depuis 2016, le total des dépenses budgétaires ne peut pas aug-menter plus que l’inflation), le gouvernement devra contingenter les crédits discré-tionnaires sur lesquels il aura encore la main...Pour de nombreux membres du Congrès, l’objectif est désormais de rendre obligatoire la totalité des dépenses inscrites dans la loi bud-gétaire.

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