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Le Brésil et la guerre Israël/Hamas (1).

Dès le lendemain du 7 octobre, après les massacres perpétrés par le Hamas, le débat public sur le conflit israélo-palestinien s’est enflammé au Brésil, comme si ce conflit était un enjeu majeur de politique intérieure. Cette effervescence peut surprendre : Il y a plus de 10 000 km entre Brasilia et Jérusalem. Le Brésil n’est pas à première vue concerné par cette guerre lointaine. La géographie et l’absence d’implication directe sont comme effacées par d’autres ressorts qui transforment le conflit moyen-oriental en cadre privilé-gié d’expressions d’imaginaires, de mythologies et de croyances proprement nationales. Cette réduction des distances est opérée par les deux pôles de la population qui s’affron-tent au sujet de la guerre Israël/Hamas. Elle est ainsi effective chez les millions de Brésiliens qui s’identifient désormais à l’une des centaines d’églises évangéliques pentecôtistes. Ces structures religieuses sont devenues au fil des dernières décennies des organisations sociales qu’animent des millions de citoyens appartenant aux couches les plus défavorisées de la population. Ces institutions ont acquis une capacité d’in-fluence politique considérable. Pour des raisons théologiques et politiques, elles reven-diquent un sionisme déclaré et mobilisent leurs fidèles pour soutenir l’Etat d’Israël moderne. Dans un des principaux pays du fameux "Sud global", le sionisme chrétien et populaire vient d'apparaître comme un phénomène de masse.


Manifestation des partisans de Bolsonaro, le 25 février 2024 à São Paulo : soutien à Israël.


La réduction des distances est aussi opérée par une intelligentsia et des partis de gau-che qui affichent un antisémitisme plus ou moins déguisé. Après le 7 octobre, cet anti-sémitisme s’est manifesté avec une ampleur sans précédent. Immédiatement ou presque, les victimes du Hamas ont été jugées responsables des pogroms. Les pre-mières déclarations ont souligné qu’Israël était évidemment coupable de ce qui venait de lui arriver. Dès lors (et constamment au cours des derniers mois), la logique d'in-version victimaire a fonctionné à plein. Les déclarations se sont multipliées à gauche et la logorrhée antisioniste a ignoré toute retenue. Les pogroms perpétrés par le Hamas ont été comme gommés par une sorte de pogrom intellectuel, organisé et exécuté à la fois par le monde universitaire et un grand nombre de médias locaux, animé par des formations de la gauche dite progressiste. Les massacres du 7 octobre ont été justifiés, légitimés, voire applaudis. Hors du gouvernement, le soutien passionnel à la "cause palestinienne" revendiqué par la gauche brésilienne n’a laissé aucune place à un sentiment d’humanité, à une prise en compte de la dimension exceptionnelle des massacres, à une réflexion sereine. Le gouvernement a tenté un temps de marquer une distance par rapport à l’attitude des partis dits "progressistes". Le président Lula da Silva a d’abord rapidement condamné les attaques du groupe terroriste Hamas contre des civils en Israël (sans citer le Hamas). Néanmoins, dès la semaine suivant les massacres, alors même que la riposte d’Israël n’était pas encore engagée, le pouvoir brésilien a con-damné les initiatives que l’Etat hébreu prendrait pour se défendre. Le discours officiel brésilien ignore totalement la nature du Hamas, son projet politico-religieux et antisémite. Il feint de croire que le conflit n’est qu’un conflit ter-ritorial. Au fil des semaines, Lula s’est montré de plus en plus aligné sur le mouvement islamiste en critiquant systématiquement la riposte israélienne, en évoquant réguliè-rement la crise humanitaire. Cette dérive a atteint un point décisif lorsqu’en février 2024, Lula a assimilé les actions d’Israël à Gaza à l'extermination des Juifs par Adolf Hitler. Pour la première fois, de manière claire et limpide, le leader de la gauche reprenait à son compte les slogans honteux de ce qu’il faut bien appeler un nouvel antisémitisme [1]. Il recevait en retour les éloges des responsables du mouvement terroriste islamiste.


Manifestation propalestinienne à São Paulo en octobre 2023.


Un nouvel antisémitisme sur la "terra de Santa-Cruz".

 

Ce qui a surpris c’est l’ampleur du phénomène dans un pays aussi éloigné du Proche-Orient que le Brésil. Sur les réseaux sociaux comme certains grands médias nationaux, on a assisté simultanément à l’éruption massive d’une haine contre les Juifs et à une incompréhension pour la guerre que mène Israël afin d’écarter une menace dont le 7 octobre a montré la gravité. La stupeur provoquée par cette éruption est d’autant plus forte que, dans la majorité des cas, la haine qui s’exprime ne vient pas de ces groupes néo-nazis qui continuent à exister, notamment dans les Etats du Sud. Elle est désormais d’abord le fait de militants, de formateurs d’opinion, de leaders politiques, d’universitaires qui se disent très éloignés de l’extrême-droite et appartiennent à des formations de gauche. Elle prend d'abord la forme de discours odieux et répugnants.

 

"Les Juifs sont le cancer de l’humanité"a écrit un militant d’un mouvement brésilien de soutien à la Palestine et favorable à l’élimination de l’Etat d’Israël. "C’est un peu tard" a commenté en public une conférencière qui intervenait à l’Université de São Paulo (USP) en octobre dernier et venait d’apprendre l’assassinat de la jeune Brésilienne Bruna Valeanu, d’origine juive, lors du massacre perpétré par le Hamas dans le Neguev. "Aucun Juif, où que ce soit dans le monde, ne sera désormais en sécurité", a menacé un militant d’extrême-gauche et blogueur à propos de la même attaque terroriste qui a tué 1200 civils israéliens, conduit à la décapitation de bébés, à l’enlèvement d’innocents, à des viols collectifs, à des actes de torture commis en public. Dans son "analyse" de ces faits atroces, ce blogueur proche du parti de Lula a même écrit : "Peu importe la couleur des chats, ce qui compte, c’est qu’ils chassent les rats". Ainsi, sans s’encombrer d’un voca-bulaire de dissimulation, sans se préoccuper de la législation (au Brésil, des lois inter-disent la haine raciale), des antisémites ont commencé à s’exprimer sans retenue depuis le 7 octobre. Les Juifs sont traités de cancer, de rats et d’ennemis publics à exterminer – le plus tôt sera le mieux, comme le dit la conférencière de l’USP….Au nom de la "cause palestinienne", des intellectuels et universitaires brésiliens reprennent à leur compte les injures proférées hier par la dictature nazie en Allemagne. La violence antisémite n’est pas seulement verbale. Des sites de la communauté juive ont été menacés. Des person-nalités juives ont été expulsées d’enceintes universitaires et interdites de prises de paroles. Elles ont dû solliciter la protection de la police pour ne pas subir de lynchage au sein d’institutions universitaires. A São Paulo comme à Rio de Janeiro, les dispositifs de sécurité appliqués autour des synagogues et autres institutions juives ont été renforcés.

 

La grande presse nationale n’a pas multiplié les unes sur cette éruption d’un antisémi-tisme explicite et décomplexé dans la foulée de l’attaque terroriste du Hamas. Rares ont été les grands titres sur le sujet, comme s’il existait un consensus dans les médias, le monde intellectuel et la vie publique pour ne pas dénoncer la montée en puissance d’une haine dont l’extrême droite a perdu le quasi-monopole qu’elle détenait. Désormais, de nombreux antisémites et sympathisants de gauche brésiliens s’adonnent à leur vice en utilisant des artifices de langage, en avançant qu’ils sont "antisionistes", qu’ils se bor-nent à défendre la cause palestinienne. D’autres soutiennent sans complexe que l’Etat d’Israël n’a pas le droit d’exister. Ils reprennent à leur compte tous les éléments de la propagande islamique palestinienne (Israël Etat d’apartheid, terroriste, colonialiste, res-ponsable de crimes contre l’humanité, etc..). Au Brésil comme ailleurs, l’antisionisme est l’artifice qui autorise les antisémites à commettre des délits de discrimination raciale contre les Juifs sans s’exposer à aucun risque, en adoptant un comportement accepté sur le plan social et moral, voire considéré comme respectable sur le plan politique. Au Brésil comme ailleurs, les nouveaux antisémites exhibent comme des trophées les Juifs antisionistes qui sont les idiots utiles d’une idéologie dont les conséquences peuvent être dramatiques. Ce recours aux Juifs égarés est vieux comme l'antisémitisme...

 

Cette fièvre maligne commence et se propage sur les réseaux sociaux et ce que les al-gorithmes entretiennent déborde largement dans la vie réelle. Ce n’est pas une spé-cificité brésilienne mais le phénomène est exacerbé dans ce pays ultra-polarisé : les outils numériques servent de moins en moins à divulguer des faits et des connaissances et de plus en plus à défendre des positions, à réunir les membres de vastes ethnies numériques qui partagent les mêmes visions du monde. Ainsi, à propos de la situation au Moyen-Orient, ce qui a le plus fleuri depuis octobre 2023, ce sont moins des argu-ments fondés que des préjugés et des imprécations contre Israël. Les insultes, les propos haineux, les agressions se multiplient également au-delà du monde virtuel. Les dénonciations d’actes antisémites ont été multipliées par 10 en octobre 2023 par rapport à la même période de 2022 (passant de 44 à 467). Outre les propos haineux ou mena-çant tenus et diffusés sur la toile, on compte de nombreuses insultes sur la voie pu-blique, des déprédations d’œuvres d’art créées par des artistes juifs, des tags peints sur des murs. Des réseaux proches du Hamas ou du Hezbollah ont heureusement été iden-tifiés à temps (et leurs membres arrêtés) avant qu'ils ne s'en prennent aux institutions juives locales.

 

Interprétations d’un climat de fièvre.

 

La plupart des grands médias brésiliens ont souligné à juste titre que cette éruption in-tervenait dans le contexte d’une extrême polarisation politique. Ils n’ont cependant retenu qu’une lecture relativement superficielle de l’affrontement entre pro-israéliens et pro-palestiniens. Le schéma d’explication utilisé est simple. Les Brésiliens qui défendent le droit d’Israël d’exister et de se défendre sont des "bolsonaristes", des électeurs de la droite extrême qui adhèrent à une forme de "trumpisme tropical". Les partisans de l’an-cien Président Bolsonaro auraient importé au Brésil toute la symbologie de la droite con-servatrice américaine, y compris la confusion entre le royaume d’Israël de la Bible et l’Etat moderne actuel. Ils sont d’autant plus influents qu’ils bénéficient du soutien de millions de fidèles des églises évangéliques, des fidèles qui se revendiquent comme les héritiers directs du peuple de la Bible. Face à cette droite religieuse et donc fanatisée, s’affirme une gauche traditionnelle qui projette sur le conflit israélo-palestinien sa vieille idéologie anti-américaine et anti-impérialiste. Dans cet univers mental calcifié, Israël est un bras de l’impérialisme américain, une puissance coloniale et dominatrice qui est parvenue à construire un Etat riche et surarmé en opprimant les Palestiniens et leurs voisins arabes et persans…En somme, la fièvre qui s’étend depuis octobre 2023 serait une nouvelle version du conflit qui oppose la gauche et la droite de l’échiquier politique. Lecture sans doute pertinente mais qui mérite d’être approfondie.


 La première synagogue créée à São Paulo (où vit la première communauté juive du pays) et la mosquée de Foz d'Iguaçu (sud du Brésil) où existe une importante population arabo-musulmane.


Une autre analyse de l’éruption antisémite a été tentée. Elle consiste à souligner qu’en dépit de la distance géographique qui existe entre Gaza et São Paulo ou entre Tel Aviv et Rio de Janeiro, le Brésil est travaillé par un conflit qui concerne directement des groupes de la population issus de l’immigration. Il y aurait une importation du conflit israélo-palestinien sur le territoire national en raison des liens que des communautés de des-cendants de migrants entretiennent soit avec l’Etat hébreu, soit avec le monde arabo-musulman. Le Brésil a effectivement reçu à partir de la fin du XIXe siècle et jusqu’à la fin de l’empire ottoman un important flux de migrants en provenance de pays arabes. Le contingent le plus important était composé de chrétiens arrivant surtout du Liban et de la Syrie actuels. Des groupes bien moins importants provenaient d’autres régions de l’em-pire comme la Palestine, l’Egypte, la Jordanie ou l’Irak. D’autres mouvements migratoires à partir du Proche-Orient ont eu lieu après la Seconde Guerre mondiale, notamment de populations libanaises. En 2020, selon la Chambre de commerce Arabo-Brésilienne, le Brésil comptait 11,61 millions de personnes (5,7% de la population) qui revendiquent une ascendance arabe, dont 40% de descendants de Libanais et de Syriens et à peine 5% de Palestiniens (près de 60 000 personnes) [2]. Difficile pourtant de considérer ces des-cendants de migrants arabes comme une communauté homogène, un groupe cohérent et soudé qui manifesterait spontanément une sympathie pour la "cause palestinienne". Les liens avec les régions d’origine des ancêtres se sont affaiblis ou n’existent plus. On ne peut guère évoquer par ailleurs la proximité religieuse : comme leurs ancêtres, les Bré-siliens descendants de l'immigration arabe se rattachent d'abord à des églises chrétien-nes (51% en 2020). A peine 16% se déclarent aujourd'hui musulmans (soit 1,85 million de personnes).

 

Le Brésil compte aussi une communauté juive de 120 000 membres environ, la seconde d’Amérique latine, après celle d'Argentine. Les Juifs brésiliens sont les descendants d’im-migrés qui se sont arrivés dans le pays avec la colonisation portugaise (quand des Juifs sépharades et "Nouveaux-Chrétiens" fuyaient l’Inquisition) et plus tard entre la fin du XIXe siècle et les années 70 du XXe siècle, avec une arrivée de Juifs du Maroc, d'askhénazes (provenant principalement de l’empire russe et de pays d’Europe centrale puis d’Alle-magne) et d'orientaux (Egypte, Irak). Nombreux sont les Juifs brésiliens qui maintiennent des relations avec des proches vivant en Israël. La force des liens fami-liaux, le soutien et l’attachement à l’Etat hébreu ne signifient pas pour autant que tous les membres de cette communauté partagent les mêmes positions sur le conflit israélo-palestinien, sur la politique intérieure d’Israël ou sur les perspectives de paix dans la ré-gion. Les approches et sensibilités sont multiples, souvent divergentes, parfois anta-goniques. Les descendants des migrants juifs venus des shtetls d’Europe orientale, d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient ont toujours pris soin de ne pas faire intervenir dans les débats de politique intérieure leur sympathie pour Israël.

 

Le Brésil évangélique face à une gauche antisémite.

 

La transposition sur le sol brésilien d’un conflit lointain par des communautés issues de l’immigration ne semble donc pas être une explication pertinente. Comment alors expli-quer la fièvre politico-médiatique qui a suivi les massacres du 7 octobre, l’expression dé-complexée d’un antisémitisme de gauche et le parti-pris pro-Hamas du gouvernement Lula ? Trois clés d’analyse seront utilisées dans cette série de posts pour tenter de com-prendre l’exceptionnelle résonance du conflit israélo-palestinien au sein de la société brésilienne actuelle. La première est liée à la profonde et rapide transformation de la so-ciologie politique et religieuse du pays. Jadis considéré comme une des premières na-tions catholiques du monde, le Brésil est désormais un territoire où l’influence des églises évangéliques pentecôtistes dans la vie et le débat publics est considérable. Pour des raisons théologiques et politiques, la plupart de ces églises sont sionistes et défendent l’Etat d’Israël. Très implantées au sein des catégories les plus modestes de la population, éloignées de la gauche intellectuelle qui les méprise et les ostracise, elles sont souvent définies par cette dernière comme des forces conservatrices, proches de la droite radicale et du bolsonarisme. Le positionnement politique des églises en ques-tion est un peu plus complexe. Elles représentent en tous cas un puissant mouvement populaire qui échappe largement à l’influence idéologique de la gauche et affirme un soutien résolu à l’Etat d’Israël. Les multiples voyages en terre sainte organisés par ces églises depuis plusieurs décennies ont permis à des centaines de milliers de fidèles de se rendre en Israël, d’acquérir une connaissance même limitée des réalités de la situa-tion géopolitique locale. Ces fidèles et leurs pasteurs savent ainsi que les chrétiens palestiniens de Cisjordanie et de Gaza sont persécutés par les autorités palestiniennes en place (un fait politique majeur que la gauche brésilienne n'évoque jamais et qui ne l'indigne guère). Ils sont évidemment proches de ces chrétiens discriminés sur les terri-toires palestiniens et au contraire respectés en Israël. L'univers des églises évangéliques brésiliennes possède une expérience concrète du "terrain israélo-palestinien" que la plupart des défenseurs brésiliens de la "cause palestinienne" n’ont pas. Dès le lendemain du 7 octobre, dans les temples comme sur les réseaux sociaux, les leaders de ces églises ont exprimé leur soutien et leur sympathie à l’égard de l’Etat d’Israël et de sa population victime des massacres perpétrés par le Hamas.


Campagnes de promotion des "caravanes en terre sainte", les voyages organisés en Israël pour les fidèles des églises pentecôtistes et néo-pentecôtistes brésiliennes.


La seconde clé d’analyse concerne les partis de gauche, des institutions académiques, des universitaires et des intellectuels proches du gouvernement Lula qui restent ferme-ment attachés à leur engagement pro-palestinien. Dans le flot de réactions aux atrocités commises par le Hamas, la gauche politique, les syndicats proches, des for-mateurs d’opinion ont affiché soit un soutien explicite au Hamas, soit un refus de condamner clairement les atrocités commises par l’organisation terroriste. Il y a même des organisations de cette mouvance qui ont qualifié ces crimes barbares d’actes de résistance. Certains leaders ou porte-paroles de groupes radicaux n’ont d’ailleurs pas caché leur joie lorsque l’histoire complète des massacres, des violences sexuelles et des enlèvements a été révélée. Compte tenu des origines d’une partie de cette gauche brésilienne (très liée au catholicisme social), on pouvait imaginer que des personnalités soutenant la "cause pa-lestinienne" sans pour autant cautionner le terrorisme puissent reconsidérer leur position face aux actes de barbarie commis par le Hamas. On pouvait attendre de Lula ou de ses proches qu’ils soulignent au moins pour le principe que ce n’était pas ainsi qu’ils imaginaient la "résistance palestinienne" ou que les massacres per-pétrés ne servaient pas "les intérêts du peuple palestinien"…On attendait même de quelques personnalités plus ouvertes de la gauche brésilienne fassent volte-face et par-viennent à trouver les mots justes pour dénoncer le motif antisémite et génocidaire des crimes du 7 octobre. Il suffisait que ces personnalités lisent : le Hamas a toujours affiché ouvertement ses intentions.

 

L’antisionisme revendiqué par le parti de Lula et par les autres formations de gauche ou d’extrême-gauche a été inspiré dès les années 1970 par la propagande anti-Israël et antisémite développée alors par l’Union Soviétique. Au sein d’une gauche brésilienne post-moderne moins attachée à la défense du prolétariat qu’aux revendications identi-taires, cet antisionisme a été "enrichi" depuis quelques années par une nouvelle critique sociale wokiste cultivée au sein des universités publiques du pays et dominant désor-mais largement l’activité de départements de sciences sociales. Nombre de "travaux" produits et des "enseignements" prodigués sont imprégnés d’une version sommaire de la politique identitaire et d’une rhétorique anti-impérialiste particulièrement simpliste et rudimentaire. Dans les disciplines concernées (histoire-géographie, sociologie, psycho-logie, anthropologie, économie politique, etc..) des enseignants-chercheurs militants ont élaboré des cadres conceptuels rigides qui ne tolèrent aucune divergence ou point de vue dissident. Les éléments factuels, les preuves concrètes susceptibles de remettre en cause les interprétations établies et les credos idéologiques sont négligés ou rejettés. La transposition dans le contexte brésilien des "études ethniques" nord-américaines, de la "théorie critique de la race", des "études critiques de la blanchité" ou de l’approche "décoloniale" a conduit à l’élaboration d’une construction idéologique et un vocabulaire wokistes utilisé à profusion pour décrire et interpréter les structures de pouvoir et des mécanismes d’oppression au Brésil et dans le monde. Cette construction et ce voca-bulaire sont mobilisés pour dénoncer Israël et le sionisme qualifiés de "racistes", "colo-niaux" et "génocidaires". Pour les propagateurs de ce catéchisme, les Palestiniens sont les victimes d’une oppression raciste et coloniale, ainsi que d’un génocide. Peu importe les faits : le virage identitaire de la gauche brésilienne (influencée par le wokisme d'origine nord-américaine) a renforcé son fonctionnement mental quasi-religieux.

 

A l’instar des partis staliniens européens d’hier, la gauche dure brésilienne, celle qui existe au sein du Parti des Travailleurs de Lula ou de formations plus radicales a toujours eu des comportements et des postures qui font penser à celles de sectes religieuses. Ces mouvances et organisations ont nourri et nourrissent des croyances immuables qui ne peuvent pas être affectées par l’observation de la réalité empirique, par une argu-mentation rationnelle ou le simple bon sens. Elles ont longtemps affiché une foi iné-branlable dans le communisme, persistent à défendre obstinément les régimes ins-taurés il y a plusieurs décennies à Cuba ou, plus récemment, au Venezuela. Depuis les années 1960, cette croyance est la marque d’une grande partie de l’intelligentsia de gauche au Brésil (et dans d’autres pays latino-américains). Il faut défendre coûte que coûte les forces politiques au pouvoir et les mouvements de lutte armée qui se re-vendiquent du socialisme et du combat contre l’impérialisme et le capitalisme. Certes, il y a eu au fil du temps des dissidences. Des évènements importants ont joué un rôle crucial et conduit des personnalités à rompre avec le système de croyances. Ces évènements ont révélé pour ces personnalités les faiblesses de l’idéologie socialisante à laquelle ils étaient attachés. Citons ici l’échec économique patent de la révolution cu-baine, les violences et les multiples atteintes aux droits de l’homme du régime dictatorial instauré à La Havane, l’exil de milliers de cubains. Citons aussi dans les années 1980 les errements de la révolution sandiniste ai Nicaragua. Plus près de nous, d’autres évè-nements majeurs ont semé le doute chez les croyants ou gonflé les effectifs des fidèles en rupture de ban. On pense ici évidemment à l’évolution de la révolution bolivarienne de Chavez (effondrement économique du Venezuela chaviste, autoritarisme croissant du régime, crise humanitaire, exode massif des habitants). Tous ces faits historiques ont provoqué la désillusion chez de nombreux croyants, multipliant le nombre d’érétiques-dissidents. Reste que la plupart des apparatchiks et forces militantes de la gauche brésilienne persistent à défendre une idéologie et un projet socialistes, maintiennent des relations avec les "pays frères" cités ici et restent persuadés que l’impérialisme amé-ricain est la source de tous les malheurs du sous-continent… La calcification intel-lectuelle de ces élites militantes est impressionnante...


 Quelques jours après le 7 octobre, une organisation d'extrême gauche défile à São Paulo et réclame la "fin du génicide sioniste", tout en exhibant des drapeaux du Hamas....


Dans l’imaginaire des leaders et des forces de gauche, le Hamas et l’OLP représentent la "libération du peuple palestinien", comme hier les maquis du Che en Bolivie, les guér-rilleros marxistes-léninistes Tupamaros d’Uruguay, ceux du Sentier Lumineux au Pérou ou les Farcs de Colombie représentaient des mouvements d’émancipation dont il fallait épouser la cause. Au cours des dernières décennies, la "lutte du peuple palestinien" qui se déroule pourtant sur un théâtre éloigné est devenue une valeur politique et même morale pour la gauche au pouvoir à Brasilia et l’ensemble de la mouvance dite pro-gressiste.  Orpheline d’autres causes, aveuglée par une ignorance crasse des réalités du conflit Israël-Hamas, la gauche brésilienne comme celle d’autres pays du cône sud s’est focalisée sur la question palestinienne, considérée comme centrale et symbolique de toute oppression. Cette gauche a choisi de mobiliser toutes ses capacités de solidarité internationale en faveur du "peuple palestinien". Elle aurait pu s’intéresser à d’autres conflits dans le monde, dont certains sont bien pires à tous points de vue. Elle a choisi de s’en prendre à Israël et de défendre presqu’aveuglément la "cause palestinienne". On tentera dans cette série de fournir des éléments d’explication de ce tropisme fanatique. On tentera aussi de comprendre pourquoi le "camp progressiste" brésilien a fait de la "cause palestinienne" un symbole contre l’oppression sans tenir compte à aucun mo-ment de ce que les principales factions palestiniennes représentent réellement, du type de société qu’elles promeuvent, de l’identité des alliés qui les soutiennent…

 

Ce tropisme n’a pas été ébranlé par les pogroms du 7 octobre dernier. Bien au contraire. Les massacres commis par le Hamas n’ont pas eu le même effet que tous ces évè-nements évoqués plus haut qui avaient forcé des secteurs et des personnalités de la gauche brésilienne à ouvrir les yeux, à rompre avec un système de croyance. Pourtant, avec ces crimes de masse, la "cause palestinienne" de l’imaginaire antisioniste a été con-frontée à une atrocité réelle et significative. Ce que des militants progressistes long-temps manipulés ont pu considérer comme la promotion d’un idéal moral hautement prisé vient de se manifester en pratique sous la forme d’un mal absolu, à la faveur des actes génocidaires les plus atroces (ciblage délibérément planifié de la population civile israélienne, tortures, agressions sexuelles, assassinat d’enfants, prise "d’otages" civils, parmi lesquels des personnes âgées et des nourrissons, etc..). Pourtant, tous ces crimes n’ont pas été perçus par la gauche brésilienne et le gouvernement Lula comme un évènement majeur. Le Hamas a pourtant perpétré le maximum et le pire de ce qu’il était capable de faire, le tout dans la joie et l’enthousiasme. Rien n’a été caché, rien n’a dû être déterré : aucun meurtre de masse — avec son cortège de torture et d’agressions sexuelles — n’a été mieux documenté dans l’histoire de l’humanité. Rien non plus n’a été fait pour occulter la barbarie totale de leurs auteurs. Il s’agit d’une rupture de civili-sation inédite qui a pourtant été célébrée, justifiée ou banalisée par les spectateurs bré-siliens de gauche, qui ont refusé et refusent obstinément d’en prendre acte.

 

La mythologie palestinienne n’aurait pas pu être plus brutalement ébranlée.  Désormais, tous les éléments dont une personne sensée — n’ayant pas délibérément choisi de rester dans l’ignorance — aurait pu avoir connaissance depuis longtemps sont étalés au grand jour. Dans cette situation, les militants et les leaders d’opinion brésiliens pro-palestiniens auraient pu choisir de désavouer le Hamas, ouvrant ainsi un fos-sé idéologique entre les terroristes et la "cause palestinienne" dans l’intention de "sauver" cette dernière. Mais ils n’ont pas ressenti le besoin de le faire pour préserver leur légi-timité, puisqu’aucune véritable objection ne leur a été opposée et qu’aucune volonté sérieuse — et encore moins un mouvement d’introspection — ne s’est manifestée. Maintenir le Hamas dans le giron de la "cause palestinienne" ne semble pas poser problème, même après le 7 octobre. L’intelligentsia brésilienne de gauche a omis de dénoncer le pogrom. Elle a préféré l’ignorer ou – pire - a cherché à lui trouver des justi-fications. Pour nombre des leaders du camp progressiste, ces actes atroces sont jus-tifiés au nom de la lutte pour la "cause palestinienne".

 

Le choc qui aurait pu se produire ne s’est pas produit : pas de mutation idéologique ou de conversion. Bien au contraire. Les leaders de partis, les intellectuels "progressistes" ont renforcé leur dogmatisme antisioniste en dépit de toutes les preuves accumulées sous leurs yeux. Ils n’ont éprouvé à aucun moment depuis cinq mois le besoin de dis-tinguer le Hamas des autres représentants de la "cause palestinienne". Confrontés à "l’en-nemi sioniste", lui-même "relais de l’impérialisme américain", ils ont persévéré, comme davantage aveuglés par les crimes que les auteurs eux-mêmes se réjouissaient de dé-voiler. Les massacres ont révélé la rigidité mentale morbide de la gauche "progressiste". Ils ont aussi été l’occasion d’une large expression de solidarité avec Israël de la part de la mouvance évangélique. Comme dans d'autres pays du continent américain, l'affronte-ment entre une gauche antisémite et un puissant mouvement sioniste populaire est dé-sormais un facteur-clé de la polarisation politique et sociale. Le mouvement sioniste chrétien est influent car il s'enracine au sein des couches les plus modestes. La gauche antisémite est le relais conscient ou manipulé d'acteurs extérieurs : l'Etat iranien, les organisations terroristes que sont le Hezbollah et le Hamas. Ces dernières animent des réseaux à l’intérieur même du territoire brésilien. Ces réseaux interviennent efficacem-ment pour renforcer la "foi propalestinienne" des forces de gauche.


Telles sont les dimensions de l'impact de la guerre Israël-Hamas au Brésil que cette série de post va chercher à analyser.


A suivre, second post : un sionisme chrétien populaire.

 


 

 [1] Voir le site brésilien Poder 360 : "Lula compara ataques de Israel em Gaza com ações de Hitler”, https://www.poder360.com.br/internacional/lula-compara-ataques-de-israel-em-gaza-com-acoes-de-hitler/

[2] Ces immigrés provenant de l’empire ottoman étaient dans la majorité des Chrétiens persécutés. À côté du problème religieux, le manque de terre a aussi été un facteur im-portant d'émigration. La propriété de petits terrains de terre arable familiaux com-mençait à sentir les limites de la division entre descendants, quand le morcellement arrivait au point de ne plus suffire à l'existence des nouvelles familles créées. Face à cette réalité, la population pauvre devait se trouver des conditions de survie. 


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