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Le Brésil et la guerre Israël/Hamas (2).

Un sionisme évangélique et…populaire.

 

 

Ils représentent un tiers de la population [1] et sont devenus depuis deux décennies une composante majeure de la société brésilienne et une force politique incontournable. Les Brésiliens membres des églises évangéliques appartiennent d’abord aux couches les plus défavorisées [2]. La gauche au pouvoir n’a jamais compris cet univers et s’en éloigne de plus en plus. Lula et ses proches ont toujours imaginé que cette population de chré-tiens très pratiquants était manipulée par des pasteurs perfides et cupides. Parce que ces foules de croyants (crentes en Portugais) défendent les valeurs de préservation de la famille traditionnelle, affichent un conservatisme moral et tournent le dos aux reven-dications identitaires du camp progressiste, ils sont souvent classés à droite ou à l’ex-trême droite de l’échiquier politique. Aux yeux des "progressistes", l’anathème est encore justifié par un autre argument. Les foules des temples pentecôtistes ont en effet un pen-chant fâcheux : elles s’identifient au peuple juif et à l’Etat moderne d’Israël.

 

Dans tout le pays, depuis des décennies, la plupart des grandes dénominations ecclé-siales pentecôtistes et néo-pentecôtistes ont intégré des symboles et des éléments de la liturgie juive dans leurs rites et pratiques. Dans les temples, on trouve des étoiles de David, des ménorahs (chandelier à sept banches), des passages bibliques en hébreu sculptés sur les murs. Des pasteurs portent des taliths (châles de prières) pendant les of-fices. Plusieurs dénominations évangéliques fêtent la Pâque juive (Pessah) ou célèbrent Souccot [3]. Le shofar (corne de bélier utilisée comme instrument sonore lors des célé-brations du premier jour de l’année juive et du jour du grand pardon) est souvent enten-du dans les temples. Les hommes portent des kippas et d’autres ornements juifs dans la rue. Régulièrement, de nombreuses églises évangéliques participent aux manifesta-tions de soutien à Israël. Une fois par an au moins, elles organisent des "marches pour Jésus". Tous ces évènements sont autant d’occasions de brandir des drapeaux israéliens. Cette identification au peuple juif ne se limite pas aux symboles et aux rites. Les fidèles pentecôtistes et néo-pentecôtistes suivent des cours de culture juive, apprennent l’hé-breu pour pouvoir lire les Ecritures. Ils rêvent tous de pouvoir se rendre un jour sur la terre du peuple juif, celle où a vécu Jésus. Beaucoup parviennent à concrétiser ce projet. C’est dans les eaux du fleuve Jourdain que se font baptiser les nouveaux adeptes.


Marche pour Jesus, à Brasilia en 2023.


Depuis le 7 octobre 2023, cette identification au peuple juif et à Israël est affirmée avec encore plus de force. A l’heure où la gauche brésilienne dérive vers un anti-sémitisme presque décomplexé, les sensibilités des membres de communautés pentecôtistes et néo-pentecôtistes [4] se révèlent totalement opposées. Ces groupes se mobilisent et soutiennent l’Etat hébreu. Très actifs sur les réseaux sociaux, ils reprennent les contenus publiés par la presse israélienne et dénoncent le Hamas. La plupart des manifestations de solidarité avec Israël organisées depuis octobre 2023 au Brésil ont bénéficié d’une participation marquée de fidèles évangéliques. Alors que se creuse partout dans le monde occidental le fossé entre défenseurs d’Israël et alliés du Hamas, l’Etat hébreu peut compter au Brésil sur un allié puissant : les chrétiens évangéliques et sionistes.

 

La plupart des enquêtes et des investigations conduites avant octobre 2023 par des an-thropologues ou autres experts en sciences sociales sur cet univers religieux de plus en plus important portaient souvent une marque de condescendance ou de mépris [5]. Avec l’ascension politique et la victoire de Jaïr Bolsonaro à la Présidentielle de 2019, ce dédain de l’intelligentsia de gauche pour les milieux évangéliques s’est transformé en os-tracisme. Parce qu’elles avaient souvent soutenu l’ancien militaire par refus d’une gauche dérivant vers le wokisme, ces églises étaient forcément des vecteurs de régression so-ciale, les propagateurs d’un autoritarisme réactionnaire, des institutions profitant de "l’aliénation religieuse d’un peuple trompé". Les pasteurs et leurs ouailles ont souvent été dépeints comme les soutiens naturels d’une offensive fascisante. Après le retour de Lula à la tête de l’Etat fédéral en 2023, les églises de sensibilité pentecôtiste sont apparues comme des forces d’opposition de plus en plus résolues face au gouvernement de gauche. La distance entre les deux mondes est devenue un fossé encore plus large depuis octobre 2023, lorsque les évangéliques ont affiché plus fermement encore leur attachement au peuple juif et à l’Etat d’Israël.


 Groupes d'évangéliques à la manifestation anti-Lula du 25 février 2024, à São Paulo.


De ce soutien réitéré, les leaders de la gauche brésilienne ne retiennent que les prises de position des pasteurs les plus radicaux, ceux qui défendent un sionisme religieux et soutiennent les ultranationalistes israéliens. En réalité, la sympathie qu’affichent les fidèles pour Israël est aussi un mouvement éminemment populaire, qui touche les pentecôtistes de divers horizons politiques, des croyants qui ne sont pas forcément ali-gnés sur la droite ou l’extrême-droite israélienne. Des croyants qui ne s’embarrassent nécessairement d’arguments théologiques obscurs. Des fidèles qui se fondent sur la connaissance concrète qu’ils ont pu acquérir des réalités du Proche-Orient lors de leurs pèlerinages en Terre sainte. Enfin, c’est essentiel, nombreux sont les membres d’églises évangéliques désormais convaincus qu’ils sont comme d’autres populations du monde occidental impliqués dans un conflit de civilisations. Que dans ce conflit Israël est un allié. Un allié qui tient les premières lignes et qu’il faut donc soutenir.  

  

Des fondamentalistes religieux…

 

Les évangéliques les plus conservateurs voient en dans l’Israël moderne une sorte d'idéal, le peuple élu de la Bible, qui doit être défendu coûte que coûte, quelle que soit l'attitude de ses dirigeants. Ce soutien correspond à une lecture très littérale des textes, sans aucune mise en contexte historique. Il est justifié par une vision théologique. Celle, par exemple, de la théologie de la bénédiction qui se fonde sur un passage du Livre de la Genèse, quand Dieu bénit Abraham, patriarche des Hébreux. L’éternel déclare alors : "je bénirai ceux qui te béniront, je maudirai ceux qui te maudiront". Pour les évangéliques fondamentalistes, cela signifie que Dieu jugera les pays et les peuples en fonction de leur comportement et de leurs actions à l’égard d’Abraham et de tous ses descendants qui formeront le peuple juif. Les crentes doivent donc respecter la volonté de Dieu pour être bénis. Il ne s’agit pas seulement de respecter un commandement divin. Les évan-géliques  croient en l’apocalypse [6] et au retour de Jesus Christ sur terre. Pour une par-tie d’entre eux, l’existence d’Israël est une condition à la fin des temps, qui se terminera par la seconde venue de Jésus sur terre.

 

Plusieurs églises brésiliennes ont été influencées par le dispensationalisme, un courant d’interprétation des prophéties né au XIXe siècle, dans le sillage des prédications de l'Anglais J.N. Darby (1800-1882). Reprenant les thèses de théologiens des XVIe et XVIIe siècles, Darby avait développé l’idée selon laquelle les chrétiens doivent interpré-ter l’Histoire à la lumière de sept "dispensations", chacune d’elles reflétant une période de relation particulière entre Dieu et l’humanité. Au temps de l’innocence de l’Éden auraient ainsi succédé ceux de la conscience (le Déluge), du gouvernement humain (Babel), de la Promesse (Abraham), de la Loi (Moïse), de l’Église (la Grâce). Passées ces phases, viendrait la septième dispensation : le Royaume de Dieu, une période de bon-heur marquée par la conversion de tous les humains et la résurrection des morts de la bataille de l’Armageddon. Le monde traveserait aujourd’hui le temps de la "grande tribu-lation" qui précède l’avènement de Dieu, annoncée par Jésus dans son discours sur le mont des Oliviers : Satan, via son serviteur l’Antéchrist, se sachant à cours de temps, mul-tiplierait plus que jamais les souffrances des humains et créerait maints stratagèmes inédits pour les égarer. Formulée à partir d’une lecture très littérale des Ecritures, cette tradition place les Juifs au centre de la réalisation de toutes les prophéties bibliques. Pour que le royaume de Dieu advienne, le peuple qu’il a choisi doit se réunir sur la terre qui lui a été promise et exercer sa souveraineté sur toute cette terre.

 

Les évangéliques les plus fondamentalistes inscrivent ainsi les Juifs en tant que peuple dans un schéma eschatologique lié à la Parousie, la seconde venue du Christ et à l’avènement des temps messianiques qu’il s’agit de hâter en encourageant le retour en Terre sainte de tous les "fils de Dieu" exilés. Seuls ce retour et l’exercice d’une souve-raineté totale des Juifs garantiront l’accomplissement des prophéties, accéléreront leur réalisation. Le processus culminera avec le retour du Christ. Dans cette vision sioniste chrétienne, il ne s’agit pas évidemment pour tous les évangéliques de s’installer en Israël mais d’encourager les Juifs à le faire, de les inciter à y rester. Lorsque tout le peu-ple élu sera de retour sur la terre qui lui a été promise, il embrassera la foi chrétienne.


De nombreuses églises évangéliques brésiliennes œuvrent ainsi à la promotion de cette idée que Royaume et État d’Israël ne feraient qu’un. Il s’y tramerait des enjeux prophé-tiques, annoncés dans les Écritures. Dieu travaillerait à l’avènement de son Royaume et y préparerait le retour du Christ, un travail que les humains devraient soutenir en contri-buant, par leurs actions, à accélérer le cours des événements. Convaincus que l’établis-sement d’un Etat juif en Palestine est l’accomplissement de la prophétie biblique, les chrétiens évangéliques brésiliens sont donc de fervents sionistes. Ils  attribuent un rôle décisif aux Juifs et à l´Etat d’Israël moderne dans le projet divin pour la fin des temps. Chaque moment essentiel de la vie de cet Etat est lu comme le signe de l’accom-plissement des prophéties. Ainsi, lorsque le parlement israélien déclare Jérusalem réu-nifiée capitale éternelle de l’Etat juif au début des années 1980, cette proclamation est saluée par la plupart des leaders évangéliques brésiliens.

 

Dans les églises pentecôtistes et néo-pentecôtistes brésiliennes, on interprète aussi des passages du Nouveau Testament chrétien comme évoquant l’importance de la continua-tion d’une Israël juive pour que le second avènement de Jésus ait lieu. Il faut ici mention-ner par exemple un paragraphe du second épître aux Thessaloniciens qui mentionne que Jésus ne reviendra qu'après qu'une personne identifiée comme "l'impie", souvent as-sociée à la figure de l'Antéchrist, se déclarera comme Dieu au Temple de Jérusalem. Le Temple de Jérusalem évoqué dans ce passage n'existe néanmoins plus depuis l'an 70 après J.-C. Le site historique est désormais occupé par l'esplanade des Mosquées. Le retour de Jésus-Christ dépend donc de la restauration du Temple de Jérusalem, qui ne pourra, aux yeux des évangéliques, arriver qu'après l'instauration d'une Israël contrôlée uniquement par les juifs.

 

Politiquement, les évangéliques brésiliens les plus conservateurs soutiennent le main-tien de la réunification de Jérusalem. Ils militent contre une éventuelle division de la capitale. Ils revendiquent également Israël comme pays juif et sont opposés à l’hypo-thèse d’une solution du conflit israélo-palestinien par la création de deux Etats qu’ils jugent illégitime et irréaliste. Ils sont souvent proches des ultranationalistes et de l’extrême droite religieuse israéliens. Se référant encore une fois aux textes bibliques dans lesquels la Terre d’Israël s’étendait du Nil à l’Euphrate, ils souhaitent l’établis-sement d’un grand Israël qui amènerait les Juifs du monde entier à revenir sur la terre de leurs ancêtres et à se convertir. Ce qui annoncerait, selon leurs Ecritures, la nouvelle venue de leur messie.


 …mais aussi des évangéliques lucides.

 

On peut parler à propos de ces évangéliques fondamentalistes d’extrémisme ou de fana-tisme religieux. Néanmoins, cette évaluation ne peut pas être généralisée pour qualifier l’attitude de l’ensemble des fidèles. Dans le monde évangélique, la pluralité est la règle. Les débats eschatologiques révèlent de nombreuses fractures au sein de cet univers. Beaucoup de chrétiens pentecôtistes et néo-pentecôtistes rejettent le dispensationa-lisme et fondent leur proximité avec l’Etat d’Israël moderne sur d’autres considérations que des analyses pseudo-prophétiques. Ils tiennent aussi compte de leurs propres expé-riences, d’autres enseignements, de rencontres, du choc que représente souvent le con-tact avec le réel. L’expérience majeure pour plusieurs centaines de milliers de ces fidèles, c’est la découverte du pays d’Israël d’aujourd’hui, celui qu’ils ont rencontré lors-qu’ils ont participé aux "caravanes évangéliques", ces voyages en Terre Sainte, organisés depuis plus de trente ans par toutes les grandes dénominations pentecôtistes et néo-pentecôtistes. Le monde évangélique est un des rares secteurs de la société brésilienne actuelle à avoir une connaissance concrète, sans doute partielle et partiale mais effec-tive, de l’Israël moderne. Historiquement, les visites de Brésiliens en Terre sainte ont été longtemps presque exclusivement le fait de groupes de catholiques fortunés, donc d’effectifs limités. Aujourd’hui, ces visites sont devenues un phénomène de masse tou-chant quasiment toutes les classes sociales. Le Brésil est la troisième origine du con-tinent américain (derrière les Etats-Unis et le Canada) pour les flux touristiques en Israël. Pour l’essentiel, ce tourisme brésilien est spirituel. Il est le fait de groupes appartenant à des dénominations pentecôtistes et néo-pentecôtistes.

 

Publicités annonçant des caravanes évangéliques en 2024 et 2025.


Toutes ces institutions religieuses possèdent et gèrent des agences de voyages spé-cialisées dans l’organisation et l’accompagnement de caravanes. Le nombre total de pèlerins appartenant à l’ensemble des communautés évangéliques du Brésil ayant par-ticipé au moins à une caravane depuis le début du XXIe siècle doit approcher 1 million. Selon les professionnels brésiliens de ce tourisme spirituel, plus de 170 000 fidèles ont pu se rendre au Moyen Orient entre 2022 et  2023. Le parcours proposé aux voyageurs par les agences dure en général de huit à douze jours et inclut les visites des principales villes, des lieux saints de la chrétienté et de sites bibliques  en Israël (des itinéraires plus longs comprennent également un passage par l’Egypte et la Jordanie). Il comprend des étapes en Cisjordanie et des rencontres avec les diverses composantes de la population israélienne.

 

Ces séjours même très courts, encadrés et centrés sur des objectifs religieux ont permis depuis des années à des foules de pèlerins de diverses églises de découvrir les réalités de la société de l’Etat d’Israël moderne et de percevoir que ces réalités ne correspondent guère aux clichés, aux mythes et aux fausses informations dont s’ali-mente (au Brésil ou ailleurs) le discours antisioniste. Il suffit ainsi d’avoir visité sur place un hôpital, une université ou simplement d’avoir séjourné dans un hôtel tenu par un citoyen arabe pour comprendre que les accusations d’apartheid relèvent d’un délire militant. Le séjour en Israël permet aussi à des Brésiliens habitués aux grandes distances, aux espaces continentaux, de se rendre compte de la dimension réelle du territoire occupé par le pays, de l’extrême proximité géographique des menaces qui pèsent sur sa population. Ce séjour est sans doute encore l’occasion (dans la mesure où l’encadrement des pèlerins le permet) de découvrir la diversité d’une société israélienne fortement sécularisée, assez éloignée de la représentation souvent idéalisée que peuvent avoir les crentes. Même une courte visite permet à un évangélique de percevoir que sa conception souvent rigide et figée de la famille, du rôle et des droits de la femme  et des mœurs n'est guère partagée par une majorité d’israéliens adeptes d’un libéralisme moral, défenseurs du droit à l’avortement ou favorables à l’organisation de parades gays.


Baptêmes de fidèles évangéliques brésiliens dans les eaux du Jourdain, en Galilée.


La connaissance effective que les communautés évangéliques peuvent posséder au-jourd’hui de l’Etat d’Israël moderne et du conflit qui l’oppose à ses voisins est lié à l’essor considérable de ces caravanes et aux fréquentes visites en Israël et dans la région qu’ef-fectuent les pasteurs, établissant ainsi des liens culturels et religieux avec des homo-logues locaux. Toutes ces initiatives ont transformé et transforment la vision que le mon-de évangélique brésilien peut avoir sur la vie du petit Etat et sa compréhension de la réa-lité du conflit qui l’oppose à ses voisins proches ou lointains. Cette vision et cette com-préhension sont profondément bouleversées lorsque les pèlerins brésiliens rencontrent des coreligionnaires locaux, qu’ils soient israéliens ou palestiniens. Les visiteurs appren-nent ainsi que la minorité chrétienne de Gaza (2% de la population avant la guerre actuel-le) est devenue la cible de violences répétées, depuis la consolidation du pouvoir du Hamas (actes de vandalisme et attentats à l'explosif contre des écoles, des maisons et des institutions chrétiennes, homicides, profanation de tombes)[7]. Plus de 80% des chré-tiens ont d’ailleurs fui Gaza sous le régime du Hamas.  Les participants des caravanes en Terre Sainte apprennent encore que les cas de discrimination sont également monnaie courante en Cisjordanie, notamment à Bethléem où la majorité musulmane est favo-rable à la présence de touristes chrétiens mais de plus en plus hostile envers les chrétiens palestiniens. Ces derniers sont régulièrement attaqués. Les attentats à la bom-be contre des sites, les attaques physiques contre les personnes sont récurrents. En 1950, les chrétiens représentaient près de 90% de la population de la ville de naissance du Christ. Leur présence a fortement diminué au fils des ans  pour descendre à seule-ment 10% aujourd’hui. Dans une société où les chrétiens arabes n’ont ni voix ni pro-tection, il n’est pas surprenant qu’ils partent. Le constat fait sur place suscite l’éton-nement des visiteurs brésiliens. La persécution systématique des Arabes chrétiens vivant dans les zones palestiniennes a été accueillie par un silence total de la part des diplomates d’Itamaraty [8], des militants des droits de l’homme, des médias et ONG bré-siliens….

 

Le voyage en Terre Sainte même très encadré et orienté en fonction d’objectifs religieux est un fantastique briseur de silences, de mythes et de mensonges. Les pèlerins ont évidemment des contacts avec quelques représentants des 187 000 chrétiens vivant en Israël (1,9% de la population totale du pays). Ces chrétiens israéliens ne forment pas un groupe uniforme. Si la majorité sont Arabes (75,8%), les autres sont pour la plupart des chrétiens qui se sont installés et s’installent en Israël grâce à la loi du retour (avoir un grand-parent juif permet de prétendre à la citoyenneté israélienne). Même si des tensions peuvent exister entre l’Etat et les autorités des Églises catholiquegrecque or-thodoxearménienne et luthérienne, l’augmentation constante de la population chré-tienne montre que les droits reconnus aux minorités religieuses sont effectivement respectés et qu’en termes de conditions de vie les chrétiens israéliens n’ont rien à envier celles de leurs coreligionnaires des territoires palestiniens ou des Etats voisins.


 Des pélerins évangéliques évacués d'Israël après les massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre 2023 arrivent au Brésil.


Un choc des civilisations.

 

Cette découverte concrète des menaces réelles pesant sur la chrétienté au Proche-Orient est un autre facteur de rapprochement entre les visiteurs et le peuple d’Israël. Comme les Juifs de l’Etat moderne, leurs coreligionnaires sont désormais confrontés à des forces qui entendent les chasser du territoire de l’histoire biblique. Les voyageurs ne peuvent pas s’enferrer dans la culture de déni qui empêche encore la plupart des opi-nions occidentales de comprendre la véritable nature du conflit régional. Comme l’écrasante majorité des Israéliens aujourd’hui, et sans doute parce qu’ils ont établi un lien fort avec le pays,  nombreux sont les membres d’églises évangéliques de nations loin-taines comme le Brésil qui savent que le conflit au Proche-Orient n’est pas seulement un conflit territorial. S’il met en scène deux nationalismes qui se disputent une même terre, ce conflit oppose surtout deux univers culturels et religieux, deux systèmes de valeurs. Cette dimension essentielle est le plus souvent sous-estimée ou occultée. En Palestine, la guerre menée par le Hamas et le Hezbollah contre Israël n’est pas une guerre pour avoir plus de terre, étendre le territoire géré par les Palestiniens. C’est une guerre sainte contre les Juifs, c’est une guerre pour que les Juifs n’aient plus de terre. C’est l’offensive des guerriers d’Allah contre deux qu’Allah a maudit dans son texte fondateur qui est le Coran. La malédiction des Juifs y est inscrite en toute lettre. Un appel est lancé à tous les fidèles de la cause d’Allah pour qu’ils traduisent en acte cette malédiction. Depuis la fin du XXe siècle, la civilisation islamique est sortie de l’état d’humilié pour atteindre celui d’humiliant. Le Jihad a été transformé en guerre sainte [9]. Cette guerre est menée au Proche-Orient. Elle vise aussi à un expansionnisme mondial. A l’échelle globale, tous ceux qui ne sont pas islamistes sont considérés comme des mécréants qui doivent se convertir ou bien être éliminés. Cette entreprise a d’abord fait des victimes dans le monde arabo-musulman. Désormais, elle vise surtout à déstabiliser l’Occident menacé très directement par la montée en super-puissance d’un l’Islam radical. Depuis le 11 septembre 2001, la liste des attentats islamistes commis dans le monde s’allonge…

 

Les terribles massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre dernier et leurs suites ont renforcé la pertinence de cette grille de lecture. Les géopoliticiens les plus lucides ont reconnu que l’offensive du Hamas relevait d’une guerre de civilisations qui déborde am-plement le conflit israélo-palestinien. Cette guerre est conduite contre l’Occident par les pays d’un axe autoritaire (Russie, Chine, Iran). Au sein de ce front, les forces politico-religieuses de l’islamisme radical servent à déstabiliser les démocraties avancées et celles de pays émergents en infiltrant les partis politiques de gauche, la sphère univer-sitaire et le monde des médias. Souvent, notamment dans les pays comme le Brésil, le wokisme œuvre comme une sorte de ciment idéologique entre l’islamisme, l’anti-améri-canisme, l’antisionisme et la démolition en règle des valeurs occidentales.


 Manifestation pro-Hamas d'un groupe d'extrême-gauche, à São Paulo (fin octobre 2023).


Les chrétiens évangéliques brésiliens les plus modérés mobilisent donc cette grille de lecture en privilégiant évidemment l’univers culturel et religieux qui est le leur, c’est-à-dire celui de la chrétienté menacée. La théorie du choc des civilisations [10] évoque une offensive islamique contre le monde occidental libéral, laïque et démocratique. Les pentecôtistes et néo-pentecôtistes brésiliens ne sont pas toujours des défenseurs ardents de la démocratie, de l’Etat laïque et des libertés individuelles. Ils manifestent par-fois un esprit de tolérance limité et pêchent souvent par fanatisme. Ils sont pourtant disposés à maintenir les alliances qui leur semblent indispensables pour lutter contre ceux qui les persécutent. Le combat que doit mener désormais l’Occident est aussi le leur. L’Etat d’Israël moderne tient la première ligne de front contre la montée en puis-sance des dérives de l’Islam fondamentaliste. Ce dernier menace le monde chrétien. L’alliance avec Israël va donc de soi, quelle que soit l'interprétation des prophéties bibliques....


A suivre : une gauche antisémite.

 

 

 

[1] Le nombre de chrétiens dits évangéliques était estimé en 2022 à 65,4 millions de personnes (dont 70% pentecôtistes et néo-pentecôtistes), soit 31,8% de la population totale[1]. Ces fidèles se ré-partissaient en 55 églises différentes. Les huit principales regroupent chacune plus d’un million de membres. En 2032, dans huit ans, la part des fidèles d’églises évangéliques devrait approcher 40% et serait alors bien supérieure à celle des croyants catholiques. Le poids relatif de évangéliques devrait encoreêtre plus élevé au sein de la population urbaine, dans les classes les plus défavo-risées, chez les jeunes et les femmes.

[2] Le public des Églises pentecôtistes est majoritairement constitué de femmes défavorisées, dont plus de la moitié sont noires ou métisses : selon des données de 2019 et 2020 recueillies par l’Ins-titut Datafolha, 58 % des évangéliques (toutes Églises confondues) sont des femmes, dont 43 % sont métisses et 16 % noires, en sachant que, en 2018, dans l’ensemble de la population brésilienne 9,3 % des habitants se déclaraient comme noirs et 46,5 % comme métis. Dans les Églises néo-pentecô-tistes, les femmes représentent 69 % des fidèles. 

[3] Fête dite aussi des cabanes, ou des tabernacles,  cours de laquelle on célèbre dans la joie l'as-sistance divine reçue par les enfants d'Israël lors de l'Exode et la récolte qui marque la fin du cycle agricole annuel.

[4] Sur les notions de pentecôtisme et néo-pentecôtisme, voir la série de posts d’août 2022 sur ce site : https://www.istoebresil.org/post/les-eglises-evangeliques-contre-la-democratie

[5] Les auteurs semblent déçus de découvrir que les classes populaires ne sont pas alignées sur les valeurs et les comportements de la gauche bienpensante. Comme si face à la rationalité incarnée par des universitaires éclairés la foi des "crentes" attachés à la famille traditionnelle et conservateurs apparaissait comme une dangereuse dérive vers l’obscurantisme.

[6] L’Apocalypse est le dernier livre du Nouveau Testament chrétien. C’est une prophétie qui décrit le retour du Christ et le déroulement des évènements de la fin des temps. 

[7] Depuis des années, l'absence d'enquête et d'arrestation faisant suite à ces épisodes indique que le Hamas n'a jamais eu l'intention d'intervenir pour mettre un terme aux persécutions à l'encontre des Chrétiens. Les médias internationaux ont toujours été muets sur ce sujet. Il est rare qu'un chrétien se plaigne officiellement au sujet de la politique de discrimination du Hamas car les conséquences seraient très lourdes.

[8] Ministère fédéral des affaires étrangères.

[9] Selon Gilles Kepel, dans son sens originel, ce que l’on appelle le "grand jihad", tel que le définit le Prophète, tel qu’il est codifié dans le droit musulman ou tel que les grands mystiques soufis l’ont pratiqué, c’est avant tout une soumission totale de l’âme à Dieu, un effort sur soi-même pour lutter contre ses mauvais penchants, pour suivre le chemin de la perfection, donc pour être le meilleur musulman possible. Par extension, cet effort vise à tout mettre en œuvre pour favoriser la propagation de l’islam à travers le monde, au besoin par les armes. C’est la guerre sainte dont les manifestations les plus violentes ont lieu au Proche-Orient mais aussi au sein des démocraties fragilisées du monde occidental. Voir sur le sujet, G. Kepel,  Jihad : expansion et déclin de l’isla-mismeParis, Gallimard, 2001 et  Sortir du chaos : Les crises en Méditerranée et au Moyen-Orient, Paris,  Gallimard, 2018.

[10] Voir Samuel Huntington, Le choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, 1996.

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