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Le désolant bilan économique de Bolsonaro (1).

Le capitaine et son timonier.

Selon le Fonds Monétaire International, le Brésil devrait connaître une croissance de 0,8% en 2022. Si cette prévision se vérifie, au cours des quatre années qui correspondent au mandat présidentiel qui s’achève, la croissance annuelle moyenne du PIB aura été de 0,67%, un rythme plus faible que celui observé ailleurs sur la planète [1]. Partout dans le monde, cette période a été marquée par la pandémie de covid-19 qui a entraîné une nette contraction de l’activité en 2020 puis une reprise en 2021. Au Brésil, après la réces-sion de 2020 (-3,88%), la reprise observée en 2021 (+4,62%) aura été insuffisante pour compenser la croissance faible ou négative observée depuis le milieu de la dernière décennie. Le gouvernement Bolsonaro n’a pas réussi à faire sortir l’économie d’une longue phase d’anémie qui a commencé avec les récessions de 2015 et 2016. Le bilan économique de ce mandat est aussi marqué par un retour spectaculaire de l’inflation (en 2021, le taux d’inflation aura atteint 10,1%, soit trois fois le centre de la zone cible d’inflation fixée), une forte progression du chômage et une contraction des revenus. Dans ce contexte, l’instabilité des prix entraîne une augmentation marquée de la pauvreté dont la conséquence la plus dramatique est l’incidence croissante de la sous-alimentation.


Croissance médiocre, stagnation du revenu moyen par habitant, marché de l’emploi dégradé, érosion du pouvoir d’achat, progression de la pauvreté : ce bilan économique sombre est celui d’un gouvernement qui avait annoncé en 2019 une révolution libérale, l’instauration d’une véritable économie de marché, l’ouverture à la concurrence, la fin des monopoles….et le retour d’une croissance forte. Les causes de l’échec sont multiples. Dans ce premier article, on s’intéressera à la trajectoire de celui qui était censé orchestrer le grand changement annoncé : le Ministre de l’Economie de Jair Bolsonaro.


Variation annuelle du PIB per capita.

Source : FMI.


Le gourou devenu "super-ministre".

Diplômé de l’université de Chicago, Paulo Guedes a fait toute sa carrière dans le secteur privé et n’a aucune expérience de la vie politique avant 2019. Enseignant à l’université, il a aussi participé à la fondation d’une banque d’investissement spécialisée dans le capital risque (le Banco Pactual). Il a encore contribué à la création de l’IBMEC (un institut de re-cherche et de formation supérieure sur les marchés financiers). En 2005, il a fait partie du groupe de personnalités qui ont lancé alors un think tank d’inspiration libérale, l’Institut Millenium. A partir de 2016, Guedes multiplie les interviews, les conférences, les inter-ventions sur les réseaux sociaux. Avec pertinence, Il dénonce alors le clientélisme et le capitalisme de rentiers que protège et entretient l’Etat brésilien. Il ne cesse de préconiser une véritable révolution qui passerait par l’ouverture du marché domestique à la concur-rence internationale, l’abolition des monopoles détenus par des entreprises publiques, la mise en œuvre d’un programme ambitieux de privatisations, une réforme de l’Etat, une simplification de la fiscalité, l’élimination des privilèges dont jouissent plusieurs corps de hauts fonctionnaires et des corporations bien organisées. Dans ses propos, l’économiste recommande un strict respect de la discipline budgétaire et l’élimination des déficits publics.


A la fin 2017, il se rapproche de l’équipe de campagne de Jair Bolsonaro. Ce dernier avoue volontiers en public qu’il ne comprend pas grand-chose à l’économie. Paulo Guedes est alors présenté comme le gourou du candidat pour les questions économiques et finan-cières. Il est supposé avoir réponse à tout dans ces domaines. Bolsonaro le surnomme son "Posto Ipiranga [2]" Dès qu’il est confronté à une question concernant la politique économique qu’il prétend engager, l’ancien capitaine prie les journalistes d’interroger "son Posto Ipiranga"….La présence de l’économiste libéral auprès du candidat rassure les mar-chés financiers et les investisseurs. Grâce à Guedes, Bolsonaro va gagner la sympathie et l’appui de tout un secteur de l’électorat qui rejette le parti de Lula et souhaite que le Brésil devienne une véritable économie de marché.

Cérémonie d'investiture le 1er janvier 2019 : Jair Bolsonaro et son "super-ministre".


En janvier 2019, lorsque l’ancien militaire devient Président de la République, il choisit na-turellement Paulo Guedes comme Ministre de l’Economie. Ce dernier ambitionne de mettre en œuvre la révolution annoncée. Il s’agit de libéraliser l’économie brésilienne, d’éliminer une bureaucratie anachronique, de favoriser la concurrence, de relancer l’activité en misant sur le marché, de créer les conditions d’une croissance forte et dura-ble, d’éliminer rapidement le déficit de l’Etat fédéral et de réduire la dette. Pour réaliser un tel programme, le nouveau ministre est placé à la tête d’un "super-ministère" qui con-centre les attributions qui relevaient jusqu’alors de ministères indépendants (planification, travail et emploi, commerce extérieur et industrie). Paulo Guedes affiche d’emblée des objectifs mirobolants. Les mesures qu’il envisage de prendre au cours des quatre années de gouvernement qui commencent vont permettre d’accroître la richesse nationale pro-duite de 50% en dix ans. Le PIB per capita devrait doubler entre 2019 et 2030.


Dès sa prise de fonction, le "super-ministre" souligne que la révolution libérale sera engagée sans attendre. Grâce à la vente d’actifs immobiliers détenus par l’Etat central, il promet d’éliminer dès 2019 le déficit du budget fédéral. Le programme de privatisations doit de son côté faire rentrer 990 milliards de réais dans les caisses (l’équivalent de 30% des recettes inscrites au budget pour 2019). A la gestion souvent justement critiquée de grandes entreprises publiques de divers secteurs (banque, énergie électrique, pétrole et gaz, courrier, etc..) allait succéder une gestion assurée par des opérateurs privés privi-légiant l’efficacité et la rentabilité. Guedes annonce encore une politique de décentra-lisation : une réforme du pacte fédératif doit renforcer les compétences des Etats fédérés et des communes et permettre à ces pouvoirs locaux de disposer de ressources fiscales accrues. Une réforme administrative permettra de moderniser les services publics, de réorganiser les carrières des agents et surtout d’en finir avec les privilèges impres-sionnants dont bénéficient plusieurs catégories de fonctionnaires fédéraux. Le "Posto Ipiranga" annonce encore que le système des retraites par répartition sera remplacé par un système de capitalisation…que la réforme de la fiscalité ne saurait attendre….


Jusqu’au début de 2021, le "super-ministre" réussit à faire avancer quelques projets. Il a ainsi contribué à faire adopter dès 2019 une réforme des systèmes de retraite qui était déjà en gestation sous la précédente législature. Le gouvernement Bolsonaro a éga-lement réussi à faire voter par le Congrès des textes qui libéralisent et favorisent la con-currence dans les secteurs du gaz naturel, du transport maritime, des réseaux d’as-sainissement et de distribution de l’eau. Les parlementaires ont encore adopté une lé-gislation qui officialise le statut d’autonomie de la Banque Centrale et renforce donc la crédibilité de l’autorité monétaire auprès des marchés financiers. Mais les grands chan-gements annoncés, ceux qui devaient modifier radicalement les règles du jeu, l’environ-nement économique et le climat des affaires, n’ont tout simplement pas eu lieu.


Aucune grande entreprise publique fédérale n’a été privatisée en quatre ans. Les projets de privatisation du groupe Electrobras et de l’entreprise publique chargée du courrier postal avancent à pas très mesurés. Les seules actions identifiables dans ce domaine ont été des cessions de filiales et d’actions de groupes publics à des investisseurs privés. Le "super-ministre" avait annoncé près de 1000 milliards de réais de recettes excep-tionnelles…Les cessions d'actifs limitées ont rapporté 164 milliards. Une réforme ad-ministrative devait être engagée. Un projet de loi portant sur ces questions a effec-tivement été transmis au Président de la Chambre des députés en 2020. Mais il n’a jamais été sérieusement étudié et discuté par les parlementaires qui ont bien senti que l’exécutif n’avait aucune envie d’affronter les corps de haut-fonctionnaires et leurs organisations syndicales. A la place d’une réforme, le gouvernement fédéral s’est engagé à maintenir le principe d’augmentations régulières des salaires de tous les agents. Une autre promesse faite en 2019 était d’ouvrir l’économie brésilienne à la concurrence, de réduire le protec-tionnisme dont bénéficient de nombreuses branches d’activité, d’intégrer ces branches dans les grandes filières internationalisées. Les rares tentatives de réduction des bar-rières commerciales faites par le Ministère de l’Economie ont été torpillées par le Pré-sident Bolsonaro lui-même. En précipitant l’isolement diplomatique du pays, en renon-çant à toute politique environnementale sérieuse (notamment en Amazonie), le chef de l’Etat a empêché la conclusion d’accords commerciaux ou d’association avec des par-tenaires extérieurs.

Populisme budgétaire contre credo libéral.

Avant d’évoquer le comportement de "l’équipage" formé par Bolsonaro et son Ministre de l’Economie, il faut rappeler que la période évoquée ici a été marquée par de fortes tem-pêtes : la pandémie de covid-19 d’abord, la guerre en Europe ensuite. Tous les marins le savent : lorsque la mer est agitée, pour que le navire ait des chances d’arriver à bon port, il est essentiel que le capitaine et son homme de barre s’entendent sur le cap à suivre et sur les manœuvres à réaliser. Aujourd’hui encore, après bien des tensions, le comman-dant et son timonier se prennent dans les bras l’un de l’autre en public. Les observateurs avisés ne sont pourtant pas dupes. Tout au long du mandat, Bolsonaro a été le premier adversaire politique de son ministre. Dès 2019, le chef de l’Etat a privilégié un seul objectif : affaiblir et remettre en cause les institutions démocratiques, préparer la tran-sition d’un Etat de droit vers un régime populiste et autoritaire. Il a consacré l’essentiel de ses efforts à mener une guerre permanente contre le pouvoir judiciaire, contre les gou-verneurs des Etats et un grand nombre d’élus du Congrès. Les crises institutionnelles provoquées, l’incertitude politique ainsi créée ont rendu très difficile la relation entre l’exécutif et le pouvoir législatif. La confiance des investisseurs et des marchés financiers a été érodée et affaiblie.



Un homme politique assumant la responsabilité de chef d’Etat se révèle toujours dans les situations les plus difficiles. Pour Jair Bolsonaro, le révélateur fut sans aucun doute la crise sanitaire du covid-19. Le chef de l’Etat a manifesté une totale incapacité de faire face au drame majeur que fut la pandémie. Au niveau fédéral, la politique sanitaire a été conduite par des ministres soumis à la pression d’un chef de l’exécutif négationniste et obscurantiste. Ce dernier a contredit en permanence le monde scientifique. Il a dénoncé les mesures de bon sens prises par les gouvernements locaux, multiplié les initiatives ir-responsables, manifesté une totale incapacité de répondre à la crise sanitaire en mettant en œuvre des mesures efficaces de prévention et de gestion de la pandémie. Le Brésil est à la fois un des pays les plus touchés par le covid-19 (entre mars 2020 et avril 2022, l'épidémie a fait plus de 660 000 morts) et une des économies les plus affectées. Certes, le gouvernement Bolsonaro a répondu à la catastrophe sociale provoquée par la pan-démie en mettant en œuvre un plan économique d’urgence. On soulignera plus loin que l’initiative de ce plan revient en réalité au Congrès. Cette observation ne remet pas en cause le jugement que porte aujourd’hui une majorité de Brésiliens : le capitaine n’a pas été capable d’assumer sa fonction de capitaine dans la tempête.


Jair Bolsonaro est resté Jair Bolsonaro, c’est-à-dire un homme politique de faible enver-gure qui, durant plusieurs mandats parlementaires, s’est contenté d’être le porte-parole d’intérêts corporatistes. Avant 2019, pendant trois décennies, l’ancien capitaine n’a cessé de pratiquer la vieille politique du clientélisme et du "physiologisme"[3]. Il a constamment revendiqué le maintien d’un Etat interventionniste, protecteur et générateur de rentes captées par les amis du pouvoir en place. Au cours de sa longue carrière de député, Jair Bolsonaro a toujours affiché également un autoritarisme assumé. Il a refusé régu-liè-rement les privatisations et défendu le maintien d’un secteur public important. Il n’a jamais été un partisan zélé de la rigueur budgétaire. Il n’a pas changé après avoir été in-vesti Président de la République. L’ancien capitaine de l’armée de terre est resté fidèle à ses convictions initiales. Il a continué à pratiquer la politique qu’il a toujours priviligié : un populisme clientéliste. Cela signifie qu’une fois à la tête de l’Etat fédéral, il s’est constam-ment opposé aux mesures préconisées par son ministre de l’Economie lorsque celles-ci étaient contraires à sa culture interventionniste et autoritaire et pouvaient affaiblir ses chances de réélection. En d’autres termes, toutes les mesures proposées par le timonier (réformes de l’Etat, privatisations, discipline budgétaire, etc…) ont été constamment torpil-lées par le capitaine.


Il suffit de considérer deux évènements majeurs de l’année 2021 pour percevoir à quel point Bolsonaro a continué à privilégier ses objectifs politiques, quitte à faire avaler toutes les couleuvres possibles à son ministre de l’Economie. Ce dernier a répété dès sa prise de fonction que le gouvernement fédéral n’interviendrait plus dans la conduite et la gouvernance des entreprises publiques (dont plusieurs sont des firmes à capital ouvert). En février, le chef de l’Etat n’a pas hésité à critiquer la politique de prix des carburants pratiquée par la compagnie Petrobras. Accusant le CEO de la compagnie d’être responsable des hausses répétées (hausses qui reflétaient l’évolution des marchés inter-nationaux et de la parité du dollar), le Président a démis de ses fonctions ce haut diri-geant et l’a remplacé par un militaire. Le 7 septembre, à l’occasion de la commémoration de l’indépendance, Bolsonaro a convoqué des manifestations dans tout le pays. Les rassemblements de ses partisans ont une fois de plus dénoncé le système démo-cratique, attaqué le Congrès et la Cour suprême. Une nouvelle fois, le Président a pro-voqué la défiance de tous les acteurs économiques. Il a fragilisé la reprise qui venait alors que la crise sanitaire s’éloignait, inquiété la bourse et provoqué une hausse du dollar.


Evolution du taux de change du dollar de janvier 2019 à avril 2022 (1 USD = BRL).

Source : CEPEA.


Lâché par le chef de l’Etat et même trahi par ce dernier, Paulo Guedes n’a pas seulement perdu toutes les batailles que les investisseurs, les analystes de marché ou les simples épargnants espéraient qu’il gagne. Jusqu’en 2021, prônant la rigueur budgétaire, il n’a pas hésité à croiser le fer avec d’autres ministres et des proches du Président qui souhaitaient pouvoir dépenser sans compter. Jair Bolsonaro a toujours désavoué le titulaire du porte-feuille de l’économie. Il a même fini par démembrer le "super-Ministère" créé en début de mandat. En juillet 2021, pour plaire à ses alliés du centrão [4] et leur permettre d’occuper des postes au gouvernement, Bolsonaro a recréé un ministère du travail et de la sécurité sociale. Plus récemment, Paulo Guedes a perdu une de ses prérogatives majeures : celle qui consistait à contrôler la libération effective des crédits inscrits dans la loi budgétaire. A quelques mois des élections générales d’octobre, cette prérogative a été confiée à Ciro Nogueira, le ministre-chef de la maison civile, coordinateur du gouvernement. Nogueira est une figure majeure du centrão, cette mouvance de petits partis dont la prospérité dé-pend de la prodigalité de l’Etat, des subventions qu’il distribue, des rentes qu’il offre.


Depuis la crise sanitaire du covid-19 qui a commencé au début de 2020, le Ministre de l’Economie a d’ailleurs perdu toute crédibilité en matière de gestion et de discipline bud-gétaires. A l’époque, le gouvernement et le Congrès envisagent de lancer un plan d’urgence destiné à soutenir à la fois les catégories sociales les plus défavorisées et les entreprises dont l’activité se ralentit. Paulo Guedes a encore l’oreille du Président. Il par-vient à convaincre Bolsonaro qu’il faut limiter strictement le montant de l’allocation aux pauvres (200 réais par mois) et le nombre de familles éligibles. Ce n’est pas l’avis des par-lementaires du Congrès qui anticipent déjà les conséquences de la pandémie sur l’éco-nomie de leurs circonscriptions et sur le sort des plus vulnérables. Le programme ex-ceptionnel de transfert de revenus qui est adopté prévoit une allocation mensuelle de 500 réais. Pressentant déjà le bénéfice politique qu’il peut tirer d’un tel dispositif, le Prési-dent porte finalement l’indemnité à 600 réais/mois. D’abord prévu pour une période ini-tiale de trois mois (avril à juin 2020), ce dispositif d’aide est prolongé sur deux mois (juillet et août). Finalement, il est reconduit à nouveau jusqu’en décembre 2020 sur la base de 4 versements de 300 réais par mois. Au total, ce programme aura bénéficié à plus de 65 millions de personnes et représenté une injection de ressources dans l’économie de l’ordre de 300 milliards de réais sur la première année. Grâce à cet apport de ressources, la contraction de l’activité observée sur l’année 2020 a été bien moins forte que ce qui était prévu initialement. L’aide d’urgence versée sur 9 mois en 2020 aura encore contribué à améliorer sensiblement la popularité de Bolsonaro auprès des couches les plus modestes de la population. Elle sera donc à nouveau versée en 2021 (après une inter-ruption de quelques mois).


Au début du second semestre de l’année passée, le Congrès aborde la discussion sur la Loi budgétaire de 2022. Paulo Guedes se rallie alors complètement au « quoi qu’il en coûte » préconisé par un Bolsonaro qui ne pense qu’à sa réélection. La pandémie a pro-voqué une forte hausse de la pauvreté. Pour conserver une popularité forte auprès des plus modestes, Jair Bolsonaro est décidé à accroître l’aide aux plus démunis. Au cours des débats sur la prochaine loi de finances, le chef de l’Etat impose à son Ministre de l’Economie la création d’une allocation permanente d’un montant de 400 reais par mois. Versée dès les deux derniers mois de 2021 à 14,5 millions de familles pauvres, cette in-demnité concerne depuis le début de cette année 17,5 millions de familles et devrait représenter une dépense budgétaire supplémentaire de 56 milliards de réais. Au lieu de tailler dans les budgets pour libérer des fonds, le libéral Guedes a été contraint de crever le plafond des dépenses publiques, en vigueur depuis cinq ans. Il a dû encore accepter un dispositif qui reporte le paiement des precatórios, des injonctions de paiement qui contraignent les institutions publiques (Etat et collectivités locales) à payer des dettes à l’égard de particuliers, d’entreprises et d’Etats, à la suite de décisions judiciaires défi-nitives. La caution libérale de Bolsonaro a accepté de devenir le complice de bricolages budgétaires.


Sur les derniers mois de 2021, la réaction des marchés financiers a été forte. La bourse a dévissé. Entre août et décembre, le réal a plongé par rapport au dollar. Paulo Guedes le libéral est devenu l’avaliste honteux d’une politique qui organise un régime budgétaire ouvertement populiste. Alors que l’instabilité des prix est déjà très marquée, le Brésil abandonne toute boussole en matière de gestion des comptes publics. L’avenir devient beaucoup plus incertain dans un pays qui est entré dans une phase de stagflation. Le capitaine a un objectif très clair : le programme Auxilio-Brasil doit doper sa popularité. Le timonier répète de son côté que le nouveau dispositif de transferts sociaux va soutenir la consommation et contribuer à la relance de l’activité. Parce qu’il s’est régulièrement plié aux injonctions contradictoires de Bolsonaro, ses promesses suscitent désormais le mépris ou l’indifférence. Selon les prévisions, le taux d’inflation pourrait être proche de 7% en 2022, voire supérieur à ce niveau. Il serait donc une fois de plus supérieur à la cible annoncée. En d’autres termes, le pouvoir d’achat de l’allocation auxilio Brasil va encore diminuer. Face à la persistance d’une forte inflation, la Banque centrale doit resserrer encore sa politique monétaire. Arrêté à 9,25%/an en fin 2021, le taux directeur de l’institut d’émission a été encore relevé depuis et pourrait être porté à 13,75%/an en fin 2022. Dans un contexte de forte incertitude politique et la perspective d’une élection fortement polarisée, avec la mise en œuvre d’une politique monétaire très restrictive, il est difficile d’anticiper une reprise économique significative cette année et en 2023.


Taux d'inflation trimestrielle et taux directeur de la Banque centrale.

Source : Banco Itau.


Si le capitaine avait été raisonnable……

Le travail du timonier aurait-il été plus efficace et fructueux s’il n’avait pas été réguliè-rement perturbé ou remis en cause par un capitaine obsédé par sa seule réélection, en-gagé dans une permanente remise en cause des institutions et incapable de répondre aux défis du pays ? Tous les errements de l’homme de barre ne peuvent pas être imputés au chef de l’Etat. Sans expérience politique, médiocre négociateur, prétentieux et sou-vent doctrinaire, l’ancien conseiller technique du candidat Bolsonaro a sans doute consi-dérablement sous-estimé l’importance du Congrès, des formations politiques, des lob-bys et des réactions de l’opinion publique.


Devenu super-ministre doté de compétences étendues, Paulo Guedes a cru qu’il pouvait conserver le discours de boutefeu qu’il privilégiait jadis dans ses conférences. Il a par exemple annoncé dès 2019 que les marchés domestiques de produits manufacturés (très protégés) seraient rapidement ouverts à la concurrence internationale. Ce propos provocateur était à la fois une erreur politique et l’expression d’un manque total de prag-matisme. Guedes s’est ainsi attiré les foudres des dirigeants patronaux et des syndicats de salariés de l’industrie. Ces derniers savent que leurs entreprises souffrent de lourds handicaps (faible productivité, coûts salariaux élevés, investissements insuffisants en in-novation, infrastructures logistiques défaillantes, fiscalité très contraignante). Dans une compétition directe avec les firmes industrielles asiatiques, les acteurs brésiliens du secteur manufacturier seraient nombreux à entrer rapidement en procédure de faillite. Avant d’annoncer l’ouverture des marchés, il fallait mettre en œuvre une politique d’amé-lioration de la compétitivité des branches industrielles nationales.


Après sa prise de fonction, au nom de la rigueur budgétaire, le Ministre a encore remis en cause les transferts sociaux financés par l’Etat fédéral. Ces allocations sont versées à des millions de familles (bolsa familia, par exemple) et de personnes âgées (minimum-vieillesse ou BPC) qui en dépendent pour vivre. En début de mandat, Bolsonaro lui-même a régulièrement dénoncé ces dispositifs qui inciteraient les bénéficiaires à tout attendre de l’Etat, voire à la paresse. Guedes envisageait donc de les supprimer pure-ment et simplement au prétexte d’inciter ainsi les allocataires à compter d’abord sur leur capacité de travail. Le ministre raisonnait comme s’il gérait une économie offrant d’im-menses opportunités d’emplois (y compris pour les actifs sans qualification), comme si au sein de la population d’allocataires on ne trouvait pas des personnes âgées ayant en charge des enfants, vivant dans la misère, confrontés à la sous-alimentation. Il eut fallu au contraire annoncer la substitution progressive des transferts sociaux actuels par le versement d’un revenu minimum assorti de contreparties (participation des bénéficiaires à des programmes de formation ou à des travaux d’intérêt collectif). Préférant les com-munications précipitées et provocantes au pragmatisme politique, le Ministre est apparu comme un ennemi des pauvres.


Dans un autre domaine, celui des privatisations et de la remise en cause des monopoles détenus par quelques groupes nationaux publics ou privés, Guedes a encore préféré les effets d’annonce à la mise en œuvre d’un plan cohérent. Il fallait à la fois engager des opérations de cession d’actifs et prévoir simultanément une législation capable d’ouvrir la concurrence et le renforcement des agences de régulation. Dans un secteur comme celui du raffinage du pétrole, la mise en œuvre d’une telle politique aurait conduit à la perte du monopole que détient Petrobras et contraint la compagnie (partiellement ou totalement privatisée) à réduire ses coûts et à revoir à la baisse ses prix des carburants sortie raffinerie.


Bolsonaro et son ministre en 2021 : une solidarité feinte qui ne trompe plus personne.


Doctrinaire, ignorant les réalités politiques, le super-ministre n’a pas su écouter l’équipe pourtant remarquable de conseillers qui formaient son cabinet et commandaient les directions générales de son ministère. Dès le début de 2019, ce dream-team lui recom-mandait de tirer parti au maximum de la courte période d’état de grâce qui suit l’in-vestiture du Président récemment élu. Un plan proposé par ces conseillers suggérait au ministre qu’il profite du climat politique créé par la réforme des retraites d’octobre 2019 pour soumettre avant la fin de la même année au Congrès un projet de loi sur la réforme administrative. Débattue dès la fin du gouvernement Temer (2016-2018), la réforme des retraites avait été l’occasion de sensibiliser l’opinion sur la redistribution opérée par l’Etat, les distorsions existantes entre les diverses prestations sociales, les inégalités entre régi-mes de pensions, les avantages (parfois exorbitants) dont bénéficient des castes de la haute fonction publique. A la fin de 2019, il y avait donc alors au sein de la population une réceptivité particulière pour des projets visant à réduire ces privilèges : les circonstances étaient favorables au lancement d’un débat parlementaire sur la réforme administrative. Dans la foulée, l’opinion publique aurait soutenu un autre projet visant à refondre une fiscalité complexe, cumulative et fortement régressive (nombreux impôts sur la consom-mation). C’est la raison pour laquelle les conseillers de Paulo Guedes proposaient à leur ministre qu’une fois engagés les travaux sur le fonctionnement de l’administration fédé-rale le Congrès soit saisi également d’un texte portant réforme de la fiscalité. Persuadé d’être maître du calendrier, le ministre s’est bien gardé d’écouter son entourage.


A quelques mois des élections générales, le maintien de l’économiste au sein du gouver-nement Bolsonaro apparaît comme une énigme. Le timonier n’a en effet pas cessé d’être désavoué et fragilisé par son chef. Nombre des conseillers qui entouraient Guedes au départ ont quitté le navire, soit parce qu’ils ont compris que les projets initiaux ne se con-crétiseraient pas, soit parce qu’ils ont été renvoyés sur ordre du capitaine…


Dans l’avenir, des psychologues pourront peut-être expliquer pourquoi le professeur qui entendait libéraliser l’économie brésilienne a accepté de devenir l’exécutant d’une politique populiste et électoraliste totalement contraire aux principes qu’il a toujours affichés…


A suivre : Appauvrissement.



 

[1] En moyenne, à l’échelle mondiale, la croissance aura été de 2,37% par an entre 2019 et 2022. Pour l’ensemble des pays émergents et en développement, la progression moyen-ne s’établit à 3%. [2] La compagnie Ipiranga est une entreprise de distribution de carburants. Elle gère des stations services (posto en Portugais) sur tout le réseau routier brésilien. Ces stations distribuent des carburants, assurent l’entretien des véhicules, proposent un service de restauration. Elles vendent encore des produits de première nécessité (alimentation, parapharmacie, etc…). Dans les slogans publicitaires de la compagnie, la station Ipiranga est censée apporter des réponses à tous les problèmes que peuvent rencontrer des automobilistes. [3] Voir sur ce site, les posts de février 2021 intitulés : Petite incursion dans la vieille politique : https://www.istoebresil.org/post/petite-incursion-dans-la-vieille-politique-1

[4] Voir sur ce site le post du 10 février 2021 intitulé Le clientélisme au niveau fédéral : l’importance du centrão :

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