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Le sabordage de la gauche brésilienne (2)

Une vision surannée du développement économique.

- Première partie -


La crise que connaissent aujourd’hui la gauche et le Parti des Travailleurs (PT) est liée aux difficultés que rencontrent les formations politiques concernées pour réaliser un aggior-namento, une révision en profondeur de la matrice idéologique, des dogmes, de la vision du monde à partir desquels elles ont été fondées et qui définissent leurs identités. Le point de départ de l’examen de cette matrice peut être une question simple. Quand, à quel moment de l’histoire du pays, a-t-on commencé à décrypter les débats publics, les confrontations idéologiques et politiques en utilisant les qualificatifs de droite et de gau-che ? A quelle époque, un secteur de l’opinion a-t-il régulièrement utilisé le terme de gauche pour se définir et se distinguer d’autres secteurs qualifiés de droite, de conserva-teurs, ou de réactionnaires ? Formulons ici une hypothèse. C’est probablement au cours de la période désignée sous le terme d’Estado Novo (1937-1946), sur les décennies sui-vantes et pendant la période du régime militaire (1964-1985) que les formations qui com-posent aujourd’hui la gauche brésilienne construisent leur identité idéologique et définis-sent une vision du monde qui prévaut encore largement aujourd’hui.


Ces deux grands moments de l’histoire récente ont profondément influencé la construc-tion et les projets de ces mouvements politiques. Le premier est donc l’Estado Novo, une période caractérisée à la fois par l’instauration d’un régime autoritaire et un nationalisme économique puissant. L’Etat brésilien devient l’acteur central de la stratégie d’industria-lisation. Il renforce le capitalisme de connivence traditionnel et élargit l'évantail des couches sociales qui bénéficient des rentes générées par ce modèle. En contrepartie de la tutelle qu’exerce le pouvoir sur les organisations professionnelles, le monde salarial industriel et tertiaire des villes voit s’ouvrir des perspectives d’ascension sociale. C’est à partir de l’Estado Novo qu’est mise en œuvre une politique de développement profondé-ment nationaliste, protectionniste et interventionniste. Cette politique altère fortement les mécanismes de l’économie de marché, confie à l’Etat un rôle central dans l’allocation des ressources et amplifie la logique de captation de rentes qui s’imposait déjà auparavant dans les relations entre le pouvoir et les principaux acteurs économiques. Pour une majorité de Brésiliens et la plupart des formations politiques, ce "capitalisme d'Etat" est longtemps restée indépassable. A la gauche de l’échiquier politique, c’est encore cette approche qui fonde les propositions économiques avancées.


Le second moment fondateur sera la lutte contre le régime militaire, après le coup d’Etat de 1964. Au cours des années qui suivent, le pays connaît une urbanisation rapide et accélère son développement industriel. Les classes moyennes urbaines voient leurs effectifs progresser au moment même où le régime autoritaire étouffe les libertés politi-ques. C’est alors aux organisations de gauche (clandestines au départ) que la majorité des brésiliens qui s’opposent à la dictature vont s’identifier. Le positionnement idéolo-gique de ces organisations est profondément influencé par le contexte de la guerre froide entre le camp occidental organisé par les Etats-Unis et le monde dit socialiste dominé par l’URSS. Au Brésil, sont alors désignés comme étant de droite tous les cou-rants d’opinion et les groupes qui soutiennent la dictature militaire, sont liés aux courants conservateurs de l’église catholique, acceptent le système capitaliste et l’économie de marché. Être de gauche signifie être opposé à la dictature et plutôt favorable aux expériences de socialisme réel engagées dans les pays de l’est européen et les satellites de l’Union Soviétique comme Cuba. Des années avant la chute du mur de Berlin, au Brésil d’importants secteurs de l’opinion idéalisent le système socialiste et la terre russe sur laquelle la révolution rêvée a déjà eu lieu. Les forces de gauche plus modérées savent que le bilan du socialisme réel doit être nuancé. Néanmoins, elles hésitent à pren-dre leur distance par rapport aux Etats qui sont de précieux alliés dans le combat contre un régime autoritaire mis en place avec le concours des Etats-Unis.


Ce second moment fondateur va conduire de nombreux courants de la gauche bré-silienne à identifier le libéralisme politique, la notion de démocratie représentative et les droits de l’homme à des valeurs occidentales, des composantes de la culture prônée et partagée par le camp dit "impérialiste". Le combat contre le régime militaire au Brésil est avant tout un combat contre les agents locaux d’un "impérialisme" qui serait la cause de tous les maux dont souffre le pays. Il s’agit de lutter contre la dictature et pas contre toutes les dictatures. A gauche, l’objectif des mouvements les plus radicaux n’est pas de rétablir la "démocratie formelle" que serait la "démocratie bourgeoise" et les droits de l’homme. Il est de renverser (y compris par les armes) les "valets de Washington", de rompre avec l'économie de marché puis d’instaurer un régime inspiré par les expériences de Cuba, de la Chine maoiste, de l’Algérie ou d’autres pays asiatiques. Au Brésil, avec la guerre froide, les "forces progressistes" ont accepté et intégré la vision binaire et mani-chéenne du monde propagée par le camp soviétique. Elles ont identifié le libéralisme politique comme une composante majeure du soft-power exercé par les Etats-Unis et tous les pays du monde occidental. Cette identification influence encore aujourd’hui la culture profonde des mouvements de la gauche anticapitalisme brésilienne, y compris de plusieurs des tendances réunies au sein du Parti des Travailleurs.


On reviendra dans un prochain article sur cette question majeure. Les pages qui suivent seront consacrées aux origines du modèle de développement économique étatiste qui a longtemps fait consensus au sein du monde politique brésilien et que la gauche conti-nue à croire indépassable et inaltérable en dépit des crises répétées sur lesquelles sa mise en œuvre a débouché.


Une dictature et un mur.


Retour sur l'histoire. En 1930, un mouvement militaire place au pouvoir son leader civil, un avocat qui a commencé sa carrière politique dans le Sud : Getúlio Vargas[1]. Cette figure charismatique dominera la vie publique nationale pendant près d’un quart de siècle. Dans un pays qui s’urbanise et connaît un début d’industrialisation, Vargas renforce con-sidérablement le rôle central de l’Etat comme acteur du développement économique et organisateur de l’ordre social. Comme la plupart des pays à l’époque, le Brésil fait le choix d’un développement autocentré[2]. Tout doit être produit à l’intérieur de ce marché national émergent. Vargas ne se contente pas d’imiter les pays occidentaux sur le terrain économique. En Europe, l’époque est aussi marquée par l’effondrement des démocraties et l’installation de dictatures. Issu d’une rupture institutionnelle, le régime de Vargas sera franchement autoritaire. Le modèle politique, social et économique de l’Italie musso-linienne séduit et inspire le Président brésilien qui instaure en 1937 l’Estado Novo, un sys-tème dictatorial qui ne prendra fin qu’en 1945. Il n’y a pas eu dans l’histoire du pays de régime plus répressif. La nouvelle constitution imposée par le dictateur en 1937 accroît considérablement les pouvoirs de l’exécutif central, réduit les droits civils, impose une tutelle à toute la société. Anticommuniste, le pouvoir est aussi très nationaliste, xéno-phobe et antisémite. Il va renforcer les moyens et l’action d’un service de renseignement intérieur créé avant 1930. Les opposants sont incarcérés et la torture est systématique-ment utilisée.


La révolution de 1930 place Getulio Vargas à la tête de l'Etat fédéral.


Avec Vargas, plus encore que sous les régimes précédents, l’essor économique du pays devient une affaire d’Etat. Les élites intellectuelles et universitaires brésiliennes élaborent dès les années trente les bases théoriques de ce qui deviendra après la Seconde Guerre Mondiale le credo de nombreux penseurs du développement économique en Amérique latine[3]. Un corpus d’idées justifiant un dirigisme étatique poussé et le protectionnisme commercial le plus radical prend forme. Désigné sous le terme de nacional desenvol-vimentismo[4], il sera la doctrine de Getúlio Vargas et de plusieurs de ses successeurs. Selon les concepteurs de cette idéologie, l’industrialisation poussée, rapide et systé-matique du pays est la première priorité. Il faut défendre, protéger et étendre un marché intérieur qui a commencé à se développer. Dans le contexte international qui suit la grande crise de 1929, le repli sur l’espace national et le volontarisme industriel paraissent être les seules voies possibles pour sortir le Brésil de la pauvreté et du sous-dévelop-pement. Ces ambitions ne peuvent pas être abandonnées au seul jeu spontané des for-ces du marché. Pour être efficace, rationnelle et planifiée, l’industrialisation doit être pensée, financée et organisée par l’Etat. C’est à l’Etat qu’il revient de fixer les objectifs de croissance, de capter et de distribuer les ressources financières exigées par les investis-sements à mettre en œuvre, de définir les secteurs prioritaires.


La puissance publique doit aussi créer un véritable mur entre les économies étrangères et l’industrie nationale naissante[5]. Vargas jette les bases d’une stratégie d’industria-lisation par substitution d’importations. L’Etat fédéral n’est pas seulement le pilote et le planificateur des investissements industriels. Le domaine de son intervention économi-que s’étend. Des organismes d’Etat et un ensemble de lois vont limiter le libre jeu des forces du marché en matière d’allocation des ressources. L’Administration fédérale in-fluence la formation des prix en imposant des restrictions quantitatives à l’importation, à fixant les tarifs de produits stratégiques (énergie, carburants, transports). Elle gère direc-tement et efficacement les opérations sur devises. Un système complexe de changes est organisé pour favoriser les exportations, faciliter les importations de biens d’équipement et dissuader les entrées de produits manufacturés qui pourraient concurrencer l’industrie brésilienne. La main invisible d’Adam Smith est remplacée dans une large mesure par la main très visible du gouvernement.


La mise en œuvre de ce régime économique interventionniste et très protecteur ne dé-bouche pas sur une étatisation complète et radicale de toute activité productive et com-merciale. Elle ouvre au contraire un large champ d’opportunités à tous les acteurs privés nationaux qui détiennent un capital et peuvent investir et seront soutenus financièrement et protégés par l’Etat. Ce dernier réserve le marché domestique aux producteurs locaux. Isolés par rapport à la concurrence extérieure, ces derniers vont pouvoir dégager des profits élevés, accumuler des patrimoines conséquents et devenir les partenaires écono-miques majeurs d’un Etat disposé à développer un capitalisme de connivence ou de "copinage". Ce système hybride ouvre de nouvelles opportunités aux chasseurs de ren-tes. La liste des bénéficiaires va désormais s’élargir. Outre les détenteurs de capitaux, propriétaires fonciers et industriels, elle va inclure le salariat urbain organisé.


L’Etat distributeur de rentes.


Le gouvernement concède aux entreprises et aux filières privilégiées des financements à taux subventionnés, des tarifs d’importation différenciés, des exemptions fiscales. Ces avantages sont évidemment distribués en prenant en compte le poids politique et éco-nomique des demandeurs et bénéficiaires. Vargas renforce puis étend le champ d’acti-vité des nombreuses institutions financières publiques créées pour mobiliser l’épar-gne[6]. Les commandes de l’Etat ouvrent des marchés considérables aux industriels bré-siliens et commerçants locaux. Le gouvernement de Getúlio Vargas est un capitaine d’in-dustries lourdes qui créé d’imposants groupes publics chargés de lancer et de moder-niser la production de secteurs comme l’énergie, le transport ou la sidérurgie. Il gère la distribution des biens et services fournis en négociant avec les agents privés des tarifs subventionnés. Il contribue de façon décisive à l’essor d’un salariat industriel qui vient étoffer les rangs déjà très importants des fonctionnaires et des travailleurs des diverses branches. La multiplication d’organismes publics assumant diverses fonctions (crédit, soutien à l’investissement, encadrement de l’activité économique, plans de développe-ment, etc..), l’expansion des administrations fédérales et locales, la construction et l’élar-gissement d’un secteur public étatisé conséquent, le protectionnisme commercial et les subventions distribuées par l’Etat vont aboutir à la création d’un important secteur d’acti-vités protégées. Ce secteur va générer un grand nombre de postes de travail pour des salariés bénéficiant de statuts et de la quasi-garantie de la stabilité de l’emploi. Ces travailleurs privilégiés formeront la base des corporations que le régime va organiser.


Les corporations organisées défilent derrière le portrait de G. Vargas (années 1940).


Au cœur de ce capitalisme particulier, les représentants d’entreprises privées, de syn-dicats professionnels ou de groupes de pression divers sont contraints de s’affilier aux organisations représentatives imposées par le pouvoir. Grâce à ces corporations, l’élite économique, les grands agriculteurs mais aussi les salariés bénéficiant d’emplois proté-gés disposent d’un canal d’accès permanent auprès des pouvoirs publics. Soumises à la tutelle de l’Etat, ces corporations ont une mission : transmettre du sommet à la base de la pyramide les directives, les lois et les orientations que promeut le régime. Ce travail de mise au pas, de coordination et de structuration du monde professionnel et entrepre-neurial prodigue d’appréciables contreparties. Chaque instance représentative d’une cor-poration patronale négocie et obtient de l’Etat les exemptions fiscales, les protections commerciales ou les garanties d’accès aux marchés publics que revendiquent ses adhé-rents. Les lobbys syndicaux formés au sein du salariat protégé ont pour mission de ga-rantir à leurs affiliés des avantages appréciables en termes de rémunérations, de retrai-tes, de prestations sociales diverses, d’organisation du travail.


Le gouvernement de Getúlio Vargas n’est pas seulement le grand ordonnateur du décol-lage industriel. Il s’attribue aussi un rôle central de médiateur des relations sociales et des conflits entre travailleurs et employeurs. La constitution de 1937 autorise des organi-sations syndicales dont la fonction explicite est d’assurer la paix sociale et de constituer des relais du pouvoir politique auprès du monde du travail et des entreprises. Le texte institue également un impôt syndical obligatoire collecté par l’Etat et payé par tous les salariés bénéficiant d’un contrat de travail (qu’ils soient ou non effectivement membres d’un syndicat) et par tous les entreprises et travailleurs indépendants, puis reversé aux organisations syndicales et professionnelles autorisées. En 1943, les diverses dispositions et textes qui définissent et encadrent les relations sociales, protègent les salariés et défi-nissent les missions des organisations représentatives sont réunis dans une loi unique dite de Consolidation de la Législation du Travail (CLT), un document inspiré de la Carta del Lavoro de Mussolini[7]. La CLT n’a pas seulement pour finalité d’équilibrer les rapports entre les employeurs et les travailleurs. Il s’agit aussi d’intégrer toute une partie de la po-pulation urbaine en expansion, d’assurer une redistribution des revenus nécessaire à l’essor du marché intérieur. A sa manière très autoritaire et dans le cadre d’un espace na-tional isolé, Getúlio Vargas a fait émerger au Brésil un capitalisme fordiste[8].


Le régime politique créé par Getulio combine donc un repli xénophobe de la société et le nationalisme économique, l’essor de l’industrie nationale et l’instauration d’un pacte entre le capital national et une partie du monde salarial organisé. Entre ces deux compo-santes majeures de la vie nationale, les tensions et les conflits ne peuvent pas exister. L’Etat autoritaire se charge de contrôler les revendications du salariat en éliminant les oppositions politiques, en gérant les organisations syndicales officielles et en imposant son droit du travail. En contrepartie, les travailleurs de l’industrie et des secteurs protégés bénéficient d’un statut, d’un document formalisant le contrat de travail, de droits afférents (salaire minimum garanti, horaires, congés payés, treizième mois, etc). Entre les travail-leurs relativement privilégiés et le patronat, la puissance publique établit les normes d’un compromis fondé sur un partage des rentes générées par un capitalisme hybride. Ce compromis doit unir toutes les corporations organisées du pays face aux menaces exté-rieures, qu’il s’agisse de la concurrence internationale, de flux migratoires ou d’influences idéologiques étrangères. Il ne concerne pas évidemment les millions de travailleurs de l’économie informelle, les masses d’indigents et de paysans pauvres.



La carte de travail instaurée par le régime Vargas.


Réussites et déclin d’un modèle.


De la période précédant la Seconde Guerre Mondiale aux années cinquante, ce modèle d’organisation sociale et économique va continuer à prévaloir. Dans l’environnement international très cloisonné qui s’est constitué après la grande dépression et qui sera longtemps maintenu après 1945, le Brésil persiste et maintient une stratégie qui réussit. Le modèle de substitution d’importations, ce capitalisme de connivence protégé par un Etat régulateur et interventionniste ont produit des résultats impressionnants. Entre 1947 et le début des années soixante, le Brésil est une des économies les plus dynamiques de la planète. Mesuré en dollars constants, le revenu moyen par habitant est multiplié par deux sur la période. Au-delà des indicateurs économiques généraux, ce sont les conditions de vie d’un grand nombre de brésiliens qui ont connu depuis les années qua-rante une sensible amélioration. Tous les indicateurs d’accès à des services publics de base ont évolué favorablement. Encore très forte (elle concernera 50% de la population en 1960), la pauvreté a reculé. Mieux alimentée, mieux soignée, une part importante de la population voit son espérance de vie augmenter. Cette phase est aussi marquée par un essor (trop limité) de l’éducation de masse.


Pendant les premiers gouvernements du Président Getúlio Vargas, le pays a fait un saut considérable dans l’âge industriel, il est sorti d’une longue époque de domination des grands propriétaires terriens. Il a connu la mise en place d’un début de protection sociale. Une classe moyenne urbaine encore très modeste a émergé. Il existe donc un consen-sus après le tournant de la Seconde Guerre Mondiale pour renforcer une stratégie économique et un mode d’organisation sociale qui commencent à faire leurs preuves. L’industrialisation est toujours la priorité. Au cours des années cinquante et soixante, à la substitution des biens de consommation non durables s’ajoute le remplacement des im-portations de biens de consommation durables comme l’automobile. Entre 1951 et 1954, lors du second gouvernement Vargas, la stratégie de développement va mettre l’accent sur la croissance du secteur des infrastructures (principalement dans le domaine des ports, du transport intérieur et de l’énergie), appuyée sur le recours aux capitaux étran-gers. Le gouvernement fédéral crée alors le Conseil de la Politique Scientifique et Tech-nologique. Il installe une Banque Nationale de Développement Economique[9]. Il crée Petrobras, la compagnie nationale d’exploitation des ressources pétrolières. Il renforce le rôle et les moyens de toutes les banques publiques déjà en activité.


La stratégie de substitution d’importation dirigée par un Etat interventionniste et pro-tecteur qui est maintenue après la disparition de Vargas permettra encore pendant quelques années de maintenir une croissance exceptionnelle. Le rythme moyen d’ex-pansion sera de près de 8% par an entre 1955 et 1962. Avec l’arrivée au pouvoir du Prési-dent Juscelino Kubitschek (1956), le Brésil inaugure une nouvelle période faste. Le chef de l’exécutif lance le Plano de Metas (plan d’objectifs), ensemble le plus ample et très ordonné d’investissements planifiés par l’Etat. Ces objectifs sont la construction de la nouvelle capitale Brasilia, le développement du réseau routier intérieur afin d’assurer l’intégration du pays et de le relier aux nations voisines, l’essor de l’industrie automobile, la mise en exploitation de gisements pétroliers et l’essor de l’extraction du minerai de fer. Ils sont quasiment tous atteints à la fin du mandat en 1961. Le Brésil commence à entrer dans le monde consumériste. Il s’urbanise à un rythme accéléré.


Dans les mégapoles qui émergent au Sud-est du pays, cette période sera évoquée plus tard comme un "âge d’or". L’évaluation est paradoxale. C’est en effet sur la fin des années cinquante et au début de la décennie suivante qu’apparaissent les grandes faiblesses du nacional desenvolvimentismo et de la stratégie de substitution d’importations. Le pays connait alors une crise économique, une inflation à deux chiffres. Le Brésil doit négocier un moratoire sur le paiement de sa dette extérieure. La croissance plonge entre 1962 et 1964. A partir des années soixante-dix, plusieurs fois, l’Etat brésilien tentera de dévelo-pper les capacités industrielles du pays, d’orienter et de promouvoir l’investis-sement productif et de protéger son économie en utilisant les recettes et le modèle qui ont émergé avec l’Estado-Novo. Comme on le montrera dans un prochain article, à chaque fois, l’expérience du nacional desenvolvimentismo se terminera par une crise économique majeure.

A suivre : Seconde partie.

 

[1] Originaire de l’Etat du Rio Grande do Sul, Getúlio Vargas sera d’abord président du Brésil pendant une première période de quinze ans, de 1930 à 1945. Cette première pha-se peut être divisée en trois séquences distinctes. De 1930 à 1934, Vargas est le chef d’un gouvernement provisoire. En 1934, il est élu Président par une Assemblée Nationale Constituante. En 1937, Vargas anime un coup d’Etat qui instaure un régime autoritaire désigné sous le terme d’Estado Novo (Etat Nouveau). L’Estado Novo durera jusqu’en 1945. Vargas est alors écarté du pouvoir et remplacé par un Président civil élu. Il revient cepen-dant dans la vie politique en 1950. Après avoir gagné une élection directe, il devient à nouveau Président de la République, mandat qu’il assume de 1951 à 1954. Accusé de corruption, Vargas se suicide en août de cette dernière année. [2] Après la crise de 1929, la plupart des Etats occidentaux choisissent le protectionnisme. La grande dépression va entraîner un retour puissant du nationalisme économique. Les gouvernements occidentaux donnent la priorité au soutien de la pro-duction domestique. Ils ferment l’accès à leurs marchés intérieurs. Le commerce inter-national s’étiole. [3] Ce sera en particulier la référence des experts de la Commission des Nations Unies pour l’Amérique Latine (CEPAL) qui est chargée d’appuyer le développement du continent après 1945. [4] La traduction littérale de l’expression en Français lui enlève son sens profond. Il s’agit de promouvoir la croissance en isolant le pays de la concurrence mondiale, en conférant à l’Etat un rôle central d’investisseur, de producteur et de régulateur. Le nacional desen-volvimentismo est une sorte de colbertisme poussé mis en œuvre au sein d’un espace économique fermé. [5] Cela ne signifie pas qu’il faille tourner totalement le dos aux investissements exté-rieurs. Les firmes étrangères pourront s’implanter dans le pays dès lors qu’elles créent des emplois, contribuent à diversifier les productions manufacturières et apportent des technologies qui ne sont pas encore disponibles au Brésil. [6] A la Banque du Brésil et à la Caisse Economique Fédérale actives depuis le 19e siècle, le gouvernement fédéral ajoute en 1942 la Banque de l’Amazonie puis (en 1952) la Banque du Nord-Est. Ces institutions sont chargées de soutenir l’effort d’investissements des entreprises privées. Elles concèdent à ces dernières des conditions de financement particulièrement avantageuses. [7] La Constitution adoptée en 1988 après le retour à la démocratie a maintenu pour l’essentiel les règles d’encadrement du syndicalisme salarié et du monde de l’entreprise datant des années trente et quarante. [8] Le fordisme désigne le type de capitalisme pratiqué dans les pays occidentaux pendant la période dites des Trente Glorieuses (1945-1975) et basé sur une répartition entre profits et salaires garantissant le développement d’une consommation de masse et donc un débouché pour la production nationale. [9] Cette Banque Nationale sera plus tard appelée Banque Nationale de Développement Economique et Social (BNDES). Sa mission est de favoriser l’investissement du secteur public et du secteur privé par l’octroi de prêts à long terme assortis de taux d’intérêt plus faibles que les taux du marché.

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