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Une grande récession (3).


Contagions extérieures.

La transmission à l’économie brésilienne de la récession globale annoncée en raison de la pandémie s’opère par deux canaux : les échanges de biens et de services et les mar-chés financiers. Le degré d’ouverture aux échanges de l’économie brésilienne est relativement faible[1]. On pourrait donc en déduire que le choc extérieur induit par l’évo-lution des exportations et des importations sera relativement faible. En réalité, l’impact direct et indirect n’est pas négligeable. Par ailleurs, comme de nombreux pays émer-gents, le Brésil est très sensible à l’évolution des marchés financiers internationaux. La brutal retournement de conjoncture au niveau mondial depuis février ainsi que l’aggravation de la crise politique brésilienne ont profondément altéré l’évaluation du risque Brésil par les investisseurs et les conditions faites aux emprunteurs brésiliens.

Le canal des échanges commerciaux.

Le Brésil est avant tout un exportateur de matières premières qui représentent plus de 50% des ventes à l’extérieur. Soja en grains, pétrole et produits dérivés, minerai de fer sont aujourd’hui les trois produits majeurs en termes de recettes d’exportation. Les filières d’exportation du soja, des produits pétroliers et des minerais constituent à la fois des débouchés majeurs pour plusieurs secteurs industriels domestiques et des sources de revenus essentiels pour les finances publiques.

Considérons ici l’exemple du pétrole. Le Brésil est devenu sur les dix dernières années un producteur de pétrole significatif (8é rang mondial). En 2019, il a produit environ 1,297 million de barils/jour. Près de 40% de cette production est exportée sous forme de pétrole brut ou de produits dérivés. La Chine est de loin le premier débouché à l’étran-ger. En 2019, les exportations de brut et de produits dérivés vers ce pays ont représenté 64% des revenus en devises de la filière nationale. Le fléchissement des cours mondiaux et le tassement de la demande mondiale ont trois conséquences majeures au Brésil. La première est une contraction probable des livraisons et des recettes d’exportation. L’érosion des cours va conduire les exploitants intervenant dans le pays à réviser à la baisse leurs programmes d’investissement. Petrobras, la compagnie nationale de pétrole et de gaz, est le premier investisseur au Brésil tous secteurs confondus. La diminution des investissements de la firme a des conséquences en cascade sur de nombreuses filières industrielles locales qui fournissent le secteur pétrolier en biens d’équipements et consommations intermédiaires.

A court terme, la chute des cours du pétrole se traduit par un affaiblissement des recet-tes en royalties et taxes dégagées par l’Etat central, les Etats fédérés et les communes. Selon les analystes, la perte sur l’année 2020 pourrait atteindre de 35 à 40% par rapport aux recettes dégagées en 2019. Compte tenu de l’importance de ces recettes pour plusieurs Etats et de nombreuses municipalités, ces collectivités vont être confrontées à une diminution de leurs ressources sur une année (au moins) pendant lesquelles elles doivent faire face à une croissance spectaculaire des besoins en matière de suivi et de traitement de la pandémie.


Le ralentissement mondial et celui de l’économie chinoise vont aussi affecter les expor-tations brésiliennes de soja et de minerai de fer. En 2019, les ventes de soja en grains à la Chine ont représenté 79% des livraisons du produit sur le marché mondial. En minerai de fer, la République populaire a représenté l’année passée 59% des exportations. Ajoutons encore qu’en ce qui concerne les exportations, la stagnation probable des cours de ces produits et la baisse attendue des prix d’autres matières premières exportées (outre le pétrole, le maïs, le sucre et le coton) vont induire sur l’année 2020 une dégradation des termes de l’échange.


Pour l’année 2020, les prévisionnistes anticipent une contraction en volume et en valeur des exportations brésiliennes dans leur ensemble. Ils prévoient aussi un changement important dans la composition de ces exportations, avec une part plus importante prise par les produits agricoles et alimentaires. Alors que les livraisons sur les marchés interna-tionaux de minerais, produits métalliques et combustibles devraient enregistrer un tas-sement marqué, les exportations de soja, viandes, céréales et sucre pourraient aug-menter en raison d’un accroissement de la demande en provenance de pays confrontés à des difficultés d’approvisionnement alimentaire sur le plan intérieur.




La transmission du retournement de la conjoncture mondiale par les échanges de biens et de services ne se limite pas aux exportations. Elle intervient également par le biais des importations. Au Brésil, les acquisitions de produits étrangers portent sur des intrants, des biens intermédiaires et des équipements qui constituent des fournitures essentielles pour plusieurs industries nationales. Le premier fournisseur est ici la Chine qui livre au Brésil des équipements pour l’exploitation pétrolière, des semi-conducteurs, des compo-sants électroniques ou des pièces pour l’industrie automobile (voir encadré). Les diffi-cultés d’approvisionnement découlant du ralentissement et de la suspension temporaire des productions en République populaire, le renchérissement des importations (lié à l’affaiblissement de la monnaie nationale) ont déjà affecté et vont continuer à affecter plusieurs branches manufacturières nationales qui connaissaient un rythme d’activité très ralenti depuis la récession des années 2015-2016.


Tous les prévisionnistes anticipent une baisse sensible de l’excédent commercial en 2020, avec une chute des recettes d’exportations plus forte que celle des dépenses liées aux importations. La dégradation anticipée du solde de la balance des échanges de services et de revenus devrait aussi contribuer à une détérioration marquée du déficit courant (de 3% du PIB en 2019, il pourrait passer à 5% du PIB ou plus en 2020). Les analystes anticipent par ailleurs une contraction des entrées nettes d’investissements directs.


Evolution des comptes extérieurs et prévisions pour 2020*

Source : Macrosector.


Marchés financiers.


La pandémie a conduit à une forte hausse de l’aversion au risque. Cette évolution a été renforcée en ce qui concerne le Brésil par l’aggravation de la crise politique. En consé-quence, on assiste à des fuites importantes de capitaux (retrait de la bourse d’environ 14 milliards d’USD entre janvier et mars). Cette aversion génère aussi des chocs importants sur le prix des actifs. De janvier au début de mai, l’appréciation du dollar par rapport au real a dépassé 35%. Le billet vert a atteint un sommet historique à plus de 5,8 réais. Tous les prévisionnistes ont revisé leurs prévisions sur l’évolution du taux de change de la monnaie brésilienne pour les prochains mois.


Evolution du taux de change USD/Réal de l'élection de J. Bolsonaro à mai 2020.

Source : CEPEA/USP.


La bourse a accusé depuis le début de l’année de lourdes pertes. Les conditions finan-cières se sont fortement détériorées sur les marchés secondaires de la dette souveraine et de celle des entreprises. L’indice de risque-pays EMBI[2] a fortement progressé à partir d’avril avec la progression de l’épidémie dans le pays et le report sine-die des projets de réformes économiques qu’avançait encore le gouvernement jusqu’en février[3]. Cette progression de l’indice signifie que les acteurs publics et privés brésiliens doivent et devront assumer des charges d’intérêt plus lourdes s’ils envisagent de contracter des emprunts sur les marchés extérieurs.


Evolution de l'indice EMBI depuis l'investiture de Jair Bolsonaro en janvier 2019.


Source : IPEA.



A suivre : Crise sanitaire et demande intérieure.

 

[1] La somme des exportations et des importations de biens et de services représentait l’équivalent de 29% du PIB en 2018 (contre 30,8% en Argentine, 36,8% en Colombie, 57,6% au Chili et 80,3% au Mexique). [2] L’indice EMBI+ (Emerging Markets Bond Index) rend compte des rendements des titres négociables de dette extérieure des pays émergents (autrement dit des obligations libel-lées en devises étrangères). Le spread (écart, en anglais) désigne l’écart entre le taux d’une obligation émise par une entreprise ou un Etat d’un pays émergent et celui d’un emprunt d’Etat américain (réputé sans risque) de même nature. L’augmentation du spread traduit donc une augmentation du risque perçu. [3] Malgré le resserrement des conditions financières les risques de refinancement sur les engagements en devises demeurent faibles. Les sommes des intérêts et des remboursements de dettes anciennes libellées en USD à risque (dette obligataire + cré6dits bancaires syndiqués) en 2020 sont modérées. En outre, les positions ouvertes en change des entreprises sont faibles. Enfin, les entreprises endettées en devises sont pour la plupart exportatrices et détiennent des avoirs liquides off-shore. Ajoutons que les réserves de change sont abondantes (env. USD 345 mds fin mars 2020). De plus la Banque centrale a rétabli en mars une ligne de swap de devises de USD 60 mds avec la Fed.

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