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Bolsonaro 2 en soins intensifs (2).


Jusqu'en 2022 ?


La stratégie défensive que vient d’engager le chef de l’Etat vise à protéger l’ensemble du clan familial confronté depuis plusieurs mois à des informations judiciaires. Celles-ci concernent le patriarche et ses fils. Avant de quitter le ministère de la Justice le 24 avril et après avoir annoncé sa démission, Sergio Moro avait souligné que le changement à la tête de la Police Fédérale sans cause réelle que souhaitait le Président était une ingé-rence politique. "Le président m'a dit qu'il voulait nommer une personne avec qui il aurait un contact personnel, qu'il pourrait appeler pour obtenir des informations sur les en-quêtes", avait-il ajouté lors de sa conférence de presse. L’ancien juge a complété son argumentation en soulignant que Bolsonaro avait plusieurs fois essayé d’interférer dans les enquêtes de la Police Fédérale, soit pour se protéger lui-même, soit pour aider des hommes politiques qui le soutenaient ou avaient promis de la soutenir. Quelques heures plus tard, le président ripostait en affirmant que ces accusations étaient "infondées" et ajoutait que son ex-ministre ne se préoccupait "que de son ego" et de ses ambitions per-sonnelles, c’est-à-dire une nomination pour occuper un siège au Tribunal Suprême Fédéral (STF). Au moment même où le Président s’adressait ainsi à la nation, le Procureur Général de la République demandait au STF l’ouverture d’une information sur un éven-tuels crime de forfaiture commis par le chef de l’Etat, et d’autres infractions parmi lesquelles la prévarication (grave manquement d'un homme d'État aux devoirs de sa charge) l'obstruction à la justice, la falsification de documents. La démarche concernait également l’épuration de possibles dénonciations calomnieuses dont serait responsable l’ancien Juge Moro.



Le 24 avril en soirée, Jair Bolsonaro s'adresse à la nation entouré de ses ministres et tente de répondre aux déclarations de son ex-ministre de la Justice.


Conformément aux règles de fonctionnement du Tribunal, un rapporteur était alors choisi par tirage au sort. La responsabilité de conduire l’enquête est revenu au Juge Celso de Mello qui a donné 60 jours à la police fédérale pour interroger l’ancien ministre de la Justice. Une telle enquête pourrait ouvrir la voie soit à une procédure de destitution contre Jair Bolsonaro (sur la base d'accusations d'ingérence dans des affaires judiciaires portées par son ancien ministre de la Justice), soit à des poursuites à l’encontre de Sergio Moro pour faux témoignage[1]. Si le parquet devait trouver des éléments accusant le Président, ce serait alors à la Chambre des députés d'autoriser, ou non, le Tribunal Suprême Fédéral à ouvrir une enquête formelle. Dans le cas où ces soupçons seraient confirmés par l'enquête, le Congrès devrait se prononcer sur l'ouverture d'une procédure de destitution.



Des affaires familiales.


Les circonstances semblent pencher en faveur de l’argumentation avancée par l’ancien juge Moro. C’est en effet la Police Fédérale qui conduit en effet plusieurs enquêtes con-cernant directement les fils du chef de l’Etat. Le remplacement du directeur de la police fédérale est perçu comme une tentative de Bolsonaro pour contrôler les procédures qui touchent à sa famille et à des alliés politiques.


Au STF, deux autres affaires en cours concernent la famille Bolsonaro. Dans les deux cas, le magistrat rapporteur désigné par la Cour est le Juge Alexandre de Moraes. Dans les deux cas, c’est la même équipe d’enquêteurs de la Police Fédérale qui a été chargée par le haut-magistrat de conduire les investigations. La première information a été ouverte en mars 2019. Elle vise à identifier et à inculper les auteurs d’une campagne de rumeurs et de fausses informations diffusées sur les réseaux sociaux. Cette campagne dite des "fake-news" cherchait à détruire la réputation de magistrats de la Cour Suprême ayant contrarié des projets chers au chef de de l'Etat, par exemple sur la législation sur la dé-tention et le port d'armes à feu. En avril 2020, la presse et d’anciens alliés politiques de Jair Bolsonaro (dont la députée Joice Hasselmann, ancien président du groupe parle-mentaire pro-Bolsonaro au Congrès) affirmaient que la Police Fédérale avait découvert qui étaient les responsables de la propagation de ces fake-news, les membres de ces milices digitales. La députée précisait que plusieurs de ces miliciens des réseaux sociaux avaient financé l’organisation de manifestations anti-démocratie et favorables à un coup d’Etat militaire. Quelques jours plus tard, la Police Fédérale annonçait qu’elle avait réuni des éléments indiquant que Carlos Bolsonaro était bien le coordinateur de ces milices digitales[2].



Le siège du STF à Brasilia.


La seconde information a été ouverte par le STF à la demande du Procureur Général de la République le 21 avril. Elle concerne l’organisation et le financement de manifestations de rues favorables à l’instauration d’un régime militaire et contre le confinement. Le dimanche 19 avril, Jair Bolsonaro lui-même avait participé à l’une de ces manifestations, convoquée devant le QG de l’armée de terre à Brasilia[3]. Dans tous ces mouvements, les protestataires ont demandé la fermeture du Congrès et du Tribunal Suprême Fédéral. Le rapporteur Alexandre de Moraes a autorisé la Police Fédérale à enquêter sur les res-ponsables de ces manifestations, y compris en vérifiant si des députés fédéraux pou-vaient être impliqués. Dès le lendemain de la démission de Moro, le magistrat rapporteur a ordonné à la Police Fédérale que les quatre délégués qui suivent deux enquêtes dont il le rapporteur soient maintenus à leur poste.


Les déboires de la dynastie Bolsonaro avec la Justice ne se limitent pas aux dossiers traités par le STF à Brasília. Récemment, la presse a indiqué que le parquet de Rio de Janeiro aurait réuni des preuves pour mettre en examen le sénateur Flavio Bolsonaro. Ce dernier est soupçonné d’avoir financé la construction par des milices, sur des terrains il-légalement occupés, d’immeubles de logement. Il aurait mobilisé à cette fin des fonds que l’Assemblée législative de l’Etat mettait à sa disposition pour rémunérer les agents employés au sein de son cabinet. Entre 2003 et 2019, pendant plusieurs mandats, le député aurait recruté un grand nombre d’agents pour occuper des emplois fictifs. Un de ses adjoints, Fabrice Queiroz, aurait retenu systématiquement 40% des rémunérations versées à ces "collaborateurs". Ces fonds auraient été régulièrement transmis à un des chefs des milices qui opèrent à Rio de Janeiro. Ces organisations criminelles se char-geaient de construire les immeubles. Les bénéfices dégagés sur la vente des logements auraient été partagés avec Flavio Bolsonaro. En avril 2020, un magistrat du Tribunal Su-périeur de Justice a rejeté la demande d’habeas corpus du sénateur et fils du Président en soutenant qu’il existait d’importants indices permettant d’imputer la responsabilité de ce crime au fils de la famille.


L’avancée des investigations de la Police Fédérale dans cette affaire aurait déjà conduit le chef de l’Etat il y a plusieurs mois à exercer des pressions sur son ex-ministre de la Justice afin d’obtenir le départ du directeur de la police fédérale de Rio de Janeiro.


Gouvernement Bolsonaro 2 : les prochains mois.


L’information judiciaire ouverte par la Cour suprême (STF) après la démission specta-culaire du Ministre de la Justice Sergio Moro peut établir les preuves d’une violation de la loi par le Président et conduire à une accusation de forfaiture[4]. Une fois conclue la phase judiciaire (le travail d’investigation pourrait durer plusieurs mois), le magistrat-rapporteur du STF devra transmettre un rapport circonstancié au Président de la Cham-bre des députés à qui il reviendra de prendre la décision d’ouvrir ou non une procédure visant à la destitution du Président. Ajoutons ici que le Président de la Chambre avait déjà reçu à la fin avril une trentaine de demandes formelles d’ouverture de la procédure émanant de parlementaires, de représentants de la société civile et de l’Ordre des Avocats (OAB). Les motifs invoqués sont très divers. Ils portent sur la conduite du Prési-dent avant et pendant la crise sanitaire. Ils reprennent aussi les arguments de Sergio Moro. En principe, la durée du gouvernement Bolsonaro 2 dépend donc désormais du Congrès.



Les accusations proférées par l’ancien juge

Sergio Moro montrent que Jair Bolsonaro

n’économise pas ses efforts pour

affaiblir l’Etat de droit


La procédure de destitution (ou impeachment) est une procédure politique autant que juridique. Dans leur travail de juges, les membres du Congrès prennent en compte à la fois la pertinence des motifs et les conséquences politiques d’une éventuelle destitution. Rarement évoquée avant la crise qui a conduit au départ de Sergio Moro, l’hypothèse de l’impeachment est devenue plus évidente dans les derniers jours d’avril. Elle a gagné de nouveaux soutiens au sein des formations de droite, notamment des courants radicaux qui voient dans l’impeachment un moyen simple de placer un militaire à la tête de l’Etat sans passer par une rupture institutionnelle. Réticents, la gauche et le Parti des Travail-leurs ont fini par affirmer qu’ils appuieraient le lancement de la procédure. La formation de Lula craignait de voir une demande rejetée par le Congrès au terme du procès. Elle s’inquiétait aussi des tensions politiques que ce scénario suscite inévitablement, tensions qui pourraient être le prétexte utilisé par Bolsonaro pour promouvoir un coup d’Etat avec l’appui des militaires. Ces hésitations semblent désormais abandonnées. Les accusations proférées par l’ancien juge Sergio Moro montrent que, comme tous les leaders auto-ritaires, Jair Bolsonaro n’économise pas ses efforts pour affaiblir l’Etat de droit, empêcher les institutions de fonctionner normalement, violer les règles de base du régime démo-cratique.


Ces considérations signifient-elles qu’un procès pour impeachment aura bien lieu dans les prochains mois, à l’issue des investigations conduites par le STF ? Cela est peu pro-bable. Le Congrès ne prendra pas seul l’initiative de s’engager sur un tel chemin. Sans une mobilisation populaire expressive exigeant l’ouverture d’une telle procédure, les par-lementaires savent qu’ils seront facilement accusés par les militants bolsonaristes et les sympathisants du Président de renverser un chef de l’Etat élu par une large majorité de citoyens, légitimé par la volonté populaire. Contrairement à ce que prétendent trop sou-vent ses adversaires, Bolsonaro n’est pas seul. Les études d’opinion réalisées plusieurs semaines après le début de la crise sanitaire montrent qu’il conserve (encore) le soutien d’un bon tiers de la population. En outre, les Brésiliens favorables au lancement d’une procédure d’impeachment ne sont pas majoritaires. Le groupe important de citoyens qui rejettent l’hypothèse d’une destitution est composé à la fois de sympathisants du Chef de l’Etat et de personnes qui ne souhaitent pas vivre une nouvelle période d’extrêmes tensions sociales et politiques comparable en intensité à ce que le pays a vécu pendant et après l’impeachment de l’ex-Présidente Dilma Rousseff (2016).



Un tiers des Brésiliens appuient encore Bolsonaro.

Jugement des Brésiliens sur le gouvernement Bolsonaro (Datafolha).


En un mot, l’ancien capitaine n'est pas encore massacré dans les sondages. Il faudrait que sa côte de popularité s’effondre dans l’avenir pour qu’une majorité claire de parlementaires favorable à la destitution se dessine. Il faudrait encore que la rue réclame le départ du Président pour que cette majorité se renforce et impose le lancement de la procédure au Congrès. Sans une mobilisation forte des citoyens, les élus parviendront peut-être à mettre sur pied la commission qui examine au sein du Congrès le bien-fondé des demandes d’impeach-ment. Cette commission s’efforcera de sauver un temps les apparences, les travaux s’étioleront, le dossier sera finalement classé. Les élus du centrão mettront tout leur talent au service de l’opération si, entre-temps, ils sont parvenus à conclure un pacte d’assistance durable avec Jair Bolsonaro. Admettons quand même que la dite commission parvienne à produire un rapport favorable à la destitution et qu’elle le soumette aux députés réunis en plénière. Le marais serait alors mobilisé pour faire obstacle. Il représente un bon tiers des sièges à la chambre des députés et plus encore au Sénat. L’impeachment du Président ne devient effectif que lorsque les deux tiers des parlementaires au moins ont voté pour. Jair Bolsonaro voit loin. Les alliés du centrão qu’il intègre au sein du gouvernement fédéral aujourd’hui doivent demain être les renforts dont il pourrait avoir besoin.



Le scénario de la destitution est peu probable à court terme pour une autre raison. Le pays doit faire face aujourd’hui aux innombrables défis liés au combat contre le Covid-19. Le pire de la crise sanitaire pourrait se produire entre la fin mai et le mois de juin. D’autres vagues ultérieures ne peuvent être écartées. La crise économique et sociale dramatique qui commence va mobiliser tous les responsables publics qui devront se consacrer à d’autres tâches que celle qui consisterait à destituer le Président. Pendant toute la pério-de (qui peut s’étaler sur plusieurs mois) que dure une procédure d’impeachment, l’Etat fédéral est paralysé. Les grandes initiatives politiques sont difficiles à prendre. En un mot, il faudra attendre que la tempête en cours soit passée pour que le Président de la Chambre mette la procédure de destitution à l’ordre du jour.


En attendant, Jair Bolsonaro va disposer du temps nécessaire pour négocier avec le centrão. Il continuera à bénéficier du soutien des militaires qui ne souhaitent pas forcém-ment assumer la tête d’un gouvernement qui va devoir affronter la crise économique et sociale tout en gérant un drame sanitaire. Le chef de l’Etat peut-il alors profiter de ce délai pour organiser un coup de force, mettre en œuvre une rupture institutionnelle, renforcer son pouvoir personnel et réduire les attributions des institutions républicaines qui limitent ses marges de manœuvre ? Dans l’immédiat, le risque d’une telle radica-lisation est très faible. Cela ne signifie pas que Jair Bolsonaro ne profiterait pas d’une opportunité dans l’avenir pour réduire les pouvoirs du Congrès et du système judiciaire. Quelle pourrait être cette occasion ? Prenons quelques exemples. Si un scandale impli-quant le Président de la Chambre des députés éclatait, si une accusation grave était proférée contre le Président du Sénat Fédéral, ou encore un haut-magistrat du Tribunal Suprême Fédéral, il ne fait pas de doute que le Président utiliserait toutes ses attributions et son pouvoir pour obtenir que ces personnages perdent les mandats qu’ils occupent aujourd’hui. Si dans ces circonstances il parvenait à faire adopter une législation qui retire une partie des attributions du Congrès et du Pouvoir législatif, il ne fait aucun doute qu’il le ferait.


Il n’y a désormais plus d’incertitude sur la nature des ambitions de Bolsonaro. Néan-moins, de là à imaginer que le chef de l’Etat ait aujourd’hui la capacité d’organiser un mouvement militaire, c’est aller très vite en besogne. Pourquoi ? Commençons par évoquer sur l’histoire politique sur les dernières décennies. Elle montre qu’aucune action de soulèvement organisée depuis les casernes n’a réussi sans disposer d’un appui significatif au sein de la société civile. Entre la fin de la Seconde Guerre Mondiale et le début des années soixante, cette règle a prévalu[5]. En 1964, les militaires bénéficiaient sans aucun doute de l’appui d’une bonne partie de la société brésilienne. Ils avaient le soutien de presque tous les représentants du monde patronal et des entreprises, de la presse nationale et de tous les gouverneurs d’Etats à l’exception de celui du Rio Grande do Sul (Leonel Brizola) et du Pernambouc (Miguel Arraes). Des personnalités politiques qui sont devenues ensuite des figures de l’opposition au régime militaire (Juscelino Kubitschek qui était alors sénateur, les députés Ulysses Guimarães et Franco Montoro) ont voté à l’époque (à l’occasion d’une élection indirecte) en faveur du Maréchal Castello Branco, candidat désigné par les militaires pour assumer la Présidence après le coup d’Etat. La rupture institutionnelle provoquée par l’action des Etats majors jouissait donc à l’époque de la sympathie de leaders politiques modérés. Ces derniers croyaient alors à la promesse faite par les militaires de convoquer des élections présidentielles directes avant la fin 1965 ou au plus tard en 1966. Cette consultation n’a pas eu lieu et les mili-taires sont restés au pouvoir jusqu’en 1985. Ils ont transmis à un gouvernement civil la lourde responsabilité de redresser un pays au bord de la faillite, lourdement endetté et miné par l’hyperinflation.


Si Jair Bolsonaro engageait une rupture institutionnelle dans quelques mois ou après 2020, de quels appuis pourrait-il se prévaloir ? Le soutien de la mouvance bolsonariste, l’action des officines d’extrême-droite qui animent les réseaux sociaux et assurent au Président un soutien digital conséquent seraient probablement des atouts importants. Ces militants ont régulièrement organisé depuis 2016 des manifestations publiques. Ils revendiquent l’instauration d’un Etat de siège, la mise en place d’un régime autoritaire appuyé par les forces armées. En termes d’effectifs, ce pôle radicalisé regroupe plusieurs millions de personnes qui suivraient certainement leur leader si celui-ci s’engageait dans une dérive autoritaire. Qu’en serait-il de l’appui dont bénéficie encore le Président au-delà du pôle bolsonariste le plus radical ?



Lorsque les couches plus pauvres seront confrontées

à la fois à la maladie et à une situation sociale de

plus en plus difficile, la fidélité qu’elles ont manifestée

jusqu’alors au Président peut décliner.



La popularité du Président auprès des classes défavorisées des périphéries des grandes métropoles va probablement s’effriter dans les prochains mois sous l’effet de deux phé-nomènes. Le premier est lié à la progression de l’épidémie de covid-19. L’expansion de la maladie est en train de devenir une réalité pour toutes les catégories de la population. La menace devient un phénomène tangible partout. Le coronavirus commence à toucher durement les habitants des favelas, des banlieues et des agglomérations de l’intérieur du pays. Très sous-évalué, le nombre officiel de décès imputable à la pandémie connait un rythme de progression impressionnant (5000 morts au cours du seul mois d’avril). Dès le mois de mai, le secteur de la population qui dénonce l’attitude irresponsable adoptée par le Chef de l’Etat depuis le début de la crise sanitaire peut s’étendre. Au sein des clas-ses sociales défavorisées la progression du nombre de personnes contaminées, les difficultés d’accès au soin et l’accroissement de la mortalité sont autant de raisons qui peuvent conduire à un affaissement du capital de sympathie dont profite encore le Pré-sident. Parallèlement, l’impact du discours de Bolsonaro accusant les gouverneurs (qui ont imposé des mesures de confinement) d’être responsables de la récession et de l’essor du chômage va s’affaiblir avec le temps. Lorsque les classes moyennes et les couches plus pauvres seront confrontées à la fois à la maladie et à une situation sociale de plus en plus difficile, la fidélité qu’elles ont manifestée jusqu’alors au Président peut décliner. Le versement d’une aide d’urgence de 600 reais par mois aux Brésiliens qui survivent grâce à des activités informelles (31,3 millions de personnes avaient effectivement touché cette allocation sur la seconde quinzaine d’avril) peut freiner l’érosion de la popularité présidentielle auprès des couches les plus pauvres. Néan-moins, la lourdeur des procédures bureaucratiques que doivent affronter les personnes éligibles pour toucher l’indemnité peut avoir l’effet inverse.



Bolsonaro s'adresse aux fidèles évangéliques participant à la marche pour Jésus en 2019 aux côtés de pasteurs pentecotistes.


Au sein des banlieues confrontées à la fois à une crise sociale sans précédent et à un désastre sanitaire, le Président pourra sans doute encore compter sur le soutien d’une partie du mouvement pentecôtiste. Les pasteurs savent exploiter la religiosité de leurs fidèles. Ils ont déjà cherché à exonérer le gouvernement de toute responsabilité en présentant la létalité du virus comme une manifestation de la colère divine. La contrition et la prière ont été recommandées comme mesures de prévention. La misère grandis-sante et la multiplication de victimes parmi les proches peut conduire le peuple des temples à rejeter demain ces prêches fatalistes. La popularité du chef de l’Etat reste également forte dans les casernes. L’adhésion aux thèses du bolsonarisme le plus radical (nécessité d’un pouvoir autoritaire, rejet de la démocratie, anticommunisme obsessif, conservatisme en matière de mœurs) est probablement assez forte au sein de la troupe ou chez les sous-officiers. La situation est beaucoup plus nuancée au niveau des Etats-Majors. Qu’ils soient en situation de commandement ou versés à la réserve, les officiers supérieurs ont accompli tout ou partie de leur carrière sous le régime de la démocratie. Attachés à la stabilité des institutions et à l’ordre social, ils gardent de sérieuses distances avec les thèses de l’ancien capitaine et de ses fidèles. Ils ont en majorité appuyé l’ascension de Bolsonaro et contribué à sa victoire. Pour nombre d’entre eux, ils participent directement à la gestion de l’Etat fédéral. Ils partagent la res-ponsabilité de la conduite, du rôle et de la destinée de ce gouvernement dont ils constituent un des piliers majeurs. Appuieraient-ils alors une rupture avec l’ordre consti-tutionnel dans les temps à venir ? Encourageraient-ils l’avènement d’un régime auto-ritaire s’ils étaient sollicités par le Président ? Dans les circonstances actuelles, cela paraît très improbable.


Quel scénario pourrait alors conduire les officiers supérieurs des trois armes à accepter une rupture de l’ordre constitutionnel ? Les généraux qui acceptent de répondre à cette question évoquent toujours une situation de désordre social incontrôlable, de menace gravissime de rupture de la paix civile. Un tel scénario n’est pas à exclure sur les mois ou les années à venir. Le Brésil peut connaître à court ou moyen terme une situation tragique sur le plan sanitaire, social et économique. Dans un climat d’angoisse collective attisé par la progression de l’épidémie, la multiplication de pénuries, la progression de la pauvreté, les révoltes populaires peuvent prendre la forme de mouvements insur-rectionnels, d’initiatives collectives de transgression de la loi (pillages de magasins, atta-ques de banques, essor sans précédent du crime organisé, de la délinquance et de la violence urbaine). La dépression économique, la crise sociale, le cataclysme sanitaire peuvent dessiner les circonstances qui conduiraient les forces armées à envisager de faciliter la mue du gouvernement Bolsonaro en régime autoritaire.


Il faudrait sans doute plus que ces circonstances. Les militaires auraient encore besoin de sentir qu’ils répondent au souhait d’une large part de la population. Cela peut-il être le cas à l’horizon des prochains mois ? Dans la conjoncture de chaos social et de dépres-sion économique qui peut alors prévaloir, il n’est pas évident que la majorité des Brésiliens se mobilise pour donner plus de pouvoir à Jair Bolsonaro. Cette majorité pourrait même exiger alors la mise à l’écart d’un chef de l’Etat tenu pour responsable d’une situation calamiteuse. Le mouvement de l’opinion en faveur d’un impeachment ou d'une démission "encouragée" pourrait même devenir massif si sur les prochains mois les multiples enquêtes judiciaires qui incommodent la famille régnante débouchaient sur des mises en examen, des inculpations, voire des condamnations. Sans avoir à recourir à la force, les militaires auraient alors tous les arguments nécessaires pour convaincre l’ancien capitaine que l’âge de la retraite est arrivé. Jair Bolsonaro serait alors une des victimes tardives du Covid-19.

 

[1] Selon le juge de Mello, les infractions reprochées au président semblent avoir "un lien étroit avec l'exercice des fonctions présidentielles", ce qui exclut qu'il puisse faire valoir une immunité. La décision du Tribunal suprême fédéral énumère sept infractions que pourrait avoir commis Jair Bolsonaro, parmi lesquelles la prévarication (grave manque-ment d'un homme d'État aux devoirs de sa charge) et l'obstruction à la justice. Après sa démission, Sergio Moro avait montré à la télévision un échange sur la messagerie Whats-App où le chef de l'Etat semblait exercer sur lui des pressions pour changer de chef de la Police fédérale. [2] En septembre 2019, le Congrès a créé une Commission mixte parlementaire d’en-quête (CPMI) sur ces fake news. Depuis, la famille Bolsonaro a tenté régulièrement de paralyser les travaux de cette commission. En avril 2020, un juge du Tribunal Suprême Fédéral a rejeté la demande du député Eduardo Bolsonaro qui souhaitait que la CPMI soit dissoute. [3] Le dimanche 19 avril 2020, le Président Bolsonaro a participé à une manifestation réunissant des personnes dénonçant la démocratie, exigeant un coup d’Etat militaire et préconisant la fermeture du Congrès et du STF. Ce mouvement est considéré au regard de la Loi comme un mouvement de subversion de l’ordre politique. Il tombe sous le coup de la Loi de Sécurité Nationale et de la Loi définissant les motifs de destitution du chef de l’Etat. En soi, la participation du Président à ce type de manifestation fournit des motifs suffisants aux juristes pour rédiger et fonder des demandes de destitution. Ces mêmes juristes pourraient également s’appuyer sur le fait que le chef de l’Etat encourage ainsi les populations à ne pas respecter les mesures de confinement, mettant ainsi en danger leur santé et celle d’autrui. [4] Les mêmes investigations peuvent, en théorie, aboutir à innocenter le Chef de l’Etat et à inculper l’ancien ministre de la Justice si les accusations de ce dernier ne sont pas appuyées sur des preuves recevables. Néanmoins, compte tenu de la longue expérience de Sergio Moro comme magistrat, il est difficile d’imaginer qu’il ait pu proférer des accusations aussi graves sans disposer de preuves irréfutables pour les étayer. [5] En 1955, Juscelino Kubitschek avait gagné les élections présidentielles et vaincu le candidat appuyé par les militaires. Il y a eu alors une conspiration au sein des états-majors pour empêcher l’investiture de Kubitschek. Cette conspiration a été éteinte par un contre-coup militaire animée par un général allié du candidat vainqueur. Pendant la mandature du Président Kubitschek, c’est au sein de l’armée de l’air que l’on trouvera le plus grand nombre de militaires séditieux. En 1959, un groupe issu de cette force a sequéstré un avion de ligne de passagers de la compagnie Panair qui allait de Rio à Manaus. L’opération visait à susciter des révoltes populaires contre le gouvernement. Dans ces deux cas, les tentatives de sédition ont échoué car elles ne bénéficiaient pas d’un soutien populaire.

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