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Covid-19 : le Brésil s'enfonce dans la tragédie.

La combinaison des mesures de confinement, d’isolement et de traçage du virus, l’accé-lération des campagnes de vaccination ont permis à l’échelle mondiale un sérieux frei-nage de l’épidémie de Covid-19 depuis le début de cette année. Le nombre de cas de contamination confirmés chaque jour par million d’habitants (moyenne mobile sur 7 jours) est passé de 95 autour du 10 janvier à 48,8 à la fin février 2021.


Au Brésil, la dynamique de l’épidémie est totalement différente. Le nombre moyen de nouveaux cas confirmés chaque jour par million d’habitants reste très supérieur au niveau mondial. Il n’a pas cessé de progresser sur février 2021 pour atteindre plus de 257 notifi-cations sur les derniers jours du mois. Le pays est désormais confronté à une pénurie de lits de réanimation et d'oxygène. Un an après que le premier cas de contamination a été identifié sur le territoire, le Brésil a vécu en février dernier la pire phase d’évolution de l’épidémie. Sur le dernier jour du mois, on recensait 10,55 millions d’habitants ayant été infectés (9,24% du total mondial) et 254 942 morts (10% des décès liés à l’échelle mondiale à la maladie). Le pays affronte une situation de chaos dans ses hôpitaux. Les campagnes de vaccination lancées depuis le début de l’année n’avaient permis d’immuniser que 3% de la population (un peu plus de 6 millions de personnes) à la fin février.


Nombre de nouveaux cas confirmés chaque jour par million d’habitants*

(moyenne mobile sur sept jours).

*Le nombre de cas confirmés et inférieur à celui des cas réels compte tenu de l’insuffisance des opérations de testage.


La présence du virus sur le territoire national n’a été déclarée à l’OMS (Organisation Mon-diale de la Santé) que le 11 mars 2020, soit un mois après qu’elle a été détectée. Le 24 février de l’an passé, un homme âgé de 61 ans qui revenait d’un voyage professionnel en Italie a été reçu à l’hôpital Albert Einstein de São Paulo et reconnu comme présentant des symptômes du Covid-19. Les examens ont permis de valider en 24 heures le premier diagnostic. Le 26 février, le Ministère de la Santé confirmait officiellement ce cas. Le patient dont l’identité n’a pas été révélée a alors été mis à l’isolement pendant 14 jours et a fini par guérir. Depuis ce premier épisode, le pays s’est montré incapable de contenir la dissémination du virus. Le Président Bolsonaro n’a pas cessé depuis un an de nier la gravité de la pandémie et de remettre en cause les mesures préconisées par l’OMS et la communauté scientifique nationale. Il a dû changer deux fois de ministre de la santé. Il a continué à faire la promotion de traitements et de remèdes qui se sont révélés très tôt inefficaces. Avec son gouvernement, il n’a pas su anticiper et préparer une politique de vaccination qui aurait permis de protéger rapidement les 210 millions d’habitants.


En février 2021, le Brésil a enregistré un nombre record d’admissions et d’internements dans les unités de soins intensifs. La vague a concerné tous des Etats de toutes les ré-gions de façon simultanée. Le pays est évidemment touché par la nouvelle menace que représentent les mutations qui le rendent plus contagieux. Le 3 mars dernier aura été la pire journée vécue par le pays depuis le début de l’épidémie. On alors enregistré 1726 décès dûs au covid-19 en 24 heures, le niveau le plus élevé jamais atteint. Quinze Etats sur 27 connaissaient alors des taux d’occupation des unités de soins intensifs supérieurs à 90%.


Un an après le début de la pandémie, le Brésil est le second pays au monde pour le nombre de vies humaines perdues en raison de la maladie. C’est le troisième pour le nombre total de personnes contaminées en douze mois (derrière les Etats-Unis et l’Inde).

Le premier pays d’Amérique du Sud est passé en douze mois d’une crise sanitaire ma-jeure à une véritable tragédie. Le bilan dramatique de l’épidémie du Covid-19 peut être associé à quatre facteurs qui sont détaillés ci-après.


1. Négationnisme et absence de stratégie coordonnée de lutte contre l’épidémie.


Dès le début de la pandémie, le chef de l’Etat a nié l’importance de la pandémie et parlé d’une simple "petite grippe". Dans une période où les scientifiques n’avaient pas de savoir solide sur le virus, sa circulation et la durée de l’épidémie, le Président brésilien a épousé toutes les thèses complotistes qui proposaient des certitudes et des remèdes. Ainsi, il affirmé dès le début de 2020 que la pandémie n’allait pas durer, que le port du masque était dangereux et inutile et que l’hydroxychloroquine guérissait. Les plus hautes auto-rités de l’Etat et Jair Bolsonaro lui-même ne se sont pas contentés de fabriquer des vé-rités. Ils ont fait croire que ce virus était l’instrument d’un complot fomenté contre le Brésil par des puissances étrangères, notamment la Chine.


Pour faire face à la plus grande crise sanitaire de l’histoire du Brésil, le Ministère fédéral de la santé aurait dû exercer un rôle de coordinateur rigoureux des diverses initiatives prises au niveau de l’Etat central, des Etats fédérés et des communes. Le Brésil a une longue expérience de la lutte contre les épidémies et de la mise en place de dispositifs de prévention et de vaccination. Au début de 2020, alors que le virus se propageait en Europe et conduisait à une saturation du système hospitalier en Italie, Brasilia a bénéficié d’un répit de plusieurs semaines pendant lesquelles le gouvernement fédéral aurait pu se préparer. Cela n’a pas été le cas. Aucune mesure de contrôle n’a alors été mise en œuvre dans les aéroports où continuaient à débarquer tous les jours des centaines de personnes qui pouvaient être des vecteurs du virus. Le maillage du réseau territorial des dispensaires et hôpitaux publics est particulièrement dense dans ce pays de dimension continentale. Les équipes de soignants qui interviennent sur ces sites n’ont reçu aucune directive et orientation pour identifier les cas, tracer les contacts et isoler les personnes contaminées ou soupçonnées d’être porteuses du covid-19.


Lorsque les premiers cas ont été diagnostiqués au Brésil, le Ministère fédéral de la santé était piloté par un médecin orthopédiste, Luiz Henrique Mandetta. Les autorités sanitaires ont appuyé la mise en œuvre de mesures d’isolement social (confinement, isolement et mise en quarantaine des individus contaminés) qui étaient recommandées par la com-munauté scientifique et appliquées alors dans plusieurs métropoles urbaines et Etats fédérés. De son côté, le Président Bolsonaro a refusé de prendre en compte les aver-tissements et préconisations de la communauté scientifique. Il a affiché une franche opposition à toute mesure de fermeture des commerces et de mise en hibernation de l’activité économique. Il a considèré que ces initiatives pourraient affaiblir sa popularité. Les tensions entre le Ministre de la santé et le chef de l’Etat vont se multiplier. A la mi-avril 2020, Mandetta est démis de ses fonctions par Bolsonaro. Son remplaçant sera Nelson Teich, un médecin cancérologue qui quitte son poste après un mois de conflit avec celui qui l’avait nommé. Teich ne voulait pas avaliser un traitement sans effet contre le covid-19 que recommandait alors à tout va le Président devenu soudain spécialiste en pharmacologie. Le traitement en question était basé sur l’utilisation de la chloroquine, un médicament préconisé depuis 80 ans pour lutter contre la malaria mais dont plusieurs études scientifiques ont montré qu’il était inefficace pour traiter les patients atteints du covid-19.


En avril 2020, le gouvernement fédéral a publié une mesure provisoire [1] qui lui permet-tait de détenir seul le monopole des décisions sur la mise en œuvre à l’échelle du ter-ritoire national de règles concernant la circulation des personnes. Sollicitée, la Cour suprême (le Supremo Tribunal Federal, STF) a invalidé le projet de l’exécutif fédéral en décidant que les gouverneurs des Etats fédérés et les autorités municipales devaient disposer de la plus grande autonomine pour engager à l’échelle locale les mesures qu’ils jugeaient nécessaires afin de contenir l’épidémie. Le jugement du STF n’a cependant pas retiré au Ministère fédéral de la Santé un rôle de coordinateur de la politique nationale de lutte contre le coronavirus. En mai, après la démission de Nelson Teich, c’est un général de l’armée de terre encore en activité, Eduardo Pazuello, qui a assumé le portefeuille de la santé. Le militaire n’avait aucune expérience antérieure dans le secteur. Il a même avoué avant d’assumer le portefeuille qui lui était proposé qu’il n’avait aucune connais-sance sur le fonctionnement du Système Universel de Santé (SUS), un des principaux instruments de la politique fédérale de santé qui garantit à tous les habitants un accès gratuit aux services médicaux.


Une fois Pazuello entré en fonction, son Ministère a commencé à faire la promotion d’un traitement sans aucune base scientifique qui était supposé permettre de lutter contre le virus dans la phase initiale de contamination. Outre la chloroquine, le kit de remèdes recommandé comprenait l’ivermectine, un traitement parasitaire utilisé notamment con-tre la gale [2] et de l’azithromycine, un antibiotique. L’association de l’azithromycine et de la chloroquine est fortement déconseillée en absence de bénéfice démontré dans la prise en charge des patients atteints de la COVID-19 à cause d’un risque accru d’effets in-désirables graves, en particulier cardiaques. En janvier 2021, le Ministre se rendra en visite à Manaus, capitale de l’Etat d’Amazonas, afin de lancer une application destinée à être utilisée par les médecins. L’application en question recommandait le recours à ce kit de remèdes inefficaces ou dangereux, y compris dans le traitement des patients jeunes et des enfants. Quelques jours plus tard, la capitale de l’Etat enregistrait les premiers décès de patients covid admis en unités de soins intensifs en raison de l’insuffisance des ressources en oxygène médical sur la localité et sa région. Depuis, le Ministre de la santé fait l’objet d’une information judiciaire destiné à examiner la responsabilité de son admi-nistration dans le déclenchement de la crise dramatique qu’a connu alors l’Etat d’Ama-zonas. L’Institution judiciaire a également lancé une enquête sur les dépenses engagées par le gouvernement fédéral pour promouvoir et distribuer la chloroquine.


2. Des mesures d’isolement social trop légères.


Dès le début de la pandémie, la recommandation de l’OMS a été de tester à grande échelle les populations. En l’absence de traitement et (à l’époque) de vaccin, l’organisa-tion indiquait que la meilleure stratégie pour éviter une saturation des systèmes de soins était ensuite d’identifier les patients malades, de les isoler et de placer en quarantaine leurs proches et les personnes avec lesquels ils avaient eu des contacts. La mise en œuvre du tryptique tester, tracer et isoler devait permettre d’éviter ou de limiter la propa-gation du virus. C’est ce schéma que de nombreux pays asiatiques ont très tôt appliqué.


Le Brésil n’a jamais mis en pratique ces règles. En début d’épidémie, dans le pays, les tests étaient extrêmement rares. Les professionnels de santé ont longtemps protesté contre l’absence ou l’insuffisance d’équipements de protection comme les masques. Les Etats fédérés ont alors décidé de mettre en œuvre des mesures de confinement partiel. En mars, plusieurs gouverneurs ont décrété la fermeture des commerces dits non es-sentiels. Aucune coordination n’a été réalisée par le Ministère fédéral de la santé. Les fermetures ont donc eu lieu de façon désorganisée dans le pays. Elles ont parfois été im-posées sur la base de critères discutables dans des villes qui n’avaient pas besoin de subir des mesures de confinement parce que le nombre de cas déclarés y était limité ou nul. En mai, soumises à une forte pression de la part des acteurs économiques, les auto-rités locales ont commencé à annoncer un relâchement des mesures de confinement et la réouverture de tous les commerces, alors que le nombre de personnes contaminées et de décès restait très élevé.


Aucun Etat fédéré ou commune n’a mis en œuvre au cours de l’année écoulée des me-sures de confinement total qui permettent d’interrompre la transmission du virus. Les mois passant, une large part de la population a fini par se lasser de rester sans activité à domicile et a commencé à abandonner les règles de distanciation sociale. Les clichés de plages remplies de baigneurs à Rio de Janeiro sur les fins de semaine ont fait le tour du monde. Le discours du Président Bolsonaro a toujours été de dire que le covid-19 était une "petite grippe". Les forces de police n’ont pas mis en œuvre de dispositif adapté de surveillance et de répression pendant les périodes de confinement partiel. Les rares dis-positifs de contrôle et de sanctions ont ignoré les quartiers périphériques des grandes agglomérations.


Les plages de Rio, un jour de février 2021.


3. Des doses de vaccins insuffisantes.


Le Brésil est sans doute un des pays du monde le mieux préparé pour mettre en œuvre sur des périodes de temps très courtes des campagnes de vaccinations de grande ampleur. Au cours des dernières décennies, grâce à un réseau dense de dispensaires publics et de professionnels formés, il est parvenu à appliquer des stratégies d’immu-nisation efficaces contre diverses épidémies. Ainsi, en trois mois, d’avril à juin 1975, le laboratoire pharmaceutique Mérieux et les autorités brésiliennes ont vacciné plus de 80 millions de personnes menacées par une terrible épidémie de méningite cérébro-spinale. Dans la mégapole de São Paulo, 10 millions d’habitants ont été protégés en cinq jours, un record absolu dans l’histoire de l’immunisation. Sur les 45 dernières années, les moyens matériels (centres de soins) et humains (personnels) ont été développés pour suivre la croissance de la population. A la veille de la pandémie du covid-19, le pays était encore en mesure de vacciner près de 2 millions de personnes par jour. Depuis que des vaccins efficaces contre le coronavirus ont commencé à être distribués dans le monde, le Brésil a été incapable d’utiliser les capacités dont il dispose. Les autorités fédérales et locales n’ont pas négocié très tôt avec les entreprises pharmaceutiques des contrats d’achat adaptés à une stratégie d’immunisation massive.


Dès la fin du premier semestre 2020, le choix d’un vaccin est devenu un enjeu de po-litique politicienne au lieu de rester une question de santé publique. Le Ministère fédéral de la santé a adopté une attitude d’attentisme alors que le Président Bolsonaro et le gou-verneur de l’Etat de São Paulo (João Doria) utilisaient la question de la vaccination comme un argument dans la bataille politique qui les oppose. Les deux personnages sont des candidats affichés à l’élection présidentielle de 2022. Doria a d’emblée considéré qu’en misant sur une stratégie de vaccination ambitieuse à l’échelle de son état, il confor-terait sa popularité locale. Son initiative serait reprise dans d’autres Etats, ce qui finirait par lui donner une stature nationale. Le gouverneur de São Paulo a misé sur le vaccin Coro-navac, produit par le laboratoire chinois Sinovac et fabriqué au Brésil par le laboratoire Butantã, de la ville de São Paulo. De son côté, le gouvernent fédéral a souscrit un contrat d’approvisionnement auprès du fabricant anglo-suédois AstraZeneca qui a mis au point un sérum en partenariat avec l’université d’Oxford. La fabrication des doses au Brésil est réalisée dans le cadre d’une association avec la Fondation Oswaldo Cruz de Rio de Janeiro.


Le chef de l’Etat a tout fait pour retarder l’acquisition du Coronavac. Il n’a cessé de discré-diter ce vaccin chinois, promu ardemment par son adversaire politique. En novembre 2020, le gouvernement fédéral a ainsi annoncé qu’il avait décidé de suspendre les tests du vaccin chinois dans le pays en raison d’évènements adverses non précisés. Quelques jours plus tard, les tests étaient repris. En décembre dernier, Jair Bolsonaro suscitait un tollé en dénonçant la "hâte" mise à vacciner les populations contre le coronavirus qui, selon lui, n’était pas justifiée. Prophète sinistre, le Président annonçait même que la pandémie arrivait à sa fin, que l’augmentation du nombre de cas déjà visible alors n’était qu’un petit rebond. A la veille des congés d’été au Brésil qui commencent vers le 20 dé-cembre et qui entraînent d’importants déplacements de population, l’ancien militaire répétait ses doutes sur les vaccins, évoquant de possibles effets secondaires….Entre le sinistre et le grotesque, il n'y a qu’un pas. En décembre, le Royaume-Uni et les Etats-Unis avaient déjà commencé à utiliser le vaccin Pfizer contre le coronavirus. Au Brésil, Bolsonaro n’hésitait pas à dire que les personnes vaccinées avec ce produit allaient se transformer en femmes à barbe ou en crocodiles….


Le 17 janvier 2021, après qu’une efficacité supérieure à 50% a été démontrée, le vaccin Coronavac était officiellement autorisé pour la vaccination du public. Le même jour, l’Agence Nationale de Vigilance Sanitaire (ANVISA) donnait également son feu vert au vaccin d’AstraZeneca. Au Brésil comme à l’étranger, le programme national de vacci-nation, annoncé tardivement et sans dates précises, a fait l’objet de nombreuses criti-ques de spécialistes. Finalement, devant le retard pris par AstraZeneca, le gouvernement fédéral a dû commander 100 millions de doses du Coronavac à l’Institut Butantã, plus du double des 46 millions prévus initialement. En février dernier, alors que les opérations de vaccination avaient commencé depuis quelques semaines, sur 100 doses fournies au Ministère de la santé, 17 étaient des doses du vaccin de l’université d’Oxford et 83 des doses de Coronavac.


Sur le continent américain, des pays comme le Canada ont mis en œuvre une politique d’achats anticipés garantissant l’approvisionnement de six doses par personne de vaccins produits par 7 laboratoires différents. Le Brésil est aujourd’hui dépendant de deux immu-nisants. Les difficultés rencontrées sur l’importation de composants en provenance de Chine ont retardé les opérations de vaccination. Commencée le 17 janvier dernier, la campagne a dû être interrompue sur de grandes métropoles comme Rio de Janeiro et Salvador. En un an, le Brésil aura suivi une démarche exactement opposée à celle de pays comme le Royaume-Uni et Israël. Dans ces deux Etats, la vaccination à grande échelle de la population a contribué à réduire le nombre de contaminations et de décès. Les campa-gnes d’immunisation ont été combinées avec des dispositifs de confinement rigoureux. En ce mois de mars 2021, évoquer un retour à une vie quasi-normale n’est plus tout à fait utopique à Londres ou à Jérusalem.


Nombre de nouveaux décès liés au covid-19 chaque jour par million d’habitants.

(moyenne mobile sur sept jours).



4. Absence de contrôle des variants du virus.


L’absence de contrôle de la transmission du coronavirus au Brésil a favorisé l’apparition d’un variant à Manaus. Les scientifiques considèrent que ce dernier est plus contagieux que le virus initial apparu en Chine. Les mutations d’un virus sont courantes et attendues par les virologues. Certaines de ces mutations peuvent effectivement rendre un virus plus résistant et dangereux. Dans l’Etat d’Amazonas, les règles de confinement plusieurs fois imposées n’ont pas été respectées. L’usage du masque est encore limité. Cet Etat a pourtant connu des phases de progression épidémique très fortes. La première, en avril et mai 2020, a entraîné une forte hausse de la mortalité, la saturation des services funéraires et l’inhumation de centaines de victimes dans des fosses communes. Apparue en janvier 2021 (après les fêtes de fin d’année), la seconde vague s’est traduite par un afflux de patients dans les services de réanimation des hôpitaux de l’Etat et une pénurie de ressources en oxygène médical. Des dizaines de malades sont morts par asphyxie.


Le variant apparu à Manaus a commencé à circuler dans le pays en janvier et février. La stratégie de limitation de la propagation des variants de la Covid-19 s'appuie sur l’iden-tification rapide de chaque personne contaminée par un variant afin de déclencher le plus rapidement possible des actions renforcées de "contact tracing" et d’isolement. Il faut aussi mobiliser d’importants moyens techniques pour assurer un criblage systé-matique des tests RT-PCR positifs. Le Brésil ne dispose pas d’assez de laboratoires et d’infrastructures nécessaires pour la réalisation de ce travail d'analyse. Il ne parvient donc pas à contrôler la circulation du variant. Cette déficience peut mettre en échec la stratégie de vaccination car plusieurs vaccins aujourd’hui existants pourraient se montrer inefficaces contre les nouveaux variants.


Chaos sanitaire et négationnisme.


L’Organisation mondiale de la Santé n’hésite plus à dire que le Brésil vit une tragédie. Les unités de soins intensifs et de réanimation ont déjà dépassé le seuil de la saturation au mois de février dernier. Qu’elles soient publiques ou privées, les institutions de santé sont totalement débordées. Sans autre option, les gouverneurs des Etats fédérés décrètent des mesures de confinement dont l’efficacité est douteuse. Les derniers congés de car-naval ont conduit des milliers de Brésiliens à se ruer sur les plages ou à fêter l’évènement en organisant des rassemblements clandestins mais courus. Les livraisons de vaccins at-tendues tardent. L’ancien ministre de la santé Luiz Henrique Mandetta résumait récem-ment la situation d’une phrase : "le virus circule en Ferrari alors que les vaccins sont acheminés en charrette". Ces dernières semaines, alors que le chaos sanitaire s’aggravait, le Président Bolsonaro continuait à menacer les gouverneurs qui mettaient en place des mesures de quarantaine ou d’isolement social. Il n’hésitait pas à accuser les responsables en question d’avoir détourné des fonds que le pouvoir central aurait mis à leur disposition pour lutter contre la pandémie. Il annonçait encore que les gouvernements locaux qui tentent désespérément de contenir l’avancée du virus en imposant la fermeture de commerce et l’arrêt d’activités non essentielles auraient à financer la nouvelle aide d’urgence pour les plus modestes qui doit être introduite en 2021 [3].


A Brasilia ou dans l’Etat du Ceara (lors d’un déplacement dans le Nord-Est), Jair Bolsonaro n’a pas hésité à susciter des rassemblements d’admirateurs, manifestant ainsi une totale insensibilité aux souffrances des familles endeuillées, des patients et du personnel soi-gnant. Le pire aura été sans doute sur les dernières semaines la remise en cause par le chef de l’Etat de l’efficacité des masques. Reprenant à son compte les thèses de méde-cins complotistes (des affirmations dénoncées depuis des mois par la majorité des scien-tifiques), Bolsonaro y est allé de son couplet contre le port de cette protection qui évite pourtant dans le monde entier la contamination.


Rassemblement lors de la visite de J. Bolsonaro dans le Nord-Est en février 2021.


Si l’on se réfère au nombre de décès quotidien par million d’habitants, le Brésil était dans une situation comparable à celle des Etats-Unis à la fin de février 2021. Les prévisions les plus sérieuses indiquent que le plus grand pays d’Amérique du Sud devrait enregistrer près de 100 000 décès supplémentaires liés au covid-19 entre le début de mars et le 1er juin prochain. Le 1er mars dernier, près d’un an après l’apparition du premier cas de conta-mination, on dénombrait 255 720 victimes fatales du virus.


Un large segment du monde politique dénonce désormais la conduite de ce Président irresponsable. Le 1er mars, dans une lettre adressée au chef de l’Etat et rendue publique, 16 gouverneurs représentant un large spectre politique ont dénoncé la politique du gou-vernement central et les menaces que Jair Bolsonaro leur adresse. De plus en plus de responsables publics prennent conscience que l’attitude de l’ancien capitaine transforme la crise sanitaire et une tragédie inédite. Les prévisions montrent que l’épidémie va conti-nuer à se propager dans les trois prochains mois. La question est désormais de savoir si la prise de conscience de la classe politique ira jusqu’à pousser le Congrès fédéral à remettre en cause le mandat d’un Président inepte et dangereux.



 

[1] Les mesures provisoires prévues par l’article 60 de la Constitution sont des actes édi-tés par le Président de la République, dans le contexte de circonstances exceptionnelles et urgentes. Elles ont force de loi et ont un effet immédiat. Leur durée de validité est de 60 (soixante) jours, renouvelable pour une période identique. Pour être convertie en loi, la mesure provisoire doit être votée par la Chambre des députés fédérale avant son délai d’expiration. [2] Ce produit a un temps suscité l’intérêt pour un repositionnement thérapeutique contre la Covid-19. Malheureusement, un an après le début de la pandémie, son efficacité contre la maladie reste encore à démontrer. [3] Après avoir interrompu en janvier 2021 le paiement d’une aide d’urgence mensuelle aux familles modestes touchées par la crise sanitaire (aide payée entre avril et décembre 2020), le gouvernement fédéral envisage de réintroduire une allocation temporaire de 250 réais/mois sur trois mois (mars à mai) en 2021.

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