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Photo du rédacteurJean Yves Carfantan

L'offensive populiste de Bolsonaro (3)

2020 et 2021 : Deux scénarios improbables.


Depuis Janvier 2019, le Congrès n’a pas fait obstacle aux principales initiatives écono-miques du gouvernement fédéral. Il suffit pour s’en convaincre d’observer le com-portement adopté par les députés et les sénateurs au cours de 252 votes importants réalisés à la Chambre et de 28 conclus au Sénat. L’analyse montre que dans un contexte très particulier (absence de leadership et d’engagement de l’exécutif, négociation réduite entre les deux pouvoirs, tensions entre les institutions suscitées par le Président) 73% des députés et 50% des sénateurs ont appuyé les projets du gouvernement dans une majo-rité de cas. Ce soutien effectif et cette absence d’obstruction sont liés à la composition des chambres dominée par des partis de droite et du centre, naturellement enclins à soutenir l’exécutif sur ses projets de réforme économique. Ce constat montre que le gouvernement Bolsonaro aurait pu encore sur les derniers mois organiser avec une rela-tive facilité une majorité d’appui au sein des assemblées législatives s’il en avait eu la volonté et la capacité.


Une intervention militaire ?


L’attitude du Président à l’approche du cyclone sanitaire et économique en cours ne per-met plus d’envisager un changement de posture et de comportement. Le chef de l’Etat n’a jamais gouverné dans l’intérêt du pays. Il ne s’est préoccupé que de son clan de fidèles fanatisés. Il continue d'accorder plus d’importance à cette paroisse agitée qu’à la population dans son ensemble. Il est donc probable qu’il persistera dans cette gym-nastique perverse qui consiste à provoquer des tensions avec les autres institutions de la république. On peut même d’ores et déjà anticiper qu’il mobilisera ses affidés en transfor-mant les membres du Congrès, les Juges de la Cour suprême et les Gouverneurs des Etats en boucs-émis-saires de la saison d’ouragans qui vient de commencer. Plus que jamais, le "système", "l’establishment politique" pourraient être accusés non seulement de la crise économique et sociale, mais de la progression de la pandémie dans le pays, voire de l’accroissement du nombre des victimes du virus. Alors que l’action publique serait freinée par l’absence de leadership de l’exécutif et la résistance des autres institutions, le mouvement bolnariste profiterait de cette situation délétère pour encou-rager les militaires à précipiter une rupture de l’état de droit, une suspension de la constitution, des prérogatives et de l’activité parlementaire, des attributions de la Cour suprême. Dans ce scénario, un groupe influent d’officiers supérieurs de l’active parvien-drait à convaincre l’ensemble des états majors de la nécessité d’une action conjointe destinée à confier à Jair Bolsonaro tous les pouvoirs.


Pour qu’un tel scénario soit envisageable, deux conditions doivent être réunies. La pre-mière est une importante mobilisation populaire. Le Président doit être capable de rallier à sa lutte contre les institutions une large majorité de citoyens résolus à accepter et à soutenir une offensive menée par les diverses composantes de l’institution militaire. Les premières manifestations de rue organisées le 15 mars dernier pour soutenir l’exécutif, exiger la fermeture du Congrès et de la Cour suprême n’ont pas été un franc succès. Quelques centaines de personnes rassemblées à Brasilia sur l’esplanade en face du pa-lais présidentiel : on est loin des foules agglutinées au même endroit en 2013 ou à la veil-le de la destitution de Dilma Rousseff. Il faudrait des manifestations de rue répétées sur quelques mois, réunissant sur tout le pays des foules nombreuses et répondant aux mêmes mots d’ordre pour convaincre les états-majors de l’opportunité d’une rupture ins-titutionnelle et de la suspension de l’ordre constitutionnel. La seconde condition est une mobilisation effective des trois armes (terre, marine, aviation) et d’un engagement résolu et convergent des Etats-majors.


Manifestants du 15 mars à Sao Paulo. L'avenue Paulista (artère majeure de la ville) est loin d'être remplie.


Ce scénario combinant mobilisation de la rue et soulèvement des forces armées afin de transformer le gouvernement Bolsonaro en un pouvoir autoritaire est-il désormais plausi-ble ? Plusieurs analystes d’opposition paraissaient encore y croire il y a quelques semai-nes. Ils considéraient alors que la présence accrue de militaires au sein de l’équipe de conseillers présidentiels ne signifie pas que les bolsonaristes les plus radicaux aient été marginalisés. Ils estimaient même qu’après avoir multiplié les bravades inutiles contre la dictature de Juan Maduro, Jair Bolsonaro serait en train de s’inspirer du chavisme pour engager la rupture institutionnelle qu’il entend réaliser. "Le Peuple et l’Armée", cette for-mule chaviste inspirerait les deux offensives lancées parallèlement par le Président contre la démocratie, une stratégie qui serait facilitée par l’inertie et l’inquiétude des lea-ders politiques et de la hiérarchie militaire. Ces deux offensives menées très activement sur les réseaux sociaux visent à la fois à transformer la militance bolsonariste en avant-garde de grandes démonstrations populaires et à maintenir le capital de sympathie acquis par le chef de l’Etat auprès des officiers subalternes et de la troupe. Pour élargir les rangs des militaires acquis à la cause, le camp bolsonariste exploiterait toutes les révoltes et mouvement sociaux qui apparaissent au sein des forces de police des Etats fédérés. Dans tous les cas, des factions d’extrême droite proches du Président cherche-raient à coopter des officiers d’active, quitte à fragiliser la discipline militaire. Ce sont ces opérations qui auraient conduit le Général Santos Cruz (démis de ses fonctions de mi-nistre responsable du cabinet présidentiel en juin 2019) à déclarer que mêler l’armée à des enjeux politiques, des conflits de personnes ou des questions gouver-nementales était très risqué.


Selon les analystes qui croient à un scénario de rupture de l’ordre constitutionnel sur les prochains mois, les militaires du gouvernement qui devaient jouer à l’origine un rôle de modérateurs au sein de l’exécutif ont été démis de leurs fonctions ou ont fini par s’incli-ner. Les déclarations récentes du Général Augusto Heleno, chargé des questions d’intel-ligence et de sécurité à la Présidence, ayant rang de ministre, seraient l’illustration de ce rééquilibrage. En qualifiant les responsables parlementaires de maîtres-chanteurs dont il faudrait se débarrasser, il a légitimé la convocation des marches contre le Congrès le 15 mars, manifestations qui ont la sympathie du chef de l’Etat. Les commentaires évasifs publiés après ces déclarations par le Général Hamilton Mourão peuvent effectivement susciter la perplexité. Le Vice-Président s’est contenté de dire que les protestations con-tre les élus du Congrès font partie du jeu démocratique, ce qui ne serait pas le cas d’un mouvement convoqué par le Président lui-même… Les analystes qui croient à la thèse d’une rupture prochaine de l’ordre constitutionnel avec l’appui de l’armée n’hésitent plus à comparer les manifestations convoquées par l’extrême-droite sur les dernières semai-nes à la marche sur Rome de Mussolini ou à l’encerclement de l’Assemblée Nationale vénézuelienne organisé sur les années passées par Nicolas Maduro et ses milices.



L'ancien capitaine de l'armée de terre et la troupe d'aujourd'hui.


Le Président Bolsonaro semble encore être convaincu qu’il est capable de mobiliser dans la rue des millions de Brésiliens. Il imagine en effet que les nombreux adeptes fana-tisés qui le suivent sur les réseaux sociaux sont les représentants fidèles d’un peuple bien plus large. Selon les analystes qui croient à la probabilité d’un coup de force, cette illusion serait partagée aussi par plusieurs officiers supérieurs des trois armes et les lea-ders du Congrès. Tous seraient inquiets et se trouveraient incapables de stopper l’offen-sive bolsonariste. Soucieux d’assurer la cohésion des forces armées, les chefs militaires auraient renoncé à réprimer la politisation croissante de la troupe, très réceptive aux déli-res paranoïaques et agressifs qui envahissent les plateformes numériques d’extrême-droite.


Un Victor Orban brésilien ?


Le chef de l’Etat peut-il compter sur l’appui résolu des militaires s’il envisageait une rupture par la force de l’ordre constitutionnel ? Les hypothèses retenues par des ana-lystes proches de l’opposition sont sujettes à caution. Les officiers d’états-majors les plus lucides savent que la fameuse "menace communiste" que les bolsonaristes ne cessent d’agiter est un fantasme. Les formations de gauche et les organisations proches (syn-dicats, ONG) sont aujourd’hui incapables d’organiser ou d’exploiter un vaste mouvement social qui pourrait servir de prétexte. D’abord parce que leur crédibilité est considé-rablement affaiblie auprès d’une majorité de Brésiliens qui continuent à rejeter le parti de Lula. Ensuite en raison de la situation sociale. Dans un pays où un quart de la population active est victime du sous-emploi, s’appauvrit depuis plusieurs années, il est difficile d’orchestrer et de contrôler des protestations et des émeutes comparables à celles qu’a connu le Chili à la fin 2019.


Le Président brésilien bénéficie (encore) de l’appui de plusieurs officiers supérieurs (en retraite, de la réserve ou de l’active). Pourtant, la récente offensive menée contre le Con-grès et la Cour suprême a provoqué une réaction surprenante au sein des cercles militaires. Les spécialistes des trois armes soulignent qu’une majorité d’officiers de l’ar-mée de terre (qui ne sont pas connus du grand public et ne se manifestent que rare-ment) ont fait comprendre qu’ils ne seraient pas disposés à s’engager dans un coup de force. Si des secteurs de l’armée envisageaient un soulèvement, l’opération ne susciterait pas le soutien unanime de toute l’institution. Il est même probable qu’une majorité de gradés refuserait de participer à une telle aventure. Les commandements de la Marine et l’Armée de l’air se sont bien gardés depuis des mois de prendre position sur la situation politique, d’émettre des critiques ou des appréciations. L’Etat-Major de l’Armée de Terre commence à percevoir qu’à ne pas respecter cette règle il y a bien plus à perdre qu’à ga-gner.


La crise politique des dernières années a renforcé l’image positive dont bénéficie l’ins-titution militaire auprès de la population. Selon une recherche effectuée en 2019, l’armée est une des rares institutions qui bénéficient d’un appréciable capital de confiance auprès des Brésiliens : 80 % des citoyens apprécient leurs militaires et ce prestige élevé est précisément dû au fait qu’ils ont su rester à l’écart des enjeux de politique intérieure depuis la fin de la dictature[1]. Les généraux qui ont accepté de soutenir le gouver-nement Bolsonaro et de constituer un de ses pôles les plus solides et compétents ont pris le risque d’affaiblir cette image. Ils prendraient un risque encore plus grand s’ils allaient demain au-delà de la simple participation à un gouvernement légitime. Au-delà de l’image, c’est aussi la cohésion de l’institution qui serait mise à mal si elle s’associait aux desseins autoritaires du Président et y contribuait par un coup de force. L’intervention de l’armée se heurterait à la résistance des institutions en place, de la presse, d’une large part de l’opinion publique. Il est probable qu’une telle résistance créerait au sein de la troupe et des états-majors de sérieux conflits.


Face à la stratégie de mise sous tension des institutions républicaines, les officiers supérieurs des trois armes assurant effectivement un commandement seront probable-ment enclins à persister dans un rôle de force modératrice. Pour exercer cette mission, ils seraient alors enclins à tolérer le comportement erratique du Président, son incapacité à suivre scrupuleusement la constitution et les devoirs qui lui incombent. Cette tolérance et la passivité de l’opposition permettraient alors aux factions d’extrême-droite de pour-suivre leur double offensive. Ce sont les conditions que mentionnent plusieurs analystes pour envisager un second scénario qui transformerait le Brésil en une démocratie auto-ritaire à l’image de ce qui s’est passé ces dernières années en Europe ou en Turquie.


Répétons-le : pour que cette évolution soit envisageable, il faudrait que Jair Bolsonaro parvienne sur les prochains mois à mobiliser la rue, à orchestrer de vastes mouvements spontanés et à transformer ses "suiveurs" sur les réseaux sociaux en militants aguerris. Le scénario de rupture graduelle avec l’Etat de droit et la démocratie pourrait comporter alors trois étapes. La première serait une ample victoire aux prochaines élections muni-cipales (octobre 2020) des bataillons de militants acquis à la cause du Président, qu’ils soient ou non membres de son parti. Sur un second temps, au cours de 2021 et du début de 2022, le rôle de ce mouvement serait de préparer les élections législatives et pré-sidentielles. Il aurait deux missions. D’abord organiser très tôt la campagne pour la réélection de Jair Bolsonaro. Ensuite faire élire une majorité de parlementaires bien décidés à autoriser le Président à multiplier le recours aux plébiscites après 2022. La troisième étape serait précisément consacrée à mettre en œuvre les amendements à la constitution adoptés par référendums. Ces amendements réduiraient les compétences et les marges de manœuvre du Congrès et de l’Institution Judiciaire. Ils amplifieraient les attributions et les pouvoirs de l’exécutif. Dès 2022, le Président réélu pourrait enfin mettre en œuvre une politique autoritaire, multiplier les atteintes à l’Etat de droit et réduire la démocratie à un jeu d’apparences.


Depuis quelques semaines, avec la crise sanitaire, la dégradation rapide de la conjonc-ture économique et sociale et le comportement adopté par l’ancien-capitaine, ces deux scénarios paraissent de moins en moins vraisemblables...


A suivre : Du confinement virtuel au confinement réel.


 

[1] Les forces armées ont certes été sollicitées depuis 35 ans par les autorités civiles pour intervenir dans des opérations de maintien de l’ordre. Ce fut le cas durant le gouver-nement Dilma Roussef, lorsque la Présidente a demandé à l’armée de réprimer des mou-vements de rue qui exigeaient sa démission. Les militaires ont toujours indiqué qu’ils étaient favorables à la liberté d’expression, opposés à la répression et prêts à défendre les institutions démocratiques, y compris le pouvoir judiciaire. C’est aussi cette posture qui explique le prestige de l’institution. L’enquête mentionnée a été réalisée par le Fon-dation française Fondapol. Résultats disponibles sur le site :

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