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LULA, la facture du populisme économique.

Photo du rédacteur: Jean Yves CarfantanJean Yves Carfantan


Le Brésil a abordé 2025 confronté à une sorte de paradoxe économique. Pour la qua-trième année consécutive, la croissance aura été supérieure à 3% en 2024. Le taux de chômage est à son minimum historique, les revenus des ménages augmentent et la pauvreté recule. Pourtant, les agents économiques affichent désormais un franc pessi-misme et ne croient plus aux prévisions et promesses du gouvernement Lula. Ces agents regardent vers l’avenir et le scénario pour 2025 et 2026 est plutôt inquiétant. Les pré-visionnistes annoncent au mieux une période de stagflation. Le rythme de croissance atteint sur les deux années écoulées n’est pas compatible avec la stabilité des prix. En témoigne la progression de l’inflation (qui n’a jamais reflué en dessous de 4,5%/an depuis la crise du covid et aura été proche de 5% sur l’année 2024) et les tensions sur le marché de l’emploi. Cette expansion de l’économie supérieure à son potentiel a été alimentée à partir de 2023 par une augmentation vigoureuse de la dépense publique. Sur une première phase, les investisseurs et les marchés ont voulu croire que l’orientation prise par le futur Président Lula fin 2022 (avant même l’investiture) d’abandonner la règle de discipline budgétaire (créée en 2017 et qui gelait les dépenses publiques en termes réels pendant 20 ans) et d’ouvrir des marges de manœuvre pour accroître les transferts so-ciaux serait passagère. Que rapidement, le nouveau gouvernement saurait remplacer le fameuse règle (dite de plafond budgétaire) par un autre mécanisme de discipline effi-cace et convaincant. Au début du troisième mandat présidentiel du leader de la gauche, les observateurs qui dénonçaient un populisme économique passaient alors pour des esprits grincheux. Ils sont moins critiqués aujourd’hui.


Les marchés ont perdu leurs illusions tardivement. Il a fallu pour cela que l’Administration Lula présente fin 2024 un dispositif de maîtrise des dépenses publiques fédérales qui n’en était pas un (les mesures annoncées sont très insuffisantes). La facture de l’irres-ponsabilité budgétaire a pris la forme en 2024 de fortes turbulences financières (sur le marché des changes, le réal a dévissé de 27% en un an par rapport au dollar), d’un resserrement de la politique monétaire, d’ une hausse significative des taux d’intérêt et d’un emballement de l’inflation qui pourrait s’amplifier sur les deux prochaines années.


Taux de change du real brésilien (1 USD = BRL) au cours de l'année 2024.

Source : CEPEA/Esalq - USP.


La faute originelle.

Dès son élection, en octobre 2022, Lula souligne qu’il n’a pas abandonné la vieille thèse chère à la gauche de nombreux pays. Cette conception du développement est connue des sociétés latino-américaines qui n’ont jamais vécu dans un véritable système capitaliste de marché. Selon cette conception, le développement est l’affaire d’un Etat entrepreneur, planificateur, distributeur de crédits et protecteur du capital privé national. La vigueur de la croissance dépend aussi de l’Etat qui doit être prodigue pour doper l’activité. L’accroissement des dépenses et des déficits publics est le moteur principal de la croissance.


Lorsqu’il prend ses fonctions, Lula trouve une économie en situation de plein-emploi, qui croît au rythme de 3%. Le chômage est en baisse. L’inflation recule lente-ment. Dès la période de transition, le Président et son futur cabinet ont pourtant pris la décision de stimuler la consommation en augmentant les dépenses, notamment les transferts sociaux aux familles les plus modestes. Avant même l’investiture, le futur exécutif obtient du Congrès le vote d’un amendement constitutionnel qui prévoit l’abandon du mécanisme de discipline budgétaire en vigueur (introduit en 2017 sous la Présidence Temer, qui induisait le gel des dépenses en termes réels sur 20 ans) et l’augmentation des dépenses prévues dans la loi budgétaire de 2023. La hausse n’est pas insignifiante : 168 milliards de BRL, soit 2% du PIB. Il s’agit alors de la plus forte augmentation des dépenses fédérales de l’histoire récente, après celle pratiquée en 2020 pour faire face à la pandémie du Covid 19. Détail essentiel : le correctif budgétaire au début de la crise sanitaire prévoyait des crédits et des allocations exceptionnels et temporaires. L’amendement voté par le Congrès en décembre 2022 (alors que la pandémie du Covid n'était plus qu’un très mauvais souvenir) autorisait une augmentation de dépenses per-manente. L’affectation de crédits supplémentaires et l’élévation substantielle du salaire minimum légal allaient permettre un relèvement des transferts du gouvernement fédéral aux familles (indemnités de retraites, d’assurance chômage, de minimum vieillesse, de complément annuel de salaire (versé aux travailleurs recevant le salaire minimum). En termes réels (ajustés de l’inflation), les transferts totaux à la charge de l’Etat fédéral sont passés de 1100 milliards de BRL en décembre 2022 à 1300 milliards de BRL en octobre 2024.


Alors que des dépenses permanentes augmentent, le gouvernement et le Président répètent que la progression des recettes sera au rendez-vous, au pire en 2024. En réalité, le modeste excédent primaire du secteur public de fin 2022 (1,2% du PIB) se transformera en déficits considérables en 2023 (4,6% du PIB) et en 2024 (8,8% du PIB). La dette publique de l’ensemble du secteur public (assumée par l’Etat fédéral) passe dans le même intervalle de temps de 71,7% à 78,8% du PIB…


Evolution des finances publiques (en % du PIB).

Source : Banco Itau. Solde primaire = solde avant paiement des intérêts de la dette publique. Solde nominal = après paiement des intérêt de la dette publique.
Source : Banco Itau. Solde primaire = solde avant paiement des intérêts de la dette publique. Solde nominal = après paiement des intérêt de la dette publique.

Au début de l’année 2023, analystes financiers et investisseurs ne veulent pas croire que ce gouvernement nouveau pourrait répéter les erreurs de l’Administration Dilma Rousseff qui avaient plongé le pays dans une des pires récessions de son histoire (entre 2015 et 2016). Les grands acteurs du marché financier brésilien qui financent et refi-nancent la dette publique fédérale (qui est avant tout une dette intérieure) oublient cette injection de 168 milliards de BRL dans l’économie et se laissent amadouer par un gouvernement qui annonce de nouvelles règles de discipline budgétaire destinées à remplacer l’ancien plafond abandonné . Les marchés seront d’ailleurs rassurés en août 2023 lorsque le Congrès approuve une loi fixant un cadre budgétaire qui contraint l’exécutif à limiter la croissance réelle des dépenses à 2,5% par an. Tous les économistes sérieux soulignent à l’époque qu’un tel dispositif sera rapidement inapplicable et qu’il ne suffira pas à rétablir sur la durée les excédents primaires qui permettraient de réduire la dette publique.


Le législateur brésilien a approuvé en 2021 une loi créant le statut d’autonomie de la Banque Centrale. A partir de d’août 2023, constatant un reflux de l’inflation, l’autorité monétaire a ramené prudemment son taux directeur de 13,75%/an à 10,5% (en juin 2024). La baisse est jugée très insuffisante par le gouvernement Lula qui ne cesse de tempêter contre le Président de l’Institut d’émission. Pour la gauche au pouvoir, ce dernier serait l’acteur central d’un complot mené par la droite contre le gouvernement de Lula. La fermeté de l'autorité monétaire permettra de contrer l’incontinence budgétaire de l’exécutif et d’éviter que l'inflation ne devienne incontrôlable pendant près de deux ans. Sur le terrain de la politique conjoncturelle, les deux premières années de ce troisième gouvernement Lula peuvent être résumées en affirmant que la discipline budgétaire n’a jamais été à l’ordre du jour (malgré les promesses et nouveaux projets d’ajustement annoncés) et que l’autorité monétaire a fait le travail qu’elle devait faire.


2023-2024 : une économie en surchauffe.


Il faut s’arrêter un instant sur la croissance obtenue au cours des deux premières années du mandat de Lula. Les taux de progression du PIB sont respectivement de 3,2% en 2023 et de 3,6% en 2024. Donc, des résultats à première vue positifs. Cette appréciation est effectivement celle que se plaît à répéter le gouvernement fédéral dans sa communi-cation. Il aurait effectivement raison si ces taux de croissance étaient soutenables. Or, tout porte à considérer que ce niveau de croissance ne peut pas être maintenu indéfini-ment. Notons tout d’abord qu’il s’agit d’une expansion qui, sous l’optique de la demande, est tirée principalement par l’essor de la consommation. Ainsi, en 2023 (et dans une moindre mesure en 2024) la consommation représente autour des 2/3 de la progression de la demande intérieure. D’où vient cette augmentation de la consommation ? Il est principalement lié au relèvement du montent des transferts sociaux dont bénéficient les familles les plus modestes (niveaux des retraites du régime général, bolsa familia, mini-mum vieillesse dit BPC, complément de salaire ou abono, indemnités versées aux chômeurs). Au sein des catégories de ménages qui bénéficient de la progression des transferts sociaux, toute amélioration des revenus se traduit en élévation de la con-sommation. Logique : sur les deux années écoulées, la consommation des ménages reste le moteur principal qu’a cherché à stimuler Lula en accroissant les dépenses sociales. La progression de la consommation a été très régulière sur 24 mois. A l’inverse, la dynamique de l’investissement aura été très irrégulière (contraction en 2023, reprise nette en 2024). La hausse cumulée sur deux ans est de 4%. Enfin, le taux d’investisse-ment (17,6% du PIB fin 2024) reste au Brésil très inférieure au niveau de 25% que tous les observateurs considèrent comme le seuil à partir duquel serait garanti au Brésil une croissance robuste et durable.


La politique budgétaire engagée dès le début de 2023 a donc favorisé les ménages. L’économie a répondu mais les différents secteurs d’activité n’ont pas réagi de la même manière. En 2023 comme en 2024, la croissance du secteur des services est bien plus marquée que celle de l’industrie. Les écarts entre taux de croissance ne sont pas gigantesques (2,8% contre 1,7% la première année, 3,8% contre 3,3% la seconde) mais comme le secteur des services représente une part du PIB (près de 70%) plus grande que celle de l’industrie (10,8%), sa contribution en termes de progression de la valeur ajoutée est très élevée (80% en 2023). En résumé, la dynamique de l’économie stimulée par la politique d’expansion et de déficit budgétaire s’est traduite par une expansion des services, c’est-à-dire d’une branche très hétérogène regroupant des prestations diverses qui ne peuvent pas être importées ( commerce & e-commerce, transport, finance, éducation, santé, tourisme, information-communication, services profes-sionnels et aux familles, services en ligne, etc..). Cela signifie que si les utilisateurs finals consomment plus de services, il faut produire plus de services, c’est-à-dire recruter davantage de travailleurs salariés.


Dans une économie où la quantité de main d’œuvre disponible est importante, où le taux de chômage est élevé, l’augmentation de l’offre de services peut être réalisée sans nuire à l’expansion de l’activité industrielle. Ce n’est pas le cas du Brésil au début du troisième mandat de Lula. Le taux de chômage est déjà alors en baisse. Dans ces conditions, l’accroissement de l’offre de services se fait au détriment de l’expansion des activités industrielles. La consommation supplémentaire de biens manufacturés induit donc une progression des importations. La croissance pendant les deux premières années du mandat a entraîné de facto une progression des importations, l’offre intérieure étant insuffisante pour répondre à la demande en produits industriels. Cette croissance a aussi induit une progression de l’écart de production, le PIB observé étant supérieur au PIB potentiel, le niveau de production compatible avec la stabilité des prix. Le taux de chômage a fortement diminué au cours de ces deux années (de 9,3% en 2022 à 6% fin 2024) mais l’inflation s’est accélérée.


En fin 2023, des économistes clairvoyants répétaient déjà qu’une croissance supérieure à 3% entraînerait de sérieuses difficultés. Ils étaient évidemment récusés par la gauche au pouvoir. S’appuyant sur une expérience historique pourtant récente (celle vécue sous le second gouvernement D. Rousseff entre 2014 et 2016), ces augures annonçaient que la politique menée par Lula allait ouvrir un scénario difficile à terme, avec une combinaison d’inflation élevée, d’endettement public croissant, de hausse des taux d’intérêt, de chute de la monnaie nationale et de contraction de l’activité.


La facture est arrivée.


L'inflation a atteint 4,9% en 2024 (contre 4,6% l’année précédente). Elle se situe donc au-delà de la limite supérieure de la cible de la Banque centrale, fixée à 3% avec une marge de tolérance de +/- 1,5%. Outre une activité économique plus dynamique que prévu (voir plus haut) et les tensions sur le marché du travail entraînant une progression sensible des salaires, cette poussée inflationniste est évidemment alimentée par la forte dépréciation subie par le réal sur la seconde partie de l’année .


La Banque centrale a donc entamé un cycle de resserrement monétaire en septem-bre 2024. Elle a alors augmenté son taux directeur à 10,75%, après l’avoir ramené à 10,5%, contre 13,75% en août 2023. Pour justifier cette première hausse, l’Institut d’émission a évoqué des incertitudes croissantes sur le plan externe (en raison des élections alors à venir aux Etats-Unis et de la politique monétaire de la FED) et interne (le laxisme budgétaire du gouvernement Lula et du Congrès). Face à des pressions inflationnistes persistantes et au désencrage des anticipations d’inflation pour 2024 et 2025 (de plus en plus éloignées de la cible), la Banque centrale a déjà relevé son taux directeur à 11,25% en novembre 2024 puis 12,25 % un mois plus tard. Elle a aussi prévu deux autres augmentations sur les premiers mois de 2025. Ce taux pourrait atteindre 14,75% ou même 15% en fin d’année. Un tel resserrement va peser sur la dette publique. Une partie des titres émis portent une rémunération indexée sur le taux directeur de la Banque centrale.

De leur côté, l’exécutif et le Congrès jouent un jeu qui ne trompe plus les marchés. A la fin de la session parlementaire de 2024, les parlementaires ont adopté un pro-gramme de réduction des dépenses publiques présenté comme un dispositif destiné à éviter un dérapage de la dette publique. Pour les investisseurs, il s’agit d’un nouveau trompe l’œil. Fernando Haddad, le ministre des Finances de Lula, a dû faire des concessions pour faire adopter son programme budgétaire par le Congrès. Le plan d'économie est insuffisant (il prévoit des exonérations qui vont limiter sérieusement les coupes prévues) pour inverser la trajectoire de la dette brute du gouvernement général qui n’a pas cessé de croître depuis janvier 2023 Le ratio dette publique/PIB devrait continuer à augmenter au moins jusqu’en 2030 et dépasserait fin 2026 le niveau observé pendant la crise sanitaire du covid 19 (il serait alors de 88,6% du PIB contre 86,9% en 2020). Le climat de défiance à l’égard de la politique économique de Lula qui prévaut depuis la mi-2024 n’est donc pas prêt de se dissiper.


La dette du gouvernement général (prise en charge par le Trésor fédéral) est une dette financée principalement par captation de l’épargne intérieure. Elle atteint un niveau supérieur à ce qui est observé dans d’autres pays émergents. La dynamique de la dette publique brésilienne contraste d’ailleurs avec la trajectoire de stabilisation observée dans d’autres nations sud-américaines. Les marchés ne peuvent pas être convaincus par quelques ajustements à la marge. Pour inverser la trajectoire de la dette, le gouver-nement fédéral devrait s’attaquer à la progression des dépenses obligatoires qui repré-sentent 92% des crédits budgétaires. A cette fin, il faudrait revoir les règles d’indexation qui font que les dépenses d’éducation et de santé progressent automatiquement avec les recettes fiscales. Ou ces dispositifs qui prévoient que le montant de nouveaux trans-ferts sociaux évolue dans le temps en fonction des hausses du SMIC. Il faudrait aussi avoir le courage de remettre en cause des régimes de retraite spéciaux, les salaires et les multiples avantages dont bénéficient des castes de haut fonctionnaires privilégiés…. Il faudrait encore que le gouvernement fédéral montre clairement et sur la durée qu’il con-tribue à ancrer les anticipations d’inflation au lieu de dénoncer en permanence le soi-disant complot forgé par les dirigeants de la Banque centrale…Pour rétablir la crédibilité de la politique budgétaire, l’Etat fédéral doit chercher à retrouver des excédents pri-maires afin de réduire dans le temps le coût du financement de la dette publique, de restaurer la confiance des marchés (c’est-à-dire ici des épargnants brésiliens et des investisseurs étrangers….


Dette brute du gouvernement général* en % du PIB.

*Etat fédéral + Etats fédérés + autres entités du secteur public; Source : Banco Itau.


C’est à peu près le contraire qui a été fait depuis des mois. La défiance est d’abord venu des investisseurs étrangers. D’où la forte dépréciation du réal observée depuis le début du second semestre 2024. Jusqu’en novembre, les sortes de capitaux (notamment du Brésil vers les Etats-Unis ont atteint 10,6 milliards d’USD, soit le dou-ble du flux observé sur les dix premiers mois de 2023. La situation des finances publiques et l’absence de discipline budgétaire véritable ont élevé la perception du risque chez les investisseurs. La défiance s’est traduite par une véritable saignée sur le marché des changes entre octobre en décembre. Le real a ainsi dégringolé (à plus de 6 réais par dollar), battant ainsi les records nominaux successifs depuis l'adoption du Real. La Banque centrale a été contrainte de vendre au cours de plusieurs opérations menées sur 12 jours la bagatelle de 32,57 milliards de dollars pour stopper l'hémorragie. Jamais une intervention d’une telle ampleur n’avait été enregistrée depuis l’instauration des changes flottants il y a 25 ans.


Dans un tel contexte, les investisseurs exigent des primes de plus en plus élevées pour absorber le volume d'obligations publiques que le Trésor doit mettre sur le marché pour financer les déficits budgétaires récurrents et la dette publique croissante. La perte de confiance se traduit par des taux d’intérêt extrêmement élevés à plus de 15% par exemple sur les titres à dix ans émis par le Trésor. Le taux d'intérêt réel (supérieur à l'inflation) que le Trésor applique aujourd'hui est au même niveau qu'au plus fort de la crise en 2015 et 2016. Mais aujourd'hui, alors que la dette brute représente près de 80 % du PIB, contre 57 % à l'époque, elle augmente beaucoup plus rapidement. La situation est donc beaucoup plus délicate.


Quelles conséquences sur l’économie ?


Le dollar a atteint un niveau record à la fin 2024 et devrait se maintenir autour de 6 réais pendant l’année 2025. Le taux directeur de la Banque centrale pourrait atteindre rapidement 14,25%/an. Les taux réels pratiqués sont très élevés (la courbe des taux d’intérêts nominaux est supérieure à 15%, ce qui signifie une courbe des taux réels supérieure à 7%). Considérons d’abord la forte chute de la monnaie nationale par rapport au billet vert enregistrée en 2024. Celle-ci va impacter les prix intérieurs de tous les biens importés. Le Brésil est un importateur de combustibles et de carburants. Le renchérissement des importations de diesel ou de gaz va mécaniquement entraîner une hausse des coûts de transport et de la facture énergétique. Le décrochage de la monnaie nationale va encore induire une augmentation des prix de produits agricoles et alimentaires importés (blé par exemple) et ceux de certains produits agricoles et alimentaires exportés (viandes, produits de la filière soja, sucre, etc..). Ajoutons encore que de nombreuses entreprises nationales sont endettées en devises étrangères et que l’affaiblissement de la monnaie nationale a déjà sérieusement accru l’importance de leurs passifs, déstabilisé les trésoreries, voire conduit à l’incapacité d’honorer les engagements. Cette dynamique d’appauvrissement relatif du pays pourrait s’accentuer dans les prochains mois si le réal connaît de nouvelles faiblesses. Soulignons cependant qu’elle peut être contenue. Le Brésil dispose de près de plus de 350 milliards de dollars de réserves - près de 250 milliards de dollars nets.


La difficulté majeure est liée aux niveaux des taux d’intérêts. Aucun investissement productif ne permet de dégager une rentabilité supérieure à un taux réel supérieur à 7% par an. Aux niveaux des taux pratiqués désormais, les entreprises reportent leurs projets d’investissements, placent leurs disponibilités sur le marché financier. Pour celles qui sont endettées, les charges financières à assumer finissent par être asphy-xiantes. Le Brésil peut connaître dans les prochains mois une progression des situa-tions d’insolvabilité tant du côté des entreprises que de celui des ménages. Dans ces conditions, l’économie va connaître un ralentissement prononcé en 2025 (la croissance devrait être de 1,8 à 2%), évolution qui devrait peser plus lourdement en 2026. Pour de nombreux observateurs, le scénario pourrait être encore plus sombre. La combinaison d’une forte dépréciation de la monnaie nationale et de taux d’intérêt élevé pourrait accroître l’aversion au risque des investisseurs, entraînant une dégradation plus rapide de l’activité et même une récession dès la fin de 2025…


Un populisme électoral déraisonnable.


Tous les observateurs indépendants savent que Lula va faire tout ce qu’il pourra faire au cours des deux prochaines années pour empêcher une décélération de l’activité économique avant l’élection de 2026. La crise de confiance qui s’est ouverte entre le gouvernement et les marchés financiers en 2024 exige pourtant un net recalibrage de la gestion des finances fédérales. Sinon, le Brésil risque de se retrouver dans un scénario de dominance budgétaire où l'autorité monétaire perd le contrôle de la trajectoire de l'inflation en raison d'une forte expansion des dépenses publiques. La Banque centrale n'est pas en mesure, à elle seule, d'écarter la menace de dérive inflationniste, même si elle a annoncé à la fin 2024 qu'elle augmenterait fortement les taux d'intérêt. Cette annonce permet de gagner du temps. Mais s’il n’y a pas de changement clair de politique budgétaire sur les mois à venir, la menace d’un glissement vers la dominance budgétaire sera de plus en plus forte.


Le grand risque désormais est que le gouvernement fédéral persiste dans le laxisme et fasse tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher un ralentissement de l'activité économique jusqu'à la fin de 2026, date de l'élection. Il est d’ailleurs suivi par un Congrès où les partisans d’un ajustement budgétaire sont assez minoritaires. En réalité, le Président et son parti ont un objectif central : créer les conditions qui permettraient à Lula d’être réélu pour un quatrième mandat en 2026. La gestion macroéconomique est d’abord inspirée par la stratégie électorale. La chute du réal et les tensions inflationnistes sont perçues par le pouvoir politique comme des dommages collatéraux qu’il faut tolérer…Le gouvernement justifie aujourd’hui cette gestion en avançant que l’économie se porte bien, que la croissance observée débouche sur le plein emploi, sur la réduction de la pauvreté. Il ne cesse de répéter depuis des mois que la rigueur imposée par la Banque centrale est une machination contre la politique sociale généreuse conduite avec courage par Lula.


Un pari déraisonnable.


Le resserrement de la politique monétaire engagé en 2024 peut éviter un temps une forte progression de l’inflation, guère plus. Tant que l’exécutif ne lève pas le pied de l’accélérateur en matière de dépenses, le ratio de la dette publique par rapport au PIB va continuer à augmenter (la facture des intérêts sera plus élevée et le déficit à financer plus important). L’ensemble des investisseurs dans le monde vont donc considérer que pour se financer le Brésil doit assumer des primes de risque plus élevée. Au ralentis-sement de l’activité généré par le durcissement des conditions de financement, le gouvernement répondra par plus de prodigalité en matière de dépenses. On peut ainsi parfaitement imaginer d’ici à 2026 un nouveau train de mesures destinées à renforcer les transferts sociaux, à renflouer temporairement les budgets des ménages les plus modestes, à pousser ainsi artificiellement la croissance.


Tant qu’elle le pourra, l’autorité monétaire fera tout pour freiner la progression de la demande alors que l’Etat fédéral sera mobilisé pour atteindre l’objectif opposé. Il est pro-bable que l’Etat gagnera cette épreuve de force et que l’inflation continuera à progresser. L’exécutif fédéral imagine d’ailleurs sans doute qu’au milieu de cette bataille, des divisions puissent apparaître entre les gouverneurs de la Banque centrale et que celle-ci finisse par s’incliner… Si tel n’est pas le cas, la situation de dominance fiscale apparaîtra lorsque la Banque centrale perdra le contrôle de l’économie, lorsque ses initiatives de lutte contre l’inflation commenceront à avoir des effets négatifs. On peut ainsi imaginer que suite à une élévation des taux d’intérêt, le réal se déprécie par rapport au dollar, que les anticipations d’inflation se dégradent, que la perception du risque aug-mente.


Le pari de Lula et de son camp est déraisonnable. Rien ne permet de considérer que l’appréciation du dollar et l’envolée des prix n’atteindront pas des proportions qui menaceront le projet de réélection de Lula en 2026. En fin 2025 et au cours de 2026, l’inflation des biens essentiels (alimentation, transport, énergie) peut atteindre des ryth-mes très élevés. La valse des étiquettes touchera évidemment avant tout les ménages les plus pauvres. Le ralentissement de l’activité déjà annoncé peut précéder la récession, c’est-à-dire une dégradation de l’emploi, la baisse des revenus. Lula et son camp pourront alors insister pour blâmer les marchés financiers, dénoncer un complot diabolique. Ces arguments ne suffiront pas à convaincre les couches populaires et des classes moyennes. Lula et les forces politiques qui le soutiennent pourraient alors perdre leur pari et connaître une sévère défaite électorale en 2026 pour avoir mis en péril la stabilité économique, c’est-à-dire l’acquis le plus cher à la société brésilienne depuis trente ans. Si les prévisions les plus sérieuses se vérifient dans les prochains mois, la gauche au pouvoir aura provoqué à nouveau un désastre économique. Les millions de pauvres brésiliens n'auront alors qu’une seule consolation en 2026 : la déroute électorale de ceux qui prétendent depuis des décennies les représenter et les défendre.

 

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Qui sommes nous?

Jean-Yves Carfantan, économiste, consultant en économie agricole. Analyse et suit l’évolution de l’économie et de la politique au Brésil depuis 30 ans. Vit entre São Paulo et Paris.  Il anime ce site avec une équipe brésilienne formée de journalistes, d’économistes et de spécialistes de la vie politique nationale.

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