top of page

Petrobras, à nouveau la menace populiste (3).


La formation des prix des carburants au Brésil.


En quinze ans, entre 2005 et 2020, la production brésilienne de pétrole brut est passée de 1,63 à 2,95 millions de barils/jour, soit un bond de 80,9%. Le Brésil est en ce début de décennie le premier pays producteur de pétrole du monde latino-américain devant le Venezuela (dont la production a plongé depuis 2010) et le Mexique. Depuis 2008, le pays produit plus de pétrole qu’il n’en consomme. L’autosuffisance a été atteinte grâce à la mise en exploitation des gisements dits du Pre-Sal, au large des côtes du Sud-Est. Cela peut sembler paradoxal : alors que les exportations sont de plus en plus importantes, le pays continue à importer des volumes significatifs de pétrole brut. En 2020, les livraisons sur le marché international ont atteint en moyenne 1,37 million de barils/jour. Elles ont été destinées principalement à la Chine. La même année, les importations ont été en moyenne de 0,13 million de barils/jour. (en baisse suite à la crise sanitaire). Elles prove-naient principalement de pays d’Afrique et du Proche-Orient. Le Brésil est aussi un importateur de dérivés du pétrole. C’est le cas de l’essence (la production nationale ne couvre pas la demande) et surtout du diesel (autosuffisance inférieure à 75%).


Evolution de la production, des exportations et importations de pétrole brut.

(millions de barils/jour).

Source : Instituto Brasileiro de Petroleo.


Un parc de raffineries inadapté et désuet.


L’autosuffisance du Brésil en pétrole et dérivés est donc une autosuffisance théorique. La situation paradoxale que connaît la filière pétrolière du pays est liée au profil de l'in-dustrie de raffinage. Les technologies dont dispose cette industrie ne sont pas adaptées aux qualités de pétrole que fournissent les gisements exploités sur le territoire national. Le parc industriel existant n’est pas capable de raffiner une part importante de la ressour-ce fossile extraite sur les sites de production et de couvrir toute la demande interne en produits dérivés. Le Brésil est donc conduit à exporter du pétrole brut et à importer des combustibles et d’autres sous-produits du raffinage.


En 2020, on recensait 17 raffineries de pétrole en activité dans le pays. Elles représen-taient ensemble une capacité de traitement de 2,4 millions de barils/jour. Sur ces 17 pla-teformes industrielles, 13 appartiennent à la compagnie nationale Petrobras et repré-sentent ensemble 98,6% de la capacité de raffinage existante. La plus importante instal-lation pilotée par Petrobras est la Replan, localisée sur la commune de Paulinia, dans l’Etat de São Paulo. Le site a une capacité installée de 434 000 barils/jour (18% du total national). Il a été créé en 1972. Dans l’ensemble, l’outil de raffinage exploité par Petrobras est un outil ancien. Onze des treize raffineries (représentant 91,5% des capacités de raffi-nage du pays) ont été inaugurées avant 1980. Elles n’ont pas été conçues pour traiter les types de pétrole que l’on produit aujourd’hui au Brésil. Ces capacités industrielles ont été créées pour l’essentiel entre les années 1950 et les années 70 pour traiter un pétrole im-porté qui provenait pour l’essentiel du Moyen-Orient. Ce pétrole léger permet de pro-duire de grandes quantités de dérivés légers à forte valeur ajoutée (gaz naturel, essence, nafta, gaz liquéfié, kérosène d’aviation, diesel). Le raffinage fournit peu de dérivés à faible valeur ajoutée comme l’asphalte ou les lubrifiants industriels. A l’époque de la dictature militaire (1964-1985), le pays a pratiquement doublé sa capacité de raffinage. Sur la période, la production nationale de pétrole ne couvrait qu’une faible part de la demande. Le Brésil importatait donc une large part de ses besoins en or noir.


Sur les dernières décennies, la combinaison de plusieurs évolutions ont conduit le pays à devenir à la fois exportateur et importateur de brut et importateur de produits dérivés :


- La première est la forte croissance de la demande intérieure de produits pétroliers. Ainsi, en matière de carburants, sur les vingt dernières années, on a assisté à une forte hausse des ventes par les distributeurs. La progression est de 71,9% pour l’essence dite C entre 2001 et 2020. Elle atteint 54,7% pour le diesel. Cette croissance de la demande en carburants est lié à l’essor du parc national de véhicules et de l’activité de transport, eux-mêmes associés à l’évolution des grands indicateurs économiques.


- La seconde évolution est liée à la stratégie de la compagnie Petrobras et aux choix de politique pétrolière faits par les gouvernements successifs. Pour assurer une rentabilité satisfaisante de ses activités, Petrobras a dû concentrer ses investissements sur l’explo-ration et la production de pétrole. Avec la mise en place d’un nouveau code pétrolier pour l’exploitation des gisements off-shore du Pre-Sal, l’entreprise a été contrainte d’entrer comme exploitant principal sur tous les gisements nouveaux mis en production. Les charges d’investissement considérables assumées au cours de la période 2000-2015 n’ont pas permis à la compagnie d’assurer des investissements de modernisation et d’ac-croissement de ses capacités en raffinage. Les raffineries qu’elle exploite aujourd’hui sont obsolètes et les techniques de production utilisées n’ont pas fait l’objet d’améliorations substantielles.


- Il faut aussi mentionner un troisième élément. Pour garantir le quasi-monopole de la compagnie nationale, l’Etat fédéral, notamment pendant les gouvernements Lula et Dilma Rousseff (entre 2002 et 2016), n’a pas favorisé l’entrée d’opérateurs privés nationaux ou étrangers dans le secteur du raffinage. Les rares capacités nouvelles créées à la fin des années 2000 portent sur des volumes extrêmement limités (7 253 barils/jour et 7 800 t./jour de schiste brut).


- Enfin, la production nationale de pétrole brut a fortement augmenté entre 2005 et 2020, avec la mise en exploitation de gisements du Pre-Sal.


Dans ces conditions, pour pouvoir traiter le pétrole national plus lourd que la ressource importée, les sites nationaux de raffinage doivent traiter un mélange de brut d’origine brésilienne et de pétrole plus léger fourni par les pays producteurs du Proche-Orient ou par le Nigeria. En outre, les importations ne concernent pas seulement la ressource utilisée par les raffineries. Le Brésil importe des produits dérivés, notamment du diesel et de l’essence.


La politique de prix du raffineur national.


Comment la compagnie Petrobras établit-elle les prix des produits dérivés qui sortent des raffineries et qui sont facturés aux entreprises qui assurent leur distribution ? On considèrera ici l’exemple des carburants (essence, diesel). Les prix évoqués ci-après sont les prix que pratique la firme pétrolière et qui incluent ses coûts de production et ses marges. Désignés sous le terme de "prix de réalisation", ils ont été établis à partir de deux approches distinctes au cours des dernières décennies.


Jusqu’en 2016, les prix sortie raffineries des carburants étaient fixés en fonction des ob-jectifs de politique économique du principal actionnaire de la compagnie : l’Etat Fédéral. Ces prix ne reflétaient pas l’évolution des marchés internationaux de produits pétroliers. Ainsi, les fluctuations à la hausse des cours du baril et des produits dérivés exprimés en monnaie nationale n’étaient pas immédiatement et intégralement répercutées sur les prix facturés aux distributeurs. Ce déphasage signifie que Petrobras subventionnait la con-sommation, finançait sur sa trésorerie le report de l’ajustement des prix des produits dé-rivés. Elle parvenait à récupérer après de nombreux mois (l’ajustement autorisé des prix facturés aux distributeurs intervenait plusieurs fois par an) une partie du coût assumé. L’objectif de cette politique de prix était de tenter de freiner l’inflation. En pratique, avec les fortes hausses des cours mondiaux du brut intervenues entre 2005 et 2009, puis entre 2010 et 2015, la compagnie nationale a accumulé de sérieuses pertes financières qui ont contribué à son endettement. Le contrôle artificiel des prix des carburants pratiqué entre 2011 et 2016 a provoqué une perte financière pour l’entreprise pétrolière estimée à 75 milliards de réais. Il a contribué à l’aggravation de l’endettement du groupe qui est passé 54,9 à 106,2 milliards de dollars entre 2011 et 2014. La compagnie a été déclassifiée par les agences de notation. Cela signifie que le groupe Petrobras assume aujourd’hui un coût plus élevé que ses concurrents lorsqu'il cherche à lever des fonds pour financer son développement.


A partir de 2016, une des mesures prises pour améliorer la situation financière de la com-pagnie a été d’abandonner le dispositif de contrôle des prix de produits dérivés. Petro-bras a alors mis en œuvre une politique tarifaire dite de prix de parité internationale. Le prix de l’essence et du diesel facturé par le raffineur national aux distributeurs de carbu-rants a fluctué en fonction de deux paramètres : le cours en dollars du baril de pétrole sur le marché international et l’évolution du taux de change du dollar par rapport au réal. Après 2016, sur une première période d’application de la nouvelle politique de prix, les variations à la hausse ou la baisse ont été très fréquentes, en fonction des fluctuations du marché international. En septembre 2018, les réajustements des prix sortie raffineries ont été réalisés tous les quinze jours. Depuis 2019, ces réajustements sont effectués en fonction de l’évaluation par la compagnie des conditions de marché et de l’environ-nement international. De janvier à mars 2020, le prix sortie raffineries de l’essence a baissé, reflétant la forte baisse des cours mondiaux du pétrole. Les importateurs brésiliens ne subissaient pas encore sur la période l’effet de la dépréciation du réal. Entre avril 2020 et février 2021, le prix de l’essence sortie raffineries a augmenté de 75%, les réajustements successifs traduisant à la fois l’impact de l’appréciation du dollar par rapport à la monnaie brésilienne et la dynamique de redressement des cours internatio-naux de l’or noir.


La formule utilisée par Petrobras pour ajuster ses prix sortie raffinerie n’est pas connue. La compagnie doit tenir compte de l’activité des opérateurs qui réalisent les importations de produits dérivés. Lorsque cet ajustement est supérieur à la variation justifiée par l’évo-lution des prix internationaux, les marges des importateurs s’améliorent. Le mouvement à l’importation augmente, favorisant l’approvisionnement du marché domestique. Lorsque l’ajustement des prix sortie raffineries n’est pas suffisant (par rapport à l’évolution des prix mondiaux), les importateurs subissent une érosion de leurs marges. Un ajustement trop faible ou trop tardif peut affecter les résultats de la compagnie (qui achète du pétrole sur le marché international). Il peut aussi rendre l’activité d’importation de produits dérivés insuffisamment rentable et déboucher sur des pénuries sur ces produits. Sur une période de temps donnée, les variations du prix sortie raffinerie ne suivent pas exactement les variations observées sur le marché international calculées après prise en compte du taux de change.


Evolution des prix sortie raffinerie de l'essence au Brésil et sur le Golfe du Mexique.

Source : Petrobras


De la raffinerie à la pompe.


Au Brésil, le marché de la distribution des carburants est dominé par trois entreprises : BR Distribuidora, Raizen et Ultrapar (réseau Ipiranga). Ces trois firmes représentent en-semble une part de marché de plus de 63% pour l’essence et de plus de 71% pour le diesel. Sur les dernières années, de nouveaux concurrents sont apparus dans le secteur. Ces entreprises sont approvisionnées en produits dérivés importés.


Avant de livrer les carburants au réseau de revente que sont les pompistes, les entre-prises de distribution doivent ajouter de l’éthanol à l’essence et du biodiesel (diester) au diesel. L’essence qui est vendue à la pompe est un mélange d’essence commune (dite A) et d’éthanol anhydre (27% minimum). On parle d'essence C. Le diesel est un mélange de diesel fourni par la raffinerie et de biodiesel (12%). Le prix hors taxes que va facturer l’entreprise de distribution comprend donc outre le coût d’achat de l’essence commune et du diesel les dépenses engagées pour acquérir l’éthanol et le biodiesel.


A ces éléments, pour arriver au prix final, il faut ajouter deux composantes essentielles : les impôts ainsi que le coût et la marge du revendeur. Trois impôts ont une incidence forte sur le prix des carburants à la pompe : l’ICMS, la CIDE et les taxes dites PIS, PASEP et COFINS. L’ICMS est un impôt perçu par les Etats fédérés. Il est prélevé sur toutes les marchandises et services commercialisés. La CIDE est une taxe fédérale destinée à ali-menter un fonds d’investissements en infrastructures de transport et en projets environ-nementaux destinés à réduire l’impact de la filière des énergies fossiles. PIS PASEP e COFINS sont des prélèvements destinés à financer diverses prestations sociales.


Les coûts du revendeur (gérant de postes de vente) dépend du prix d’achat des carbu-rants (qui peuvent varier selon la localisation du poste) et des frais liés à la commercia-lisation.


Différentiel des prix à la pompe des carburants (février 2021).

Source : ANP.


La part de ces composantes dans le différentiel du prix final de l’essence et du diesel va varier dans le temps. On se réfère ici à des données moyennes pour le mois de février 2021. Au début du mois, l’essence C était vendue à la pompe à un prix final moyen de 4,81 réais par litre (0,74 euro). Sur ce prix final, la part du prix sortie raffinerie était de 29%. Les impôts et taxes représentaient 44% du prix facturé à l’automobiliste. Le coût de l’éthanol anhydre et des opérations de mélange était de 15%. La part de l’entreprise de distribution et du revendeur était de 12%.


Dans le cas du Diesel (vendu en moyenne à 3,85 réais le litre en février 2021), le poids des impôts et taxes est plus faible (23%). La part prélevée par Petrobras est plus importante que pour l’essence (47%). Cela signifie que le prix final du diesel est plus sensible que celui de l’essence aux fluctuations des cours sur le marché international et aux mou-vements du taux de change.


Depuis avril 2020, Petrobras a reajusté à la hausse les prix de l’essence et du diesel sortie raffineries. Sur les premières semaines de l’année 2021, à la date du 8 mars, la compagnie a procédé à six relèvements successifs des prix de l’essence et du diesel. Par rapport aux tarifs pratiqués à la fin décembre 2020, le prix de l’essence a ainsi augmenté de 54,3%. Pour le diesel, la hausse est de plus de 41%.


De telles hausses ne laissent évidemment pas les usagers indifférents. Depuis le début de cette année, la colère monte dans le secteur du transport routier. Les camionneurs menacent de mettre le pays à l’arrêt en lançant une grève comparable à celle de 2018.


Le gouvernement fédéral et les pouvoirs publics locaux réagissent une nouvelle fois en cherchant à intervenir sur les prix afin de freiner des hausses qui ont un impact marqué sur les indicateurs d’inflation. Leurs marges de manœuvre sont très limitées. En théorie, ils peuvent choisir de réduire les prélèvements fiscaux pour compenser les hausses des tarifs sortie de raffineries. Néanmoins, la diminution des taux de l’ICMS (qui varient d’un Etat à l’autre) sont diminués, l’initiative peut aggraver les difficultés financières des Etats fédérés, déjà très importantes. La baisse des autres prélèvements pose la question du financement des investissements en infrastructures (CIDE), déjà très limité, ou celui de diverses prestations sociales.


Si l’Etat fédéral imposait à Petrobras de revenir au mécanisme de fixation des prix utilisé jusqu’en 2017, il remettrait en cause tous les efforts engagés par la compagnie pour redresser sa situation financière et fragiliserait considérablement son développement dans l’avenir.


(à suivre : Quelle issue au bras de fer Petrobras-Bolsonaro ?)


43 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page