Un pays émergent qui vieillit....rapidement (1).
- Jean Yves Carfantan
- il y a 2 jours
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Une révolution démographique.
C’est une mutation en profondeur qui a commencé il y a quelques décennies. Une muta-tion qui ne suscite guère d’effervescence dans les médias. Cette mutation est pourtant décisive pour l’avenir du premier pays d’Amérique du Sud : le Brésil vieillit. La révolution démographique en cours ne fait pas de bruit. Elle marque une rupture avec le passé récent. Entre la fin du XIXe siècle et la première moitié du siècle suivant, le pays a connu un véritable boom démographique (1) . En 1900, il comptait 18 millions d’habitants. Cin-quante ans plus tard, la population était évaluée à 54 millions de personnes, soit trois fois plus. Elle dépassait 100 millions en 1975 et 200 millions trente ans plus tard. Depuis deux décennies, le rythme de croissance s’affaiblit. Selon les dernières prévisions, la popu-lation brésilienne devrait atteindra un pic de 232,7 millions d’habitants en 2045 puis dimi-nuera ensuite.
Le Brésil connaît depuis les années 1980 la transition démographique, ce passage d’un régime traditionnel où la fécondité et la mortalité sont élevées et s’équilibrent à peu près à un régime où la natalité et la mortalité sont faibles. Cette transition se traduit par un vieillissement de sa population. En 1950, le nombre d’enfants et d’adolescents âgés de 14 ans et moins était de 22,7 millions d’individus, soit 42% de la population totale. Les personnes âgées (60 ans et plus) constituaient alors un groupe presque marginal (2,1 millions, 3,9% du total). En 2023, les moins de 14 ans ne représentaient plus que 20,1% des 211,7 millions d’habitants. La part des plus de 60 ans était alors de 15,6%. En 2029, le nombre de personnes âgées (40,09 millions) sera pour la première fois supérieur au nombre de jeunes (39,3 millions). Désormais, le Brésil va compter de moins en moins d’enfants et d’adolescents et de plus en plus de personnes du troisième âge. Les pro-jections démographiques indiquent 31,15 millions de jeunes en 2045 et 60,3 millions de personnes âgées de 60 ans et plus. En 1950, le Brésil comptait plus de 10 fois plus de jeunes que de personnes âgées, et en 2045, il y aura presque deux fois plus de person-nes âgées que de jeunes.
Population en millions d'habitants (projections à partir de 2023).

Source : IBGE.
Le premier post de cette série est consacré à l’analyse de la révolution démographique en cours. Un second post abordera les opportunités et les défis qu’entraîne cette révolution. Enfin, un dernier post traitera d’un défi majeur : celui de l’avenir des régimes de retraites et pensions.
Le Brésil d’hier.
Comme ailleurs dans le monde, la transition démographique est d’abord marquée par une baisse des taux de mortalité. Le taux brut de mortalité est passé de 20,9 ‰ à 14,2 ‰ entre les années 1940 et les années 1950, puis à 9,8 ‰ dans les années 1960, tandis que les taux bruts de natalité n'ont commencé à décroître que dans les années 60, passant de 38,7 ‰ pendant cette décennie à 21,4 ‰ dans la première moitié de la décennie 1990.
Taux de mortalité et de natalité sur plusieurs décennies.

Source : IBGE (projections à partir de 2025).
Le pays est entré très tôt dans l’ère industrielle (années trente). L’urbanisation y est très précoce (en 1965 déjà, plus d’un Brésilien sur deux vit en ville). L’accès à la modernité est cependant longtemps resté réservé aux couches les plus aisées, une minorité. Cette mo-dernité a d'abord été sur plusieurs décennies une modernité économique. Elle n’est pas accompagnée par la création de mécanismes et d’institutions efficaces et universels de sécurité et de protection sociale. C’est donc au sein de la famille élargie et entre gé-nérations que fonctionnent des règles de solidarité et d’assistance. Le déphasage entre l’essor économique du pays et son retard en matière de politiques sociales et de promotion du capital humain est sans doute l’explication d’une transition de la fécondité très tardive et réalisée sur un intervalle de temps relativement court.
Pendant les 460 premières années de l’existence du pays, le nombre moyen d’enfants par femme est resté supérieur à 6 (le taux de fécondité est par exemple de 6,21 en 1950). Sur cette période, le Brésil sera longtemps un pays pauvre, rural, où la vie familiale et l’organisation sociale sont dominées par le patriarcat et le modèle de la famille élargie. Les femmes n'ont ni autonomie ni grandes perspectives professionnelles. Leur espé-rance de vie est très limitée et elles consacrent la majeure partie de leur existence à la maternité, à l'éducation des enfants et au travail domestique au foyer. Dans cette société longtemps marquée par la très forte empreinte d’un catholicisme conservateur et de fatalisme, coexistent jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale des taux de mortalité et de natalité élevés.
A partir de la seconde moitié du siècle dernier, le taux de mortalité infantile diminue. C’est aussi le cas pour la mortalité maternelle. L’espérance de vie à la naissance s’élève. Un Brésilien né en 1940 pouvait imaginer vivre en moyenne 40 ans. Son arrière-petit fils né en 1990 a une espérance de vie de 66 ans. Les prémices d'une baisse générale de la fécondité apparaissent au Brésil dans la première moitié des années 1960 mais le mouvement est encore très lent. L’indice synthétique de fécondité est encore proche de 5 en 1970. La dynamique va s’accélérer au cours des trois décennies qui vont de 1980 à 2010, période pendant laquelle cet indice tombe de plus de 4 à 1,79. Par sa vitesse et son calendrier, cette transition est comparable à celle du Mexique, mais se distingue fortement de celle de pays voisins comme l’Argentine, où la baisse de la fécondité a commencé au début du XXe siècle. Au Brésil, toutes les régions sont concernées par cette transition vers une faible fécondité, qui s'opère d'autant plus rapidement que le taux initial était plus élevé. Ainsi sur la période 1980 à 2010, l’indice synthétique de fécondité tombe dans le Nord-Est de 6,1 enfants par femme à 2,02 et, dans le Sud, de 3,63 dans à 1,7.
Taux de fécondité et effectifs de femmes en âges de procréer.

Source : IBGE.
Le nombre de femmes en âge de procréer (15-49 ans) est passé de 12,9 millions en 1950 à un pic de 56,46 millions en 2021. En conséquence, le nombre annuel de naissances qui était de 2,47 millions de bébés en 1950 va progresser pour culminer à 4 millions au cours de la période quinquennale 1981-1985. Le nombre annuel de naissances diminue ensuite jusqu'au début des années 2020, mais il reste proche de 3 millions de bébés. Dans une société à forte fécondité, les familles se multiplient. La croissance de la population est de type exponentiel sur quelques générations (2).
Jusqu’en 1980, même s’il est déjà très urbanisé (près des deux tiers des habitants vivaient en ville il y a quarante ans) le pays garde des comportements hérités de l’ancienne so-ciété agraire et rurale où le coût des enfants était faible et les avantages d’une progé-niture nombreuses élevés. Longtemps (et jusqu’aux années 1970-80 dans plusieurs ré-gions), les jeunes nés et élevés en milieu rural n’étaient pas scolarisés. Ils n’étaient pas consommateurs et ne représentaient pas une source de dépenses monétaires impor-tantes. En revanche, ils contribuaient très tôt à la production agricole de subsistance, aux tâches domestiques, à d'autres travaux et à la prise en charge de générations plus âgées. Dans cette société agraire et rurale, la mortalité infantile élevée était compensée par une fécondité élevée et le coût de la mortalité était faible. Avoir beaucoup d'enfants était alors un comportement rationnel, car les parents (les générations plus anciennes) dépensaient peu pour leurs enfants et recevaient d'eux de nombreux avantages moné-taires et autres. Ainsi, dans le régime de fécondité élevée, le flux intergénérationnel de richesse (argent, biens, services et protection contre les risques) allait des enfants aux parents, ou des nouvelles générations aux anciennes. En d'autres termes, les enfants étaient une source de la richesse et de sécurité pour leurs parents, les petits-enfants assumaient ce rôle vis-à-vis de leurs grands-parents, etc.
La croissance des familles et, par conséquent, de la population, était une stratégie visant à garantir la fortune et la protection des générations plus âgées. Le transfert inter-générationnel vise à assurer la prise en charge par les jeunes des plus anciens. Dans le modèle de famille élargie qui prévaut alors, les générations cohabitent. Le taux d’épar-gne est faible car l'investissement se fait dans la quantité et non dans la qualité de vie des enfants. Avec le processus de modernisation et la croissance de la société urbaine et industrielle, les conditions de vie et de fonctionnement des familles changent fortement. Les enfants doivent aller à l'école (la loi impose la scolarisation obligatoire et interdit le travail des enfants dans les années 1990). Ces enfants deviennent des consommateurs de biens et services essentiels (alimentation, santé, logement, habillement) et secon-daires (loisirs, transport, etc..). L’éducation d’une progéniture devient un coût de plus en plus élevé. Parallèlement à l'augmentation du coût des enfants, les avantages écono-miques que pouvait représenter une descendance nombreuse diminuent et dispa-raissent. Les séparations de couples n’éliminent plus les engagements des parents envers les enfants (pensions obligatoires au parent assurant la garde).
Le Brésil a tardé à créer des systèmes de protection sociale qui permettent aux parents de ne plus dépendre financièrement de leurs enfants lorsqu’ils sont âgés. L’univer-salisation de l’accès à la santé, la création de dispositifs de solidarité entre génération et de protection contre les risques sociaux par l’Etat date de la Constitution de 1988. En conséquence, pendant une longue période après l’industrialisation et l’urbanisation, la population dans sa majorité a conservé une culture pro-natalité. Dans la société tradi-tionnelle qui prévalait encore il y a quelques décennies dans un Brésil rural ou récem-ment urbanisé, le modèle familial dominant était le modèle patriarcal, avec une forte inégalité entre les sexes. Les hommes étaient seuls responsables des revenus de la famille. Les femmes devaient se consacrer avant tout à leur vie de mère et rester à l’écart du marché du travail.
Au cours des années soixante et soixante-dix, le Brésil s’urbanise et se modernise. Il s’industrialise et connaît une forte croissance. Ce processus ne s’est pas traduit auto-matiquement par une transition immédiate d’un régime de fécondité à l’autre. Dans les régions les plus pauvres du pays comme le Nord-Est, la forte fécondité reste un avan-tage. Les enfants sont alors envoyés travailler dans les grands bassins industriels du Sud-Est avec obligation de retourner tout ou partie de leurs salaires vers les plus anciens. Partout, dans cette société qui s’était préparée pendant des siècles à maintenir un taux de fécondité élevée et qui avait créé une culture pro-nataliste, les résistances à la baisse de la natalité seront longtemps fortes. L’ordre patriarcal persiste encore pendant encore quelques décennies. Cet ordre valorise les femmes en tant que ménagères, épouses et mères dévouées. Le poids et l’influence de l’église catholique, les inégalités entre sexes du point de vue de l’accès à l’éducation et à la culture limitent le changement dans les relations entre les hommes et les femmes. En d’autres termes, le processus d’érosion des structures familiales traditionnelles et de promotion d’une dynamique de nucléarisation entraînant une baisse de la fécondité est retardé par rapport à la dynamique précoce d’urbanisation et d’entrée dans l’âge industriel.
Ruptures récentes.
Jusqu’à la fin des années 1980, l’Etat brésilien n’a pas fait grand-chose pour éviter ce retard. La protection sociale ne concerne qu’une minorité de familles et de citoyens qui ont la chance d’être intégrés à l’économie formelle urbaine. La majorité pauvre n’a ni accès garanti aux soins, ni protection contre les risques de la vie (vieillesse, accident, maladie). Les taux de scolarisation des enfants sont très faibles dans les couches les plus modestes de la société. La planification familiale ne fait pas partie des objectifs du gou-vernement. Il se contente de tolérer un travail de sensibilisation au contrôle des naissan-ces réalisé par des ONGs et associations privées qui bénéficient de soutiens financiers étrangers. Ces acteurs animent des programmes de formation, créent des sites de soins et des centres d’information. Ils promeuvent avec succès l’utilisation de méthodes con-traceptives (pilule, stérilisation) (3). Leur action sera décisive pour conférer aux femmes et aux couples la liberté de décision, la liberté d'initiative et pour surmonter les préjugés, l'ignorance et le fatalisme. Bien qu'interdit, l'avortement est pratiqué dans tous les milieux sociaux.
A partir du début des années 1990, les pouvoirs publics vont jouer un rôle plus consé-quent dans l'augmentation de la demande de régulation de la fécondité et la réduction conséquente du taux de natalité au Brésil. La constitution de 1988 a permis la création d’un Système Universel de Santé (SUS) gratuit. La quasi-totalité de la population âgée va bénéficier d’allocations d’assistance, de prestations de retraites ou de pensions. Même si ces mécanismes de solidarité restent souvent insuffisants, ils permettent aux générations les plus âgées de gagner en autonomie financière par rapport aux générations plus jeunes. A partir des années 1990, les nouvelles générations auront accès plus qu’aupa-ravant à l’éducation.
L’urbanisation accélérée, le développement des télécommunications et des transports, la scolarisation devenue effectivement obligatoire au niveau du primaire, l’émancipation des femmes (qui est là pour durer) et leur accès au marché du travail, l’accès progressif de nouvelles catégories sociales à l’enseignement supérieur vont provoquer sur les der-nières décennies un changement rapide de la dynamique familiale. La baisse de la fécondité conduit les familles à investir davantage dans la qualité de l'éducation que dans le nombre d'enfants. Dans une société à faible fécondité, les familles sont moins nombreuses qu’auparavant. Des familles plus petites ont tendance à progresser en termes de capital humain et de mobilité sociale. Elles tendent à être plus égalitaires entre les sexes et plus riches. Le couple qui élève un enfant ou deux peut consacrer plus de temps à l’éducation de sa progéniture. Comptant sur deux sources de revenu, il dispose de plus de ressources pour investir dans la qualité de vie de sa descendance.
Familles d'hier et d'aujourd'hui.

Le Brésil est finalement entré dans un régime de basse fécondité à la fin du XXe siècle. On observe alors, au moins au sein d’une classe moyenne qui s’élargit, de nouveaux comportements familiaux qui s’apparentent à ceux du monde occidental avancé. Les jeunes parents peuvent investir dans la qualité de vie d’une progéniture réduite plus que dans le nombre de descendants. Il se produit d’ailleurs une inversion du flux de richesses intergénérationnel. La famille mononucléaire bénéficie de transferts de la part des géné-rations plus anciennes. Ces transferts peuvent être financiers (héritages, donations) ou prendre la forme de services gracieux (temps consacrés aux petits enfants, prise en charge, etc..). Avec l’inversion de la relation coût/bénéfice des enfants et du flux inter-générationnel de ressources, la fécondité diminue. Dans le Brésil urbain du 21e siècle, le bien-être des jeunes familles dépend très souvent du soutien des grands-parents. Les mères qui travaillent et comptent sur le soutien des grands-parents, en particulier les grands-mères, obtiennent des gains salariaux plus élevés. Les soins prodigués par les grands-parents sont également bénéfiques pour leurs petits-enfants. En général, la présence d'un grand-parent réduit la mortalité infantile et améliore les résultats scolaires des enfants. En d'autres termes, la coexistence intergénérationnelle est en moyenne bénéfique pour l'ensemble de la famille et pour le pays.
Pyramide des âges et bonus démographique.
De 2010 à 2025, le taux de fécondité a continué à baisser (de 1,79 à 1,6 enfant). Pour le reste du XXIe siècle, il devrait rester à peu près stable, entre 1,6 et 1,5 enfant par femme, soit un taux inférieur au seuil de remplacement (2,1 enfants par femme). Le nombre de naissances, en revanche, continuera à diminuer car, outre un faible taux de fécondité, le nombre de femmes en âge de procréer diminue depuis 2021 et va continuer à baisser selon les projections les plus récentes. Le nombre des naissances avait atteint le pic des 4 millions au début des années 1980. Il est passé sous la barre des 3 millions en 2009, puis en dessous de 2,5 millions de bébés en 2025. Il devrait se situer autour de 2 millions en 2041 ou 2042. Le nombre annuel de naissances aura donc été divisé par deux en 60 ans.
Le boom démographique des décennies suivant la Seconde Guerre mondiale et une espérance de vie encore limitée se sont traduits par une pyramide des âges à base très large et à sommet étroit. Dans cette configuration démographique, la structure d'âge brésilienne était très jeune, avec une forte proportion d'enfants et de jeunes dans la population et une faible proportion de personnes en âge de travailler. En 1970, 42,7% des Brésiliens étaient des enfants ou adolescents de moins de 14 ans. Les Brésiliens âgés de 15 à 59 ans (donc en âge de travailler) représentaient alors 52,4 % de la population. Les Brésiliens de plus de 60 ans formaient un groupe très minoritaire (moins de 5%). En 2000, la structure d’âge de la société était déjà très différente. Le poids relatif du premier groupe était tombé à moins de 30%. Celui du second était de 62,2% en la part des personnes âgées de 8,7%.
Pyramides des âges sur deux périodes.

Source : IBGE (projections de 2024 pour 2045).
La part des enfants et des adolescents dans la population n’était plus que de 21% en 2020. Elle sera de 15% en 2045. Les Brésiliens en âge de travailler représentaient 65% en 2020. Cette part sera de 58,4% en 2045. Il y a cinq ans, le poids relatif du groupe âgé de plus de 60 ans était supérieur à 14%. En 2045, selon les projections, il sera de 27,4%. Lorsque le taux de fécondité tombe en dessous du seuil de remplacement, après quelques décennies, il y a plus de personnes âgées que d'enfants et de jeunes âgés de 0 à 14 ans dans la population d'un pays. C’est ce qui est en train de se passer au Brésil. Entre 1970 et 2045, la pyramide des âges va passer d'une base large et d'un sommet étroit à une base plus étroite et un sommet plus large. C'est l'illustration la plus précise du processus de vieillissement brésilien. L'évolution de la pyramide des âges - avec plus de personnes âgées que de jeunes - et la réduction de la taille des familles, avec un taux de fécondité inférieur au seuil de remplacement, créent les conditions pour que le Brésil compte demain plus de grands-parents que de petits-enfants. Soulignons la rapidité relative de cette mutation. Entre 2000 et 2027, la part relative du groupe de Brésiliens âgés de plus de 60 ans dans la population totale va être multiplié par deux, passant de 8,7% à 17,6 %. Ce doublement du poids relatif du troisième âge a été réalisé sur un temps beaucoup plus long dans les nations industrialisées occidentales (4).
Les pays dans lesquels une part importante de la population est en âge de travailler et d’épargner peuvent bénéficier d’une accélération de la croissance des revenus qui découle d’une population plus importante, de l’accumulation accélérée du capital et de dépenses réduites pour la population dépendante (les jeunes et les personnes âgées). Ce phénomène est connu sous l'appellation de « bonus démographique ». L'effet combi-né de ce « bonus » et de politiques efficaces dans d'autres secteurs peut stimuler la croissance économique et le bien-être social. La première phase de ce bonus démogra-phique, ou bonus de structure d’âges, est une fenêtre d’opportunité temporaire qui s’ouvre lorsque la part de la population en âge de travailler (par exemple, les 15-64 ans) augmente par rapport à la proportion de jeunes (0-14 ans) et de personnes âgées (65 ans et plus) dans une société donnée. Entre la seconde partie du XXe siècle et le début du siècle actuel, de nombreux pays ont amélioré leurs résultats économiques et le bien-être de leurs populations en exploitant ce phénomène démographique.
Le Brésil a connu son bonus de structure d’âge jusqu’au début de l’actuelle décennie. En 2022, pour une personne dépendante, le pays comptait encore 2,25 personnes en âge de travailler (âgée de 15 à 59 ans). Le pays a cependant maintenu depuis des années un rythme de croissance économique médiocre et atteignait en 2023 un niveau de revenu moyen par habitant très faible par rapport à celui de pays avancés. Le Brésil a gaspillé cette première phase du bonus démographique. Le moment le plus favorable est passé. La fenêtre d’opportunité se referme. La part relative de la population brésilienne en âge de travailler a commencé à diminuer. Ses effectifs vont baisser dans les années 2030. La population totale commencera a décliner à compter de 2042, selon les projections les plus récentes de l’IBGE. Dans quinze ans, le pays ne comptera plus que deux personnes en âge de travailler pour un dépendant.
L’enjeu majeur pour le pays est désormais de tirer parti des quelques années de bonus démographique qui lui restent, de ces années pendant lesquelles le poids relatif des classes d’âge dépendantes sera encore inférieur à celui des classes en âge de travail-ler. La mise en oeuvre de politiques dans trois secteurs —éducation, politique macro-économique et gouvernance— sera déterminante pour que le Brésil tire effectivement parti du sursis qui lui reste. Le pays doit considérablement améliorer la productivité de ses futurs travailleurs, c’est-à-dire investir massivement dans l’éducation. Il faut ensuite qu’il suive sur la durée une politique macroéconomique favorable à la croissance d’em-plois productifs et rémunérateurs. Enfin, pour profiter de la dernière phase du bonus démographique, les autorités doivent promouvoir l’Etat de droit, améliorer l'efficacité gouvernementale, réduire la corruption et renforcer la sécurité juridique pour les acteurs économiques.
Sans ces réformes, le Brésil deviendra dans moins de trois décennies une nation de vieux avant d’être devenu un pays riche.
A suivre : Encore quelques années de sursis...
(1) A l’indépendance, en 1822, le Brésil ne compte que 3 millions d'habitants (contre 10 millions aux États-Unis). Le Brésil a vu sa population croître en raison non seulement de l’immigration européenne mais aussi de la traite des esclaves. En trois siècles, le Brésil a « importé » de 3,5 à 5 millions d'Africains, jusqu’à l'interdiction de la traite en 1850, puis l'abolition tardive de l'esclavage en 1888.
(2). Au début du XXe siècle, un couple marié autour de l'âge de 20 ans, formait une famille de 4 enfants – au mini-mum - à l'âge de 30 ans en moyenne. Ces 4 enfants survivants, ayant également 4 enfants en moyenne au minimum, formaient 4 autres familles 60 ans après la première union. Quatre nouvelles familles de 4 enfants chacune permettaient de former 16 familles qui, avec 4 enfants survivants en moyenne, soit un total de 64 enfants, environ 90 ans après le couple d'origine. En d'autres termes, en moins de 100 ans, un jeune couple pouvait engendrer 4 enfants, 16 petits-enfants et 64 arrière-petits-enfants.
(3) La première enquête nationale sur la santé reproductive, réalisée en 1986, révèle un taux élevé d'utilisation de la contraception, 70 % parmi les femmes en couple de 15 à 54 ans : parmi les femmes qui ont recours à la contraception, 44 % sont stérilisées, et 41 % utilisent la pilule (PNAD, 1986). La stérilisation s'est imposée au Brésil comme la forme de contraception d'arrêt par excellence, bien qu’elle n’ait jamais été préconisée officiellement et qu’elle n'ait effectivement légalisée et praticable qu'à partir de 1996. Son adoption massive est un choix par défaut, lié à l'éventail restreint des techniques disponibles et à une mauvaise adaptation culturelle à la contraception orale. Généralement achetée en pharmacie, souvent sans prescription médicale, la pilule reste trop coûteuse pour de nombreuses femmes.
(4) Il s’est produit entre 1940 et 2015 aux Etats-Unis, entre 1901 et 1980 au Royaume-Uni et entre 1850 et 1970 en France.
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