top of page

Lula, le crépuscule (1).

Photo du rédacteur: Jean Yves CarfantanJean Yves Carfantan

Le populiste devenu impopulaire.


  

 

L’année 2025 commence mal, très mal, pour le Président Lula. Les perspectives écono-miques ne sont pas bonnes. Les parlementaires du Congrès ont élu récemment (début février) les présidents de la Chambre des députés et du Sénat et confirmé que la gauche restait très minoritaire au sein des deux assemblées dominées par les forces du centrão. Le leader du Parti des Travailleurs (PT) est malmené sur des réseaux sociaux bien mieux maîtrisés par la droite que par le camp dit "progressiste". Il est aussi critiqué sur sa gauche, un secteur de son propre parti le pressant d’amplifier la politique d’expansion des dépenses sociales, de soutien de la demande et d’intervention dans l’économie. A droite et au centre, on reproche à l’inverse au Président de reproduire les erreurs de Dilma Rousseff en matière de politique économique. Opposants comme alliés consta-tent qu’à l’instar du gouvernement de la Présidente destituée, l’Administration Lula 3 s’isole, vit retranchée au sein du palais du Planalto. Cette administration paraît ne rien comprendre à la nature et à la dimension de la crise politique qu’elle traverse. Le Président est entouré de ministres qui consacrent l’essentiel de leur énergie à s’écharper, à flatter les parlementaires ou à les agresser. Tout ce monde converge pour dénoncer les médias et les réseaux sociaux qui seraient les seuls responsables des difficultés que traverse le troisième gouvernement Lula.

 

Le plus grave pour le leader de la gauche est sans doute la récente et forte érosion de sa côte de popularité dans l’opinion. Déjà, en décembre 2024, une enquête réalisée par l’institut Quaest montrait que le pourcentage des Brésiliens désapprouvant le gouverne-ment et son leader dépassait pour la première fois depuis deux ans celui des citoyens approuvant l’exécutif.  La dynamique d’érosion identifiée alors sera confirmée deux mois plus tard. Selon un sondage Datafolha réalisé à la mi-février 2025, seuls 24% des Brési-liens considèrent encore que le gouvernement de Lula est "bon" ou "très bon", une chute de 11 points par rapport à décembre. Parallèlement, la part de ceux qui le considèrent "mauvais" ou "très mauvais" a bondi de 34% à 41% en deux mois. Des chiffres préoccu-pants pour celui qui avait terminé ses deux premiers mandats (2003-2010) avec une popularité record. D’autant que l’analyse détaillée des résultats de ce sondage montre que la chute de Lula dans l’opinion concerne d’abord son propre électorat. Parmi les Brésiliens qui avaient voté pour le candidat de gauche aux élections de 2022, la baisse est de 20 points (contre 11 points en général). A la mi-décembre 2024, au sein de ce groupe, 60% des interrogés considéraient encore le travail du Président comme bon ou très bon. Ils n’étaient plus que 46% à afficher cette opinion en février 2025.


Evaluation de l'action du Président Lula selon Data Folha (1).

 

L’assise populaire s’effrite.

 

La popularité de Lula a chuté dans tous les secteurs de la population. Le Président atteint un niveau de désapprobation sans précédent si l’on considère ses trois mandats présidentiels. Cette baisse est particulièrement marquée au sein de groupes sociaux importants au sein de la société brésilienne et qui ont traditionnellement soutenu le leader du Parti des Travailleurs. C’est le cas des femmes, de la population noire, des habitants du Nord-Est du pays, des segments les plus pauvres et les moins scolarisés. Ainsi, en décembre 2024, 38% des femmes interrogées accordaient un satisfécit au Prési-dent. Ce taux n’était plus que de 24% deux mois plus tard. La chute de popularité est également très forte au sein de la population noire et métis (qui représente 61% du total des habitants). En terme géographique, l’érosion de la popularité de Lula est très signi-ficative dans le Nord-Est, même si les habitants de cette région pauvre encore favo-rables à Lula (33%) restent plus nombreux que ceux qui désapprouvent le chef de l’Etat. De façon générale, la côte de Lula s’effondre au sein des catégories les plus défa-vorisées de la société brésilienne, celles formées par les habitants qui ont un niveau de scolarisation très faible et disposent de revenus modestes. Si l’on considère la stra-tification de la société par classes de revenus, la chute la plus importante est observée au sein d’une catégorie représentant 51% de la population et formée par les familles qui disposent de moins de 3036 BRL de revenu mensuel (environ 500 euros, soit moins de deux salaires minimum). Cette catégorie constituait 60% de l’électorat de Lula en 2022. En décembre 2024, 44% de ses membres jugeaient le travail du Président comme bon ou très bon. Ils n’étaient plus que 29% à avoir cette opinion en février 2025.

 

En ce début de 2025, la côte de popularité de Lula est plus faible qu’en fin 2005, lorsque l’image du Président s’était dégradée à la suite du scandale dit du mensalão. A l’époque, le premier gouvernement de gauche avait été accusé de verser des pots de vin à des parlementaires de l’opposition pour élargir sa majorité au Congrès.

 

Climat de fin de partie.

 

Les résultats du sondage de Datafolha ont renforcé l’impression que le lulisme venait d’amorcer une dynamique irrépressible de déclin, que désormais le troisième mandat de Lula ne pouvait plus apporter de grand changement positif, que les choses ne peuvent dorénavant qu’aller de mal en pis. Cette atmosphère de fin de règne anticipée s’est encore alourdie lorsqu’à la mi-février une étude portant sur les candidatures souhaitées pour la prochaine élection présidentielle de 2026 a montré que 62% des Brésiliens ne souhaitaient pas que Lula se représente.

 

Les plus ardents défenseurs du Président, ses affidés de toujours, cachent leurs inquié-tudes en rappelant qu’après le scandale du mensalão, Lula était parvenu à opérer une spectaculaire remontée dans l’opinion et avait été facilement réélu Président lors du scrutin de 2006. L’opposition n’avait pas su alors profiter de l’affaiblissement temporaire de la popularité du chef de l’Etat. Depuis 2005, les temps ont bien changé. Il faut s’interroger sur les divers facteurs qui expliquent l’érosion actuelle de la popularité de Lula. Il y a d’abord les conséquences d’évènements récents et de la conduite de l’Etat sous le troisième mandat. Il faut aussi aborder des éléments structurels plus profonds qui sont liés à la mutation de la société brésilienne depuis vingt ans, des mutations que la gauche ne comprend pas, qu’elle ne sait pas accompagner et qui ont pourtant touché en premier lieu son électorat historique.


 

Evoquons d’abord brièvement quelques facteurs récents. Sur la seconde partie de 2024, le monde économique et les milieux financiers ont fini par comprendre que le gou-vernement ne donnait pas la priorité à la réduction du déficit et de la dette publique. En fin d’année, la présentation d’un énième dispositif officiellement destiné à réduire les dépenses a brutalement affaibli la confiance des investisseurs. Le dispositif associait à la fois des mesures de réduction et un projet d’exonération de l’impôt sur le revenu pour les contribuables gagnant moins de 5000 BRL/mois. La ruée sur le dollar qui a suivi a accé-léré la dépréciation déjà engagée du réal (2). L’effritement de la monnaie nationale est venu renforcer une dynamique inflationniste déjà très prononcée et se traduisant notamment par une hausse marquée des prix des produits alimentaires, de l’énergie (carburants, électricité) et des transports, des éléments qui représentent plus de 80% des dépenses des ménages les plus modestes.

 

Il faut aussi évoquer les multiples erreurs du gouvernement et le talent manifesté par l’opposition qui a su exploiter les difficultés de l’exécutif. La crise dite du Pix qui a éclaté en janvier dernier est un excellent exemple de ces nombreux faux pas de l'exécutif habi-lement utilisés par ses adversaires politiques. Le Pix est une plateforme de paiement digital instantané conçue par la Banque Centrale et déployée via les banques commer-ciales à la fin de 2020. Elle a été immédiatement adoptée par le grand public, notam-ment pour les paiements entre particuliers, très fréquents dans un pays où l’économie informelle est très forte, dynamique et innovante. Les banques ont favorisé l’usage du Pix qui a contribué à la réduction de leurs coûts et à une forte augmentation de l’ouverture de comptes bancaires. Pour utiliser cette plateforme, il suffit d’avoir un compte en banque, de disposer d’un téléphone portable (ou d’un PC) et d’une adresse Pix (qui peut être soit le code fiscal que possèdent tous les résidents, soit une adresse mail, ou un simple numéro de portable). Le Pix a largement remplacé le paiement en argent liquide et les virements bancaires, en forte diminution. Il permet au titulaire d’un compte bancaire de payer n’importe quand, de n’importe où (si l’on a son portable avec soi), n’importe quelle somme et à n’importe quel créancier localisé en tous points de ce pays continent. Exécutée en quelques secondes, la transaction est gratuite pour les particuliers. Ce système de paiements est devenu extrêmement populaire au sein de l’énorme secteur de la population qui vit de l’économie informelle.


 

Au début de cette année 2025, l’administration fiscale a envisagé la mise en place d’un dispositif destiné à mieux surveiller les transactions électroniques réalisées par la plateforme. Le gouvernement a été immédiatement confronté à une offensive puissante sur les réseaux sociaux. Incapable de réduire les dépenses de l’Etat fédéral mais affichant une volonté de réduire le déficit, l’Administration Lula est soupçonnée de vouloir créer de nouveaux impôts, de nouvelles taxes. L’opposition a donc eu beau jeu d’affirmer que le mécanisme de contrôle prévu était une première étape dans la mise en œuvre de nouveaux prélèvements fiscaux touchant les transactions réalisées grâce à la plateforme Pix. Mobilisant à plein les réseaux sociaux, les adversaires de Lula ont fait usage de toutes les munitions (dont les fake news) pout convaincre les familles les plus modestes que le gouvernement préparait une opération destinée à les appauvrir davantage. L’exécutif a réagi en ordre dispersé, les déclarations de certains ministres contredisant celles d’autres. Il dû finalement reculer en rase campagne et abandonner son projet de contrôle des transactions Pix. Les dégâts en termes d’image ont été consi-dérables, notamment auprès des travailleurs informels, des micro-entrepreneurs, de tous les ubérisés et précaires de la société brésilienne du XXIe siècle. Détail : ces out-siders sont aujourd’hui des dizaines de millions qui vivent ou survivent grâce au monde digital…

 

Le reflux de Lula et du Lulisme dans l’opinion n’est pas seulement lié à la conjoncture économique ou au fonctionnement de l’exécutif. Il résulte aussi des difficultés que ren-contrent un leader âgé et son entourage lorsqu’il s’agit de communiquer avec les jeunes générations qui refusent un projet de société centré autour de l’Etat, valorisent l’esprit d’entreprise, constatent depuis leur naissance que la puissance publique ne fait pas grand-chose pour améliorer leurs conditions de vie et se révèle impuissante face aux menaces effectives qui pèsent sur leur existence (criminalité, violence, insécurité). Entre la gauche dont la seule utopie est celle de l’universalisation d’un Etat providence tuteur de la société civile et la jeunesse attachée à la réussite individuelle, à la compétition et (de plus en plus) aux valeurs conservatrices, le divorce est criant. Les deux premières an-nées du gouvernement Lula apportent une démonstration éclatante de ce divorce. Lula a fait un pari politique dès le début de son troisième mandat. Il a souhaité doper la croissance en augmentant les transferts sociaux, en relevant le salaire minimum, en un mot, en multipliant les cadeaux aux plus modestes. De fait, le taux de chômage déjà faible a continué à reculer, la consommation a progressé. Le bénéfice politique attendu (un regain d’enthousiasme et de soutien des pauvres) semble pourtant désormais hors d’atteinte. Comme si les Brésiliens les plus défavorisés étaient aujourd’hui mus par une forme d’ingratitude qui n’existait pas lors des deux premiers mandats du leader de gauche.

 

Au-delà des facteurs récents, il faut aussi évoquer des caractéristiques du pouvoir actuel qui sont apparues dès les premiers mois du mandat. Les observateurs les plus bienveil-lants à l’égard du successeur de Bolsonaro ont souligné très tôt que le gouvernement Lula 3 ressemblait à un remake d’un scénario déjà connu, qu’il n’apportait ni idées, ni projets vraiment nouveaux. Ces mêmes observateurs répétent que depuis 2023 que l’exécutif n’a ni plan de navigation, ni cap, ni ambition claire, si ce n’est le recours permanent à toutes les manœuvres et alliances garantissant la pérennité de Lula au pouvoir et sa réélection en 2026. L’impression dominante est celle d’un exécutif qui avance au gré des récifs. Elu grâce à une alliance entre la gauche et le centre, Lula subit une pression permanente de la part du "camp progressiste" le plus radical. Le Président et son gouvernement souffrent d’une sorte de schizophrénie politique.

 

La gauche et son avenir.

 

Au début de cette année, pendant quelques semaines, le parti de Lula et l’exécutif ont voulu croire que la baisse de popularité du Président n’était qu’un simple trou d’air dû à une communication gouvernementale inadaptée ou insuffisante. On sait désormais à Brasilia que la crise politique est plus profonde. Dépourvus de toute imagination, les secteurs les plus radicaux de la gauche croient qu’il est possible de redorer l’image du leader et de retrouver des niveaux de popularité confortable en augmentant une nouvelle fois les dépenses sociales et en multipliant les cadeaux fiscaux. Le projet d’exempter de l’impôt sur les revenus les contribuables gagnant moins de 5000 BRL/mois n’a pas été vraiment abandonné. Selon le ministère de l’économie, le relève-ment du taux d’imposition des super-riches (la rengaine des gauchistes de toujours) ne suffirait pas à compenser une perte de recettes fiscales estimée à plus de 50 milliards de BRL. Lula veut encore élargir les facilités d’accès au crédit pour les ménages les plus modestes justifiant de revenus réguliers qui bénéficieraient de taux bonifiés. La facture de gaz de ces 22 millions de familles pourrait être prise en charge par l’Etat. On évoque encore une dotation qui serait fournie à tous les jeunes qui commencent à épargner tout en démarrant des études supérieures ou encore la création de circuits de commer-cialisation à bas prix des aliments ou des carburants…

 

Autant de mesures qui nourriront une inflation déjà élevée et renforceront un sentiment déjà très répandu dans les milieux populaires : ce que le gouvernement donne d’une main il le reprend de l’autre. Au début de cette année, les partisans de Lula se rassuraient encore en répétant que les enquêtes conduites jusqu’alors avaient montré que leur candidat restait favori pour l’élection prési-dentielle face à n’importe quel postulant soutenu par l’opposition. Les sondages de ce type sont plus incertains depuis février et l’élection effective n’aura lieu qu’en octobre 2026. D’ici là, le capital politique et l’image du Président peuvent encore se dégrader. Une récession peut surgir, précipitée par une crise financière qui succéderait à une période de forte expansion de la dépense publique. Dans un pays désormais plongé dans un climat de campagne électorale anticipée, une question obsède les observateurs de la vie politique : Lula sera-t-il candidat une fois de plus en 2026 ? Certains analystes soulignent qu’en abandonnant la compétition, Lula renoncerait ipso-facto à laver une biographie entachée par plusieurs condamnations et les scandales de corruption qui ont marqué ses premiers mandats. C’est effectivement cette ambition qui avait convaincu l’ancien syndicaliste à se représenter en 2022 après avoir passé plus d’un an et demi en prison. D’autres commentateurs croient à l’hypothèse d’un renoncement. En octobre 2026, Lula aura 81 ans. Il a connu ces derniers mois de sérieux problèmes de santé. Le leader n’est pas de ceux qui se lancent dans une campagne sans avoir de sérieuses chances de l’emporter.


 

Très nombreux sont désormais les partisans du Président qui n’envisagent qu’une seule hypothèse de victoire en 2026 pour un candidat Lula décidé à ne pas tirer le rideau : celle d’un nouvel affrontement avec un Bolsonaro pour l’instant hors-jeu mais qui aurait bénéficié d’ici 2026 d’une amnistie. Il faudrait donc rejouer la partie de 2022. Le pari est pourtant très risqué. La société brésilienne glisse vers la droite depuis de nombreuses années. La question est désormais celle de la succession d’un Lula qui n'offre plus de perspective. Sera-t-il remplacé dans deux ans par un représentant de la droite modérée ou du centre ? Les échecs d’un populisme de gauche vieillissant ouvrent-ils la voie au retour fracassant de la droite dévastatrice qu’incarne Bolsonaro ?

 

Lula est-il en train d’entamer la dernière étape d’une carrière longue ? C’est le sentiment qu’ont désormais les observateurs les plus lucides et froids de la scène politique brési-lienne. Vu de l’extérieur du Brésil, le constat peut sembler péremptoire. Pour dissiper cette impression, il faut revenir sur la dégradation du pouvoir d’achat des plus modestes entraînée par la politique de dopage de la croissance menée depuis 2023. Il faut surtout aborder les mutations profondes que connaît la société brésilienne depuis vingt ans et qui devraient se consolider d’ici 2026. C’est à ces deux thèmes que seront consacrés les deux prochains posts de cette série.


A suivre : L'inflation dans l'assiette des pauvres.

 


 

(1) Source : DataFolha, Pesquisa Nacional,  AVALIAÇÃO DE DOIS ANOS E DOIS MESES DO PRESIDENTE LULA, Fevereiro de 2025.

(2) Voir le post intitulé Lula, la facture du populisme économique,

 

 

 

 

 

 
 
 

Comments


Qui sommes nous?

Jean-Yves Carfantan, économiste, consultant en économie agricole. Analyse et suit l’évolution de l’économie et de la politique au Brésil depuis 30 ans. Vit entre São Paulo et Paris.  Il anime ce site avec une équipe brésilienne formée de journalistes, d’économistes et de spécialistes de la vie politique nationale.

Menu

Contact

©2019 IstoéBrésil. Tous droits réservés.

bottom of page